Intervention de Albéric de Montgolfier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 11 juillet 2018 à 9h05
Examen du rapport d'information préparatoire au débat d'orientation des finances publiques dofp

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général :

L'article 48 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoit qu'« en vue de l'examen et du vote du projet de loi de finances par le Parlement, le Gouvernement présente, au cours du dernier trimestre de la session ordinaire, un rapport sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques ». Le débat d'orientation des finances publiques (DOFP) est supposé constituer une étape essentielle de la préparation des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale, mais il ne présente cette année aucune réelle plus-value par rapport au programme de stabilité présenté en avril dernier. Lundi à Versailles, j'ai entendu beaucoup d'annonces sur des mesures nouvelles pour 2019 - plan pauvreté, service national, etc. - mais rien sur leur financement. C'est dommage, car le respect formel de l'article 48 de la LOLF n'est pas tout, et il serait utile d'éclairer les grands choix par des informations sur leur financement.

La seule véritable évolution concerne le coût de la suppression complète de la taxe d'habitation - elle aurait dû intervenir dès le programme de stabilité. Aucune information complémentaire, en revanche, sur la manière dont le Gouvernement entend tenir ses objectifs de maîtrise de la dépense... Le rapporteur général de l'Assemblée nationale Joël Giraud s'en plaint, cela figure dans Les Échos ce matin. J'en conclus que le Sénat n'est pas moins bien traité que l'Assemblée nationale ! Les arbitrages ne sont-ils pas encore rendus ? Ou l'exécutif ne veut-il pas les dévoiler maintenant ?

Quoi qu'il en soit, nous n'avons toujours pas reçu le « tiré à part », qui détaille les crédits par mission et les schémas d'emplois pour l'an prochain. Et de nouvelles mesures coûteuses ont été confirmées par le Président de la République au Congrès, mais elles ne figurent pas dans le présent document. Le débat d'orientation des finances publiques est ainsi très largement vidé de son sens, loin de la promesse de rénovation de la procédure budgétaire. Le président Vincent Éblé et moi-même ferons à ce sujet des propositions dans le cadre de la révision constitutionnelle.

Le programme de stabilité d'avril était marqué par une révision à la hausse du scénario de croissance du Gouvernement, dans une conjoncture macroéconomique qui paraissait alors particulièrement porteuse. Depuis, différents signaux conjoncturels ont fait naître un doute sur la solidité de la reprise. Un fléchissement du rythme de croissance du PIB était certes attendu fin 2017, mais l'ampleur du ralentissement n'avait pas été anticipée. Alors que l'Insee tablait sur une croissance de 0,4 %, le PIB n'aurait finalement augmenté que de 0,2 %. Cette contre-performance s'accompagne d'une dégradation des résultats des enquêtes de conjoncture. L'indicateur de confiance des ménages est repassé sous sa moyenne historique, et si le climat des affaires reste à un niveau très élevé, il est orienté à la baisse depuis décembre dernier.

Le ralentissement de la croissance française est particulièrement marqué mais il n'est pas isolé, on l'observe dans l'ensemble de la zone euro ; il tient non seulement à des facteurs temporaires mais aussi à des facteurs plus durables liés à la conjoncture internationale et à la position des économies européennes dans le cycle. S'agissant des facteurs temporaires, la baisse du pouvoir d'achat au premier trimestre, d'une ampleur sans précédent depuis 2012, a freiné la consommation des ménages. Le choix d'étaler la baisse des cotisations sociales mais de relever immédiatement la fiscalité indirecte y est pour beaucoup... On peut espérer un rebond de la consommation sur la seconde partie de l'année, mais je n'y crois guère par la suite, avec l'effet psychologique lié au prélèvement à la source et à la diminution du salaire effectivement versé. Le mouvement de grève qui affecte les transports ferroviaires depuis avril pourrait en outre avoir pesé sur la croissance du deuxième trimestre jusqu'à 0,1 point.

Des facteurs plus durables semblent également à l'oeuvre : l'effet décalé de l'appréciation de l'euro en 2017 et la forte remontée du prix du pétrole dessinent un environnement international moins porteur pour les économies européennes. Les tensions liées à la politique commerciale américaine pourraient commencer à peser sur la confiance. Enfin, on constate l'apparition de contraintes d'offre pesant sur l'appareil productif ; dans l'industrie manufacturière, la part des entreprises se déclarant dans l'impossibilité de produire davantage avec leurs moyens actuels a atteint un niveau sans précédent depuis 2007.

Dans ce contexte, les conjoncturistes ont logiquement commencé à réviser à la baisse leurs scénarios de croissance pour la France.

Alors que la prévision du Consensus forecasts pour 2018 avait été revue à la hausse à plusieurs reprises entre octobre et mars, de 0,4 point au total, la tendance s'est inversée à compter d'avril, avec une baisse de 0,2 point. Le Gouvernement a toutefois fait le choix de ne pas modifier le scénario macroéconomique du programme de stabilité, qui peut dès lors être qualifié de modérément optimiste. L'hypothèse de croissance pour 2018 reste de 2 %, alors que les prévisions les plus récentes de l'Insee et de la Banque de France sont respectivement à 1,7 % et à 1,8 %. De même, le scénario gouvernemental continue de reposer sur une prévision de croissance de 1,9 % en 2019, contre 1,7 % pour la Banque de France et le Consensus forecasts de juin. Les risques pour les finances publiques semblent néanmoins contenus, puisque 0,1 point de PIB en moins se traduit sur le solde budgétaire par 0,06 point de PIB en moins. Rien de très inquiétant encore...

En avril dernier, j'avais vivement regretté l'absence de traduction des annonces présidentielles - suppression complète de la taxe d'habitation et reprise d'une partie de la dette de SNCF Réseau -, dans le scénario budgétaire transmis aux institutions européennes. Ici, le Gouvernement a fort heureusement intégré le coût de la suppression complète de la taxe d'habitation : 8 milliards d'euros environ, sous l'hypothèse d'un maintien de la taxe sur les résidences secondaires. La suppression complète « débutera en 2020 et se fera de manière progressive », indique le Gouvernement. La question n'est pas inscrite à l'ordre du jour de la Conférence nationale des territoires. Surtout, le ministre Gérald Darmanin s'était engagé à financer la suppression de la taxe d'habitation par des économies. Hélas, elle le sera par le déficit. Ce revirement ne laisse pas d'inquiéter pour la suite du quinquennat. D'autant que la France est le seul État européen, avec le Luxembourg, où l'endettement s'est accru l'an passé. Il s'agit en tout cas de la seule évolution par rapport au scénario budgétaire du programme de stabilité. De ce fait, le solde public est inférieur de 0,3 point au niveau initialement prévu pour 2022, tandis que la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale est diminuée d'autant.

Le recours au déficit pour financer la suppression de la taxe d'habitation éloigne encore un peu plus la trajectoire gouvernementale de nos engagements européens. La réduction du déficit structurel en souffrira. Le précédent scénario gouvernemental exploitait déjà pleinement les déviations maximales autorisées par le pacte de stabilité... Les efforts prévus par le Gouvernement sont désormais insuffisants sur l'ensemble de la période 2019-2021. Si la précédente majorité avait pour habitude de présenter une trajectoire budgétaire compatible avec les règles budgétaires du pacte de stabilité pour mieux s'en écarter en exécution, le Gouvernement actuel innove en s'en affranchissant d'emblée... La France devra de nouveau compter sur la bienveillance des institutions européennes, au risque de fragiliser les réformes de la zone euro.

L'impact de la reprise de la dette de la SNCF n'est toujours pas pris en compte. Le Premier ministre a indiqué le 25 mai dernier que l'État en reprendrait 35 milliards d'euros durant le quinquennat - 25 milliards d'euros en 2020 et 10 milliards d'euros en 2022. Le traitement comptable de l'opération est aujourd'hui incertain, compte tenu de la possibilité que l'entreprise SNCF Réseau soit d'ici là reclassée au sein des administrations publiques par le comptable national. Actuellement, SNCF Réseau ne relève pas du secteur des administrations publiques. L'Insee a toutefois l'intention de réexaminer ce point, compte tenu des baisses de péages prévues et des évolutions de la méthode de calcul des recettes marchandes portées par Eurostat.

Dès lors, soit SNCF Réseau n'est pas reclassée avant la reprise de dette : le déficit serait alors creusé de 25 milliards d'euros en 2020 puis de 10 milliards d'euros en 2022, car la reprise s'analyserait comme une dépense. La dette publique s'alourdirait de 14 milliards d'euros en 2020 et de 10 milliards d'euros supplémentaires en 2022. Soit SNCF Réseau est reclassée avant la reprise de dette : dans ce scénario, toute reprise serait analysée comme une opération purement interne au secteur public et ne pèserait pas sur le déficit public de l'année. En revanche, celui-ci serait chaque année augmenté du besoin de financement de SNCF Réseau, 0,1 point de PIB actuellement. La dette de SNCF Réseau, qui s'élève à 46,6 milliards d'euros en 2017, serait intégralement prise en compte dans le ratio d'endettement public. Le reclassement aboutirait à augmenter la dette publique d'environ 35 milliards d'euros.

L'incertitude sur le traitement comptable aurait déjà pu être levée : il suffisait de recourir à la procédure d'avis ex ante. Le Gouvernement aurait obtenu une réponse d'Eurostat dans un délai de deux mois maximum. En tout état de cause, quelle que soit la décision, le taux d'endettement se trouvera significativement augmenté en fin de période. Or la France est déjà, parmi les « grands » pays de la zone euro, celui qui a la dynamique de désendettement la moins ambitieuse sur la période.

L'autre sujet qui fâche est le redressement des comptes publics. Il repose entièrement sur la maîtrise de la dépense publique, dès lors qu'il est prévu de baisser les prélèvements obligatoires. La croissance de la dépense publique serait limitée à 0,4 % en volume sur la période 2018-2022, un rythme deux fois inférieur à celui observé entre 2010 et 2016. Le montant des économies nécessaires pour respecter l'objectif d'évolution de la dépense publique reste évalué à environ 80 milliards d'euros, avec un effort concentré sur les trois derniers exercices du quinquennat.

En lui-même, l'objectif d'évolution de la dépense publique du Gouvernement est approprié. Une récente étude de France Stratégie a montré que tous nos voisins européens ou presque ont connu un épisode d'ajustement structurel des dépenses publiques de même ampleur sur cinq ans. Reste à savoir si l'objectif sera tenu - et comment il le sera. L'identification des économies se fait toujours attendre et l'on peut craindre un dérapage de la dépense - et ce d'autant plus que de nouvelles mesures coûteuses ont été confirmées, comme le service national universel.

Pour l'État, la trajectoire repose sur une norme de dépenses pilotables, un objectif de dépenses totales (ODETE) et un objectif de suppression de 50 000 emplois à l'échelle du quinquennat.

Le respect des normes repose sur des économies issues d'Action publique 2022, dont nous attendons toujours les conclusions, qui devaient être remises en février dernier. Je crains que ce processus ne connaisse le même sort - l'étagère à poussière - que la modernisation de l'action publique ou les revues de dépenses.

En outre, le respect de l'objectif de réduction de 50 000 emplois à l'échelle du quinquennat apparaît difficilement tenable, en dépit de l'annonce récente d'importantes suppressions de postes à Bercy. Il exigerait désormais, compte tenu des créations de postes déjà annoncées pour la police, la justice, la défense, de supprimer 70 000 postes dans les ministères non prioritaires, qui ne représentent pourtant que 300 000 emplois, soit 15 % du total des effectifs de l'État, comme le relève la Cour des comptes.

Pour l'exercice 2019, un projet de loi de finances doit être déposé dans trois mois. Or les pistes d'économies restent très floues. Sont simplement évoquées par la presse la division par deux des contrats aidés, pour une économie de 200 millions d'euros l'an prochain, et la « contemporanéité » des aides au logement, qui rapporterait 1,3 milliard d'euros. La représentation nationale, si elle souhaite des informations, doit lire la presse...

Pour la sphère sociale, la trajectoire fixée paraît difficilement tenable, le Gouvernement ayant confirmé que la future réforme des retraites ne vise pas à faire des économies. En effet, avec une croissance tendancielle des dépenses de retraite de 1,6 % par an en volume et un Ondam à 2,3 % en valeur, contenir la hausse totale des dépenses sociales à 0,5 % en volume supposerait que les autres dépenses sociales baissent chaque année de 2,2 % en volume, ce qui paraît improbable.

Nous n'avons par ailleurs aucune information sur la « rénovation » des relations financières entre l'État et la sécurité sociale : le scénario budgétaire repose pourtant dès 2019 sur un transfert partiel des excédents de la sphère sociale vers l'État, pour un montant encore inconnu. La loi de programmation imposait au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur le sujet avant la fin du premier trimestre 2018. On l'attend encore.

Enfin, s'agissant de la sphère locale, la trajectoire repose sur une contractualisation qui n'en est pas une. L'efficacité et la pertinence de cette méthode restent à démontrer. Ainsi que le résume la Cour des comptes, « outre les incertitudes sur l'impact effectif des contrats signés avec les grandes collectivités sur la maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, on ne peut exclure que les collectivités territoriales utilisent les marges dégagées par une croissance des dépenses de fonctionnement sensiblement inférieure à celle de leurs recettes pour accroître leurs investissements ou réduire leur fiscalité ».

Dans ces conditions, il est toujours aussi difficile de porter un jugement sur la crédibilité de la trajectoire gouvernementale, laissant craindre un retour de la technique du « rabot » et des dépassements importants en exécution. Il faudra bien que le Gouvernement « sorte du bois » et explique enfin quelle est sa stratégie budgétaire, car le document qu'il nous a transmis est indigent.

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