Chers collègues, c'est avec un certain scepticisme que j'ai abordé l'examen de cette proposition de loi. Je m'interrogeais en particulier sur la nécessité de légiférer sur un tel sujet, si ce n'est pour mettre en oeuvre une promesse de campagne du Président de la République au fort impact médiatique.
Fallait-il donc légiférer sur l'encadrement de l'utilisation des téléphones portables dans les écoles et les collèges ? Je vous laisserai juges de l'urgence qu'il y avait à inscrire cette proposition de loi au milieu d'un ordre du jour chargé, entre la réforme ferroviaire et la révision de la Constitution.
Il convient toutefois de reconnaître que cette proposition de loi répond aux défauts du cadre législatif actuel, qui avait été introduit par la loi « Grenelle II » du 12 juillet 2010 sur l'initiative du Sénat. L'objectif était alors tout autre. C'est le souci de protéger les élèves de l'exposition aux ondes électromagnétiques qui avait conduit à introduire dans le code de l'éducation un article L. 511-5 interdisant l'utilisation par un élève du téléphone portable « durant toute activité d'enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur ».
Nous sommes aujourd'hui amenés à revoir notre copie, mais depuis une tout autre perspective. Je ne m'étendrai pas sur le bien-fondé de l'encadrement de l'utilisation du téléphone portable par les élèves à l'école et au collège. Aujourd'hui, 92 % des 12-17 ans possèdent un téléphone portable ; 86 % d'entre eux ont un smartphone, ils obtiennent le premier dès onze ans et demi, ce qui correspond à l'entrée au collège, et leur durée d'exposition aux écrans a explosé en dix ans. Au-delà des conséquences en matière de santé publique, cette évolution pèse sur la vie des établissements scolaires.
Elle perturbe les enseignements et constitue l'un des facteurs de l'indiscipline en classe. Elle a un effet direct sur les capacités d'apprentissage et d'attention des élèves. Une étude britannique menée sur près d'une centaine d'établissements du second degré montre d'ailleurs que l'interdiction générale de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements se traduit par une amélioration des résultats des élèves, qui est plus prononcée pour les élèves en difficulté. Par leurs fonctionnalités comme l'appareil photo ou l'accès à Internet, les smartphones sont l'outil principal de comportements inappropriés : prises de vue sans consentement, harcèlement sur Internet, exposition à la pornographie. Leur prix alimente les vols, mais aussi les querelles. Enfin, alors que l'école est un lieu de sociabilité, l'usage du smartphone alimente le repli sur soi.
Là où l'utilisation des téléphones portables a été interdite dans toute l'enceinte de l'établissement, comme cela est déjà le cas dans certaines écoles et des collèges (mais, vous le verrez, de manière illégale), l'effet est positif tant sur les apprentissages que sur le climat et la vie scolaires.
En premier lieu, lorsqu'ils n'en ont pas été à l'origine, la grande majorité des parents d'élèves et des enseignants ont bien accueilli la mesure, les débats préalables à l'adoption du règlement intérieur ayant permis à la communauté éducative de s'emparer de la question ; les récalcitrants, s'ils sont parfois très virulents, demeurent très minoritaires.
En outre, la simplicité et la lisibilité de l'interdiction facilitent son appropriation par les élèves et leurs parents ; son extension à l'ensemble de l'établissement s'est traduite par un moindre nombre d'incidents en classe, où l'usage était déjà interdit. Par ailleurs, le climat scolaire s'est amélioré et l'on observe une augmentation de la socialisation entre élèves ; les jeux de ballon font leur retour dans la cour de récréation. Le nombre d'appareils confisqués demeure limité, voire diminue par rapport à la situation antérieure, et tend à se réduire avec le temps. Enfin, si les problèmes liés au harcèlement sur Internet ne disparaissent pas, les comportements incriminés n'ont plus lieu dans l'enceinte de l'établissement scolaire.
Pour en revenir au cadre juridique actuel, l'article L. 511-5 du code de l'éducation, dans sa rédaction en vigueur, présente deux défauts majeurs. Il distingue les activités d'enseignement, pendant lesquelles l'utilisation du téléphone portable est interdite, des autres temps de présence dans les établissements, pendant lesquels cette utilisation peut être encadrée par le règlement intérieur ; les établissements ne peuvent donc poser une interdiction générale et absolue.
Un grand nombre d'écoles et de collèges le font néanmoins déjà et j'ai pu recueillir les témoignages de principaux de collège ayant mis en oeuvre cette interdiction. La légalité de cette mesure est très fragile et, dans certaines académies, les services juridiques des rectorats s'y opposent.
La confiscation de l'appareil constitue, après la réprimande, la solution la plus courante. L'appareil est conservé par la direction ou la vie scolaire et, le plus souvent, n'est restitué qu'aux parents de l'élève ou à ses représentants légaux. Ce qui présente l'avantage de faire venir certains parents d'élèves peu présents ou difficiles d'accès, qui trouvent subitement le temps de se déplacer au collège.
Le cadre juridique relatif à la confiscation des appareils est toutefois incertain et fait l'objet d'interprétations contradictoires. La confiscation n'est mentionnée dans les circulaires ministérielles que dans le cas d'objets dangereux ou toxiques ; le site service-public.fr affirme à cet égard que « la confiscation du téléphone n'est pas autorisée ». Les chefs d'établissement et les enseignants rencontrés nous ont fait part de leur souhait de voir clarifié ce point ; indispensable pour faire respecter l'interdiction, la confiscation est la principale source de tension avec les parents d'élèves récalcitrants.
En outre, parce qu'il interdit de manière absolue toute utilisation du téléphone portable pendant les activités d'enseignement, l'article L. 511-5, dans sa rédaction actuelle, peut placer les établissements et les enseignants dans une situation d'illégalité. Ceci est d'autant plus problématique qu'un grand nombre de collectivités territoriales - municipalités, départements et régions - envisagent de recourir à ce que l'on nomme le « bring your own device » (BYOD), que l'on peut traduire par « apportez votre propre appareil » : il s'agit de rompre avec les politiques d'équipement de l'ensemble des élèves, qui se sont révélées la plupart du temps des échecs coûteux, à des difficultés de maintenance et d'entretien, pour des équipements dont la durée de vie est souvent plus courte qu'une scolarité au collège et qui n'ont vocation à être utilisés que de manière ponctuelle. L'équipement généralisé des adolescents en smartphones (86 % des 12-17 ans) met également en question l'efficience de ces politiques.
À titre personnel, je suis réservé sur l'utilité de l'emploi des smartphones des élèves à des fins pédagogiques. Deux professeurs de psychologie cognitive spécialistes de la formation numérique ont souligné, lorsque nous les avons rencontrés, l'intérêt pédagogique limité des fonctionnalités de ces appareils. Il est vrai, toutefois, qu'ils présentent une souplesse d'emploi incontestable pour une séquence ponctuelle. Cette pratique a également le mérite de faire comprendre aux élèves que ces appareils peuvent être utilisés à d'autres fins que la conversation ou le jeu, de manière raisonnée et pour apprendre.
La proposition de loi lève les obstacles juridiques à cette pratique ; ceci dit, lesdits obstacles n'empêchaient nullement les enseignants, souvent avec le soutien de leur hiérarchie, d'utiliser ces appareils à des fins pédagogiques. La clarification apportée est néanmoins bienvenue : la proposition est autant loi d'autorisation que d'interdiction ou d'encadrement. Les députés ont ainsi modifié l'intitulé, la loi n'interdisant pas l'utilisation mais l'encadrant.
J'ai insisté auprès du ministre pour que l'utilisation pédagogique des appareils des élèves soit sévèrement encadrée, en matière d'intérêt pédagogique comme de durée, et particulièrement à l'école primaire. À l'heure où l'exposition des enfants aux écrans va croissant et atteint presque huit heures par jour pour les collégiens, il ne s'agit pas qu'ils passent l'ensemble des cours le nez sur un écran ! De surcroît, il convient de veiller au respect de l'égalité entre les élèves : ceux qui n'ont pas de smartphone ou de tablette doivent pouvoir en être équipés par l'établissement ; c'est d'ailleurs heureusement déjà le cas.
Vous l'aurez compris, il s'agit de légiférer pour sécuriser et clarifier les pratiques des établissements ; c'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, qui était d'ailleurs son unique article au moment de son dépôt.
L'article 1er réécrit entièrement l'article L. 511-5 du code de l'éducation pour inverser le paradigme actuel : à l'autorisation de principe dans l'établissement (à l'exception de la classe où l'interdiction était absolue), il substitue une interdiction de principe, à laquelle le règlement intérieur apportera des exceptions. J'insiste sur la nécessité, à mes yeux, de renvoyer au conseil d'école ou au conseil d'administration la définition des lieux et des circonstances dans lesquels il peut être dérogé au principe d'interdiction. Ce, pour adapter la portée de l'interdiction au contexte de chaque établissement et construire au sein de la communauté éducative un consensus qui facilitera l'application de la règle.
La rédaction initiale de l'article 1er a été profondément modifiée par les députés : il est précisé que l'interdiction ne s'applique ni aux usages pédagogiques pendant les activités d'enseignement ni aux équipements spécifiquement destinés aux élèves handicapés ; l'interdiction est étendue aux autres appareils susceptibles d'être connectés à Internet, à l'instar des tablettes et des montres connectées ; son champ est étendu à l'ensemble des activités scolaires, y compris celles se déroulant en dehors de l'enceinte de l'établissement (cours d'EPS, sortie ou voyage scolaire) ; en séance publique, l'Assemblée nationale a introduit une disposition permettant la confiscation d'un appareil en cas de méconnaissance du règlement intérieur et précisant les modalités de cette confiscation.
En outre, les députés ont introduit trois articles supplémentaires.
L'article 2 complète l'article L. 121-1 du code de l'éducation, qui énonce un certain nombre d'objectifs confiés aux établissements scolaires, en précisant que l'éducation à la responsabilité civique dispensée par ces établissements s'étend à l'utilisation d'Internet et des services de communication au public en ligne. C'est le type même du « neutron » législatif, une disposition purement symbolique sans portée juridique.
L'article 3, à mes yeux le plus important de ces articles supplémentaires, vise à assortir cette interdiction d'une dimension pédagogique. À cette fin, il modifie les dispositions de l'article L. 312-9 du code de l'éducation, relatif à la formation à l'utilisation des outils et des ressources numériques. Celle-ci est dispensée dans le cadre de l'éducation aux médias et à l'information, elle-même intégrée, en particulier, aux programmes d'éducation morale et civique. L'article 3 précise que la formation dispensée porte sur une utilisation « responsable » et qu'elle comporte une éducation, et non plus une sensibilisation, aux droits et aux devoirs liés à l'usage d'Internet et des réseaux. Il est également précisé que cette formation contribue au développement de l'esprit critique et à l'apprentissage de « la citoyenneté numérique ».
L'article 4 modifie le troisième alinéa de l'article L. 401-1 du code de l'éducation, qui permet au projet d'école ou d'établissement de prévoir la réalisation d'expérimentations, pour préciser que ces expérimentations peuvent porter sur l'utilisation des outils et ressources numériques.
Les amendements que je vous proposerai visent à renforcer la cohérence du texte, dans une démarche constructive. Je propose ainsi un régime d'encadrement pour les lycées, distinct de celui des écoles et des collèges mais permettant, si le conseil d'administration le décide, d'interdire l'usage du téléphone portable dans tout ou partie de l'établissement.
Nombre de dispositions sont dépourvues de portée normative, certaines précisions sont inutiles ou ne relèvent pas de la loi. C'est notamment le cas pour les dispositions relatives à la confiscation des appareils : l'article 1er entre sur ce point dans un luxe de détails qui me semble non seulement inutile, mais nuisible. Faisons confiance aux établissements !
Enfin, je clarifie certaines dispositions dans un souci de fidélité à la finalité principale de cette proposition de loi : sécuriser les pratiques des chefs d'établissement et des enseignants.
Je vous propose donc d'adopter huit amendements. À l'article 1er, l'amendement COM-6 supprime une précision inutile s'agissant de l'exception relative aux usages pédagogiques, qui pourra être prévue par le règlement intérieur. L'amendement COM-7 permet aux lycées d'interdire, par leur règlement intérieur, l'utilisation du téléphone portable dans tout ou partie de l'établissement et dans les activités extérieures. L'amendement COM-8 rectifié réécrit les dispositions relatives à la confiscation, afin d'étendre aux personnels d'éducation et de surveillance la faculté d'y procéder et de supprimer des précisions ne relevant pas du niveau législatif. Il s'agit de renvoyer au règlement intérieur la définition des modalités de confiscation et de restitution des appareils.
Je vous proposerai de supprimer l'article 2, qui est dépourvu de portée normative, et de conserver, à l'article 3, les dispositions prévoyant une formation à l'utilisation responsable des outils et des ressources numériques, un développement de l'esprit critique ainsi qu'une véritable éducation aux droits et devoirs liés à l'usage d'Internet. En revanche, il convient de supprimer la notion de citoyenneté numérique, floue et polysémique. Je vous présenterai également un amendement rédactionnel concernant l'application de cet article à Wallis-et-Futuna.
À l'article 4, je vous proposerai de supprimer une demande de rapport superfétatoire. Enfin, le champ de la proposition de loi étant étendu aux lycées, je vous proposerai de modifier en conséquence son intitulé.
Nous ne devons pas être naïfs quant à la portée politique d'un tel texte et aux conséquences à en attendre, néanmoins reconnaissons qu'il va dans le bon sens. Cette forme de « déconnexion » dans les écoles et surtout les collèges et constituera un signal positif en direction des élèves et de leurs parents. Elle contribuera à la prise de conscience de la nécessité de construire un rapport équilibré aux écrans. Le rapport d'information de notre présidente, présenté la semaine dernière, en rappelait l'urgence.