Les Etats-Unis, la Russie et l'ONU soutiennent cette conférence. Nos partenaires nous demandent seulement de lui garder un caractère humanitaire. La question politique doit être traitée en lien avec l'Envoyé spécial pour le Yémen, M. Martin Griffiths, et selon le calendrier que celui-ci souhaite mettre en place. S'agissant du rôle de l'Iran et du nucléaire iranien, la question nucléaire se présente soit comme une chance, soit comme un grand risque. Nous avons proposé aux Iraniens, qui l'ont accepté, de discuter du Yémen avec eux - une discussion, pas une négociation. Le ministre ainsi que les directeurs politiques de la France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni et de l'Italie leur disent que leur implication dans l'affaire yéménite leur apporte certes un gain stratégique en gênant l'Arabie Saoudite et les EAU, mais qu'ils payent le prix fort en étant mis au ban de la communauté internationale. Pourquoi ne peut-on pas inviter l'Iran à cette conférence ? C'est parce que, actuellement, ni les Etats-Unis, ni l'Arabie Saoudite, ni les EAU ne veulent s'assoir à la table d'une conférence internationale avec l'Iran. Pour que cela change, il faudrait que l'Iran donne les gages d'un comportement d'acteur international responsable. Nous avons cette même difficulté sur la Syrie : l'état d'exaspération des partenaires est tel qu'ils ne veulent plus parler directement avec l'Iran. Le Président de la République a proposé une négociation globale incluant la poursuite du JCPOA, la question balistique, la question des ingérences régionales et la question du nucléaire à long terme. L'Iran doit faire, sur les théâtres régionaux, -Liban, Yémen et Syrie - des gestes nécessaires de retrait et doit cesser de soutenir militairement des milices qui viennent affaiblir les Etats.
Je voudrais à cet égard parler des Houthis. Les Houthis ne combattent pas depuis 300 ans. Il s'agit d'une famille qui n'a pris une dimension particulière dans les affaires de ce pays qu'il y a une cinquantaine d'années environ et qui s'appuie sur des tribus des montagnes du nord, de confession zaïdite. Même s'il s'appuie sur les revendications anciennes de ces populations à l'égard de Sanaa, ce n'est en aucune façon un vieux mouvement qui s'enracinerait dans l'histoire du Yémen. L'essentiel est que nous sommes convaincus qu'il n'y a pas d'issue militaire à cette affaire, qui, fondamentalement, est d'abord une guerre civile, sur laquelle les puissances régionales projettent ensuite leurs rivalités.
La question d'un partage du pouvoir est difficile, vu le passé récent du pays. Pendant trente ans, le Président Saleh a siphonné les ressources du pays, qu'il a gouverné d'une main de fer et par des alliances tribales, sans jamais partager le pouvoir avec personne. En conséquence, la déstructuration politique est totale ; les volontés de vengeance et les mouvements séparatistes nombreux. Un partage du pouvoir serait inédit, au Yémen. Cela serait à l'opposé de tout ce qui s'est passé pendant les trente années du Président Saleh, et comme, auparavant, le Yémen était soit colonial, soit tribal, il n'y a pas d'histoire politique du Yémen à laquelle on puisse faire référence. Il appartient donc à la communauté internationale d'aider les Yéménites à trouver un accord politique dans lequel les intérêts de chacun seront respectés : les intérêts des populations du Nord, que captent actuellement les Houthis alors qu'ils n'en sont pas les représentants légitimes. Les Houthis sont un pouvoir familial et guerrier qui s'est imposé par la force à une région, mais ils devront partager le pouvoir. En outre, que fera-t-on du parti du Congrès populaire général (CPG) du Président Saleh, du parti islamiste Al-Islah lié aux Frères musulmans ou des sécessionnistes du Sud qui veulent une forme fédérale souple ou une partition ?
Sur la question de l'unité du Yémen, les Saoudiens et les Emiriens disent ne pas vouloir revenir dessus. Pour les Saoudiens, cela serait une catastrophe car il y aurait, d'un côté, le Nord frontalier, peuplé, pauvre, enclavé et de l'autre côté, le Sud, avec les infrastructures nécessaires à l'exportation des ressources pétrolières et gazières et une faible population - une situation dangereuse. Les Emiriens semblent voir la sécession d'une façon moins négative même s'ils disent ne pas l'envisager. Pour les diplomates qui s'occupent de la question, il est probable qu'il faudra aller vers une forme de fédération de deux, trois ou quatre provinces.
Sur la question très ancienne du terrorisme, je vous rappelle que, dans les années 1990, les ancêtres d'Al-Qaïda étaient installés au Yémen et que de très longue date, il y a eu des liens complexes entre les tribus et les mouvements djihadistes. Oussama Ben Laden avait des cellules terroristes au Yémen. Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) continue d'avoir une forte emprise dans le pays et les efforts militaires prioritaires des Emiriens sont dirigés contre AQPA. Pour eux, cette menace terroriste est au moins aussi grave que la menace houthie. Il y avait donc un partage des rôles au sein de la coalition, avec une Arabie Saoudite plus concentrée sur la guerre contre les Houthis, et les EAU plus occupés par les opérations contre Al-Qaïda. Cet équilibre est maintenant un peu différent avec l'offensive d'Hodeida. Par ailleurs, il y a une pénétration inquiétante de Daech au Yémen, même si elle reste pour l'instant moindre que celle d'AQPA. La guerre menée par la coalition contre les Houthis ne doit pas faire oublier la nécessité de débarrasser le pays d'Al-Qaïda, dont la présence sur Aden et la côte reste dangereuse, et de Daech.
Enfin, je ne crois pas que la situation au Yémen soit passée sous silence. Nous constatons que les rapports de l'ONU sont pris très au sérieux par la communauté des ONG et que la commission des droits de l'homme s'est saisie du sujet de longue date. Nous avons d'ailleurs porté des négociations entre les Saoudiens et certains Européens pour obtenir la mise en place d'un processus de suivi international de la situation humanitaire et des droits de l'homme par l'ONU. De façon générale, nos partenaires sont très mobilisés sur cette affaire. Y a-t-il pour autant les mêmes campagnes médiatiques que sur d'autres crises ? C'est difficile à évaluer. Mais sur le plan diplomatique, le conseil des affaires étrangères du 25 juin se prononcera sur ce sujet, et nous consacrons des efforts importants à ce dossier, qu'il s'agisse de l'aspect humanitaire ou politique.
Enfin, il me semble que la France a une triple responsabilité dans cette affaire. La première est la responsabilité qui découle de notre statut de membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU. Nous sommes coresponsables avec nos partenaires, en particulier les membres permanents du conseil de sécurité, d'agir chaque fois qu'il y a une menace ou une atteinte grave à la paix et la sécurité internationales pour que les processus politiques et les responsabilités humanitaires soient assumés. C'est une première responsabilité de nature générale. La deuxième responsabilité concerne la défense de nos intérêts. Nous avons là des intérêts de lutte contre le terrorisme, avec le risque que constituerait un chaos durable au Yémen, qui aboutirait à ce que des entités de Daech ou d'Al-Qaïda s'y installent durablement. Nous avons également des intérêts économiques, de sûreté maritime, en particulier le passage des bateaux par le canal de Suez vers l'océan Indien. Des intérêts liés aussi à notre présence à Djibouti, à la stabilité de cette côte extrêmement sensible. Nous avons, troisièmement, une responsabilité qui découle de nos partenariats stratégiques avec l'Arabie Saoudite et les EAU. Compte tenu de la place qu'occupent ces deux pays dans nos relations, il est important que leur comportement maximise les chances de règlement politique rapide et qu'on sorte ainsi de l'impasse militaire. De cela découle un appui politique aux efforts de Martin Griffiths et l'organisation de la conférence humanitaire pour accélérer la prise de conscience et favoriser l'évolution de la situation.
Enfin, avant de céder la parole, je voudrais rappeler la violence de l'affrontement inter-yéménite lui-même. Ce sont les groupes armés du Yémen qui mènent fondamentalement cette guerre. Et actuellement, à Hodeida, il ne semble pas y avoir de troupes de la Coalition engagées en toute première ligne, elles sont en arrière-plan. Ceux qui se battent sont tous yéménites. C'est un pays marqué par les guerres civiles, dans lequel il y a un problème fondamental de non-acceptation de la logique politique par les acteurs. Tous restent convaincus que la solution peut être militaire. Le drame est que, lorsque les puissances régionales viennent encore ajouter à ce schéma en prenant partie pour certains acteurs locaux, se met en place une logique d'escalade. Ainsi, l'objectif du Conseil de Sécurité des Nations unies est de soustraire le pays du contexte des rivalités régionales, pour permettre aux parties yéménites d'entrer enfin dans la négociation politique.