En l’occurrence, avec un peu de recul, les 35 heures – comme, en leur temps, les congés payés – révèlent leur caractère progressiste : au fond, convaincre prend plus de temps qu’appâter avec des slogans.
La réduction du temps de travail, l’amélioration de l’environnement global de la vie de chacun, de manière égalitaire puisque tous les salariés étaient concernés, la libération d’un temps pour vivre, s’occuper de ses enfants, de ses parents, avoir des loisirs, consommer : voilà, en somme, ce qu’instaurèrent les 35 heures. Elles exprimaient la conviction selon laquelle il n’y a pas que l’argent, toujours l’argent, qui puisse rendre heureux, qu’il en faut toujours plus pour avoir une chance d’accéder au bonheur. Elles témoignaient aussi d’une ambition : cette démarche, qui recueillerait une adhésion d’abord timide, ferait finalement, inexorablement, l’unanimité.
Dans un sondage publié par Les Échos, 79 % des salariés des secteurs privé et public ne sont pas intéressés par le rachat de leurs RTT. En mai dernier, selon un sondage organisé par la Cegos, 80 % des salariés étaient favorables aux 35 heures. Ces deux sondages démontrent que la majorité des Français reste attachée aux 35 heures. Même si elles ont entraîné une intensification du travail, elles ont surtout permis d’importants gains en qualité de vie.
Si, au moins, l’autre promesse du candidat Sarkozy, concernant le pouvoir d’achat, s’était substituée à ce leurre du « travailler plus pour gagner plus » ! Hélas, ce n’est même pas le cas !
Monsieur le ministre, votre projet va à l’encontre non seulement de la volonté des salariés, mais aussi et surtout de leur intérêt.
En généralisant la négociation de gré à gré entre l’employeur et le salarié, sans reconnaître la subordination qui lie le second au premier, vous prenez l’initiative de la plus grave régression sociale qu’ait connue notre pays.
Depuis la fin du xxe siècle, les avancées sociales progressives – baisse du temps de travail et augmentation des salaires – ont favorisé un accroissement de notre productivité, laquelle reste aujourd’hui l’une des plus élevées du monde.
Alors que les principaux syndicats et le MEDEF étaient parvenus à un accord, votre projet de loi vise à le remettre en cause, au motif qu’il ne correspond pas à votre objectif du « travailler plus pour gagner plus », sans contrainte.
Quant aux cadres payés au forfait, qui avaient renoncé au paiement de leurs heures supplémentaires effectuées au-delà des 35 heures en échange d’un travail maximum de 13 heures par jour sans aller au-delà de 218 jours par an, ils sont les premiers touchés par la réforme. La limite du forfait est portée à 235 jours et pourra même atteindre 282 jours dans les entreprises qui auront négocié ce point. En contrepartie, les cadres percevront à partir du 219eme jour une majoration salariale de10 %. De qui se moque-t-on ? C’est proprement scandaleux !
Le « travailler plus pour gagner plus » est devenu le nouvel adage de la politique économique. Comme si le bonheur ne tenait qu’à l’argent ! Comme si tout le monde ne rêvait que de partir en vacances sur le yacht d’un copain ! Il aura fallu inscrire ce slogan dans le marbre et en faire un mot d’ordre, la devise d’une nation entière, un prêche !
Pourtant, nombre d’économistes s’accordent sur le fait que la richesse créée dans un pays dépend de la quantité, mais surtout de la qualité du travail, celle-ci correspondant à la productivité horaire. Brieuc Bougnoux démontre à qui veut bien le lire que les vrais facteurs de richesse d’un pays se résument en un niveau élevé du taux d’emploi et à la productivité horaire, non au nombre d’heures travaillées. D’ailleurs, les pays où l’on travaille le plus sont à la dernière place en termes de richesse par habitant. Cet économiste démontre également que les pays qui ont fait le choix du « travailler tous » plutôt que celui du « travailler plus » ont un PIB par habitant nettement supérieur.
Le slogan « travailler plus pour gagner plus » semble inadapté à la France ; le bon modèle devrait plutôt être « travailler tous et mieux, pour gagner plus ».
Quelles seront les conséquences de ce projet de loi ?
En favorisant le « travailler plus », ce projet de loi risque surtout de produire de nouveaux exclus du marché du travail. Qui paiera pour ceux-là, sinon ceux qui auront travaillé plus pour gagner plus eux-mêmes ! Les mêmes qui devront travailler davantage, non plus en termes d’heures mais d’années, pour gagner encore plus, pour payer encore plus et plus longtemps...
Votre logique n’est pas imparable. Elle est puissante dans l’affichage, mais elle ne passe pas le crible de l’analyse critique qui en révèle les faiblesses, la fatuité et, dirai-je, la pauvreté.
Contrairement à ce que vous avez cherché à faire croire aux Français, nous ne sommes pas tous obsédés par le quantitatif ; quelques-uns d’entre nous savent penser autrement. Nous ne rêvons pas tous de nous payer un yacht !
Parodiant un vers célèbre d’un auteur non moins célèbre, il nous faut « travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler ».
On peut vous reprocher non pas cette vision étriquée, mais votre entêtement, envers et contre tous, à vouloir abîmer une belle vision qui n’était pas la vôtre, celle d’aimer son travail, d’être heureux au travail, de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, une vision partagée par 80 % des Français. Or vous la mettez à bas au profit d’un « toujours plus », dont l’objectif est d’encourager des modes de rémunération indexés sur les résultats de l’entreprise et déconnectés du régime fiscal et social des salaires.
Il va de soi que nous ne saurions voter pour une telle régression sociale !