Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 22 juillet 2008 à 16h00
Démocratie sociale et temps de travail — Article 18

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 18 porte sur l’annualisation du temps de travail avec les nouveaux dispositifs d’aménagement que comporte la loi. Il convient, selon moi, d’en dire deux choses.

D’abord, je suis parfaitement capable, comme beaucoup d’autres, de comprendre que, pour certains types d’activités économiques, l’annualisation peut être un calcul du temps de travail jugé plus convenable. Je n’en suis pas sûr, mais j’admets l’hypothèse ! Quoi qu’il en soit, j’observe que l’application de cette annualisation a été, dans de nombreuses circonstances, étendue à des domaines dans lesquels elle ne s’imposait nullement comme mode de calcul du temps de travail !

Selon moi, il faut respecter des cycles communs, afin que les êtres humains aient une vie commune, la vie de famille, par exemple. Or, pour les salariés, l’annualisation est un brise-reins, car elle ne permet pas de respecter ces cycles auxquels, pour ma part, je suis attaché.

Quand, au sein d’une famille, les parents travaillent sous le régime du temps annualisé, il est fréquent que le foyer familial ne soit plus qu’une espèce d’hôtel-restaurant fréquenté par des personnes qui se croisent plus qu’elles ne vivent ensemble. Par principe, et je ne veux pas m’en cacher, je ne suis donc pas du tout favorable à l’annualisation du temps de travail.

Au demeurant, le professeur Roger Sue, qui enseigne non loin d’ici, à l’université de Paris V-Sorbonne, a écrit un magnifique ouvrage sur le temps en général. J’en parle avec d’autant plus de facilité qu’il n’est pas de mon bord politique ! Il y montre que, le temps étant une propriété de l’univers social, et non pas seulement un arrière-plan, il répond aux normes qui sont celles de l’univers social et aux rapports de force qui les constituent. Il y a un temps dominé et un temps dominant. Il y a donc un temps des dominants et un temps des dominés !

C’est ainsi que se présente l’annualisation du temps de travail. Il faut rappeler cependant que, si nous l’avions nous-mêmes prévue dans les lois Aubry, bien que nous ayons émis sur ces travées – y compris votre serviteur – des critiques et des réserves, c’était en contrepartie des 35 heures. Il y avait eu une négociation ; c’était « donnant-donnant » !

En l’espèce, c’est tout le contraire, puisqu’il n’y a plus de 35 heures ni de rattrapage.

Examinons les conditions dans lesquelles on pourra recourir à l’annualisation.

La protection de la loi ? Elle n’existera plus après l’adoption de ce texte. La protection de la branche ? Elle disparaîtra également, puisque l’accord de branche n’interviendra qu’à défaut d’un accord d’entreprise.

Autrement dit, c’est à l’échelle de l’entreprise – au plus près du terrain, direz-vous, mais il s’agira du terrain de la production et non de celui de la vie sociale, donc au plus près des besoins de la production – que sera « calé » le temps de travail de chacun.

Bien sûr, on peut se dire, de loin, que tout cela va s’arranger dans le meilleur des mondes, d’après la seule raison pure. Je ne le crois pas. Même s’il n’est pas cet homme brutal qui ne pense qu’à son carnet de commandes, car je veux bien que ce soit un cas isolé, en définitive, l’employeur y pensera tout de même et c’est lui qui fera la loi, au détriment de ses employés !

Comment voulez-vous, sans la protection de la loi ou d’un accord de branche, pouvoir négocier de gré à gré sur des sujets comme ceux qui sont visés dans cette partie du texte ?

L’annualisation du temps de travail résultera d’un accord collectif d’entreprise. Comme je l’ai dit, tout se passe dans l’entreprise. Cet accord inclut en outre des choses qui peuvent paraître insignifiantes vues de loin, dans un bureau, à l’endroit où l’on écrit une loi, mais qui, dans le concret de l’existence, ont une importance absolument décisive. Lesquelles ? Écoutez bien.

C’est au niveau de l’entreprise que sera fixé le délai de prévenance s’agissant des changements de durée ou d’horaires de travail. Il s’agit en clair de décider combien de temps à l’avance on prévient l’employé du nombre d’heures qu’il effectuera les jours suivants et l’organisation de son travail à venir. Tout cela bouleverse complètement la vie des salariés. Un jour, on travaillera quatre heures, le lendemain, huit, et, le surlendemain, dix !

Or tout cela dépendra de quoi ? D’une négociation de gré à gré dans l’entreprise…C’est véritablement abandonner les employés à des logiques qui sont peut-être celles de la production, mais qui ne sont certainement pas celles de la vie humaine.

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