Intervention de Jean-Marie Vanlerenberghe

Commission des affaires sociales — Réunion du 4 juillet 2018 à 9h30
Conditions de réussite d'une réforme systémique des retraites — Compte rendu des déplacements en italie en suède au danemark et en allemagne - communication au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Photo de Jean-Marie VanlerenbergheJean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général :

Enseignement n° 5 : la définition de seuils d'alerte semble préférable à la fixation de mécanismes automatiques d'équilibre financier.

Le mécanisme d'équilibre en Suède, mis en place en 2001, semble le plus abouti en ce qu'il définit à la fois un seuil d'alerte et une règle de rééquilibrage devant s'appliquer automatiquement.

Le seuil d'alerte se déclenche lorsque les réserves financières augmentées des cotisations futures du système sont inférieures à ses engagements futurs.

Dans ce cas, la règle de revalorisation des droits accumulés, indexée sur la croissance moyenne des salaires, est modifiée pour y introduire un ratio d'équilibre correspondant au rapport entre les recettes et les engagements futurs inférieur à 1.

Ce mécanisme automatique touche également les retraités. Les pensions sont en effet revalorisées chaque année en fonction de l'index de revalorisation des droits accumulés. Il y a donc un partage de l'effort de rééquilibrage entre actifs et retraités.

En Allemagne depuis la réforme de 1992, le régime de base repose sur trois exigences : le maintien de réserves financières équivalentes à un mois de dépenses ; un taux de cotisation qui ne doit pas dépasser un certain seuil (20 % jusqu'en 2020, 22 % jusqu'en 2030) et un taux de remplacement qui ne doit pas être inférieur à un taux plancher (46 % jusqu'en 2020 ; 43 % jusqu'en 2030).

Lorsqu'un de ces seuils n'est pas respecté, l'alerte se déclenche et le Gouvernement fédéral est tenu de faire des propositions pour prendre des mesures correctrices.

En Italie, la réforme Fornero a introduit également un mécanisme automatique de recul de l'âge de la retraite liée à l'espérance de vie.

L'application de ces mécanismes automatiques n'est toutefois pas si évidente.

Confrontée en 2010 à un taux de croissance négatif de - 4,9 %, à une hausse du chômage et à une perte de valeur des actifs sur les fonds de réserve, la Suède a déclenché le mécanisme automatique. Les pensions servies devaient alors diminuer de 4,2 %.

Les cinq partis politiques composant le groupe de suivi parlementaire de la réforme, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, ont toutefois décidé de ramener cette diminution à 3 % en la lissant sur trois ans et en mobilisant les fameux fonds de réserve.

En Italie, la première application du recul automatique de l'âge de départ à la retraite en novembre 2017, pour le fixer à 67 ans, a provoqué une vive contestation dans un climat électoral tendu. Les deux partis désormais coalisés au pouvoir, la Ligue du Nord et le Mouvement Cinq Etoiles, ont promis de revenir sur cette réforme.

Dans le cadre de la future réforme, nous estimons qu'il est nécessaire de définir clairement un mécanisme d'alerte mais que l'introduction de règles automatiques de rééquilibrage n'est pas souhaitable.

Elles sont non seulement d'une application délicate mais donnent le sentiment d'un système autogéré qui échapperait au contrôle démocratique en dégageant de leurs responsabilités les dirigeants politiques.

Nous pensons que ces derniers doivent assumer leurs décisions au regard de seuils d'alerte clairement établis.

Le cadre législatif actuel soumet déjà notre système de retraite à trois objectifs - pérennité financière, équité et niveau de vie acceptable des retraités - sans toutefois les définir précisément.

Le comité de suivi des retraites, créé par la réforme de 2014, est tenu de rendre un avis annuel sur le respect de ces objectifs. En juillet dernier, il a pour la première fois recommandé au Gouvernement d'intervenir car notre système de retraite s'éloignait trop de l'objectif de pérennité financière.

Le Gouvernement a alors opportunément décidé de reporter toute mesure à la réforme systémique des retraites.

Il pourrait être intéressant, pour clarifier le débat, de définir plus précisément ces objectifs à commencer par la condition de pérennité financière. La question de la période sur laquelle cette pérennité se mesure doit être posée.

Les débats méthodologiques du Cor soulignent la fragilité des exercices de projection à 50 ans. Ne conviendrait-il pas d'affirmer la nécessité d'un équilibre du système sur une période plus courte ?

La démarche actuarielle de la Suède, consistant chaque année à comparer engagements et ressources futures du système, apparait à ce titre pertinente. Cette démarche pourrait guider les travaux du Cor dans le cadre fixé par la future réforme.

Enseignement n° 6 : malgré les réformes systémiques, l'âge de la retraite demeure le paramètre central des systèmes de retraite autant pour assurer leur équilibre financier qu'un niveau de vie suffisant aux retraités.

Nous sommes partis avec l'idée, souvent évoquée, que l'individualisation de la retraite induite par les systèmes en points ou en comptes notionnels faisait perdre, à la fixation d'un âge de départ à la retraite, le caractère « totemique » qu'il peut avoir dans un système en annuités.

En effet, la logique sous-jacente à ces deux systèmes est de laisser l'individu libre de décider de son départ à la retraite en arbitrant entre la rente obtenue en fonction de son capital accumulé et le coût représenté par une année supplémentaire de travail.

Pourtant, dans les trois pays que nous avons visités, la question des âges de la retraite demeure centrale.

Comme en France actuellement, trois âges demeurent fixés dans les réglementations des systèmes en points ou comptes notionnels :

- un âge minimum légal, à partir duquel il est possible de liquider ses droits à retraite si l'assuré justifie d'une durée minimale de cotisation et/ou d'une rente suffisante. Par exemple : 61 ans en Suède et 65 ans en Allemagne si l'assuré justifie de 45 ans de cotisations ;

- un âge d'annulation de la décote pour tous les salariés, quelles que soient la durée de cotisation et la pension obtenue : 67 ans en Allemagne et en Italie ;

- un âge d'accès aux minima de pension soumis parfois à des conditions de durée de résidence.

Des règles particulières existent également pour les départs anticipés mais il serait trop long de les évoquer ici.

La question de l'âge se pose actuellement dans les trois pays visités pour des raisons différentes.

En Allemagne et en Italie, toutes les personnes entendues ont évoqué les difficultés posées par un âge d'obtention du taux plein à 67 ans. Des réponses récentes ont été apportées en matière de départ anticipés dès 63 ans sous condition de durée de cotisation et prenant en compte des critères de pénibilité.

De plus, depuis les années 2000, l'Allemagne a mis en place des mesures d'aides à l'emploi des seniors, avec des allègements de cotisations et des investissements en matière de formation.

En Suède, il est observé une dispersion inégalitaire dans l'âge de départ en retraite qui renforce les écarts de pension. Les personnes qualifiées partent plus tard avec un niveau de pension beaucoup plus élevé. À l'inverse, les femmes et les travailleurs moins qualifiés partent plus tôt avec des niveaux de pension insuffisants. Une réflexion est donc en cours pour augmenter l'âge minimum de 61 à 64 ans de façon à augmenter les pensions les plus faibles.

Nous appelons donc l'attention du Gouvernement sur la difficulté qui consisterait à ne pas augmenter l'âge minimum légal, pour respecter la promesse de campagne du Président de la République, mais qui aurait pour conséquence de « fabriquer » des retraités plus pauvres.

L'âge moyen de départ à la retraite en France demeure inférieur de deux à trois ans aux âges observés dans les quatre pays visités.

La réforme des retraites ne pourra éluder cette question. La position de notre commission, appelant depuis plusieurs années au relèvement de l'âge minimum légal à 63 ans, demeure plus que jamais d'actualité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion