Intervention de Corinne Imbert

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 11 juillet 2018 à 14h00
Audition conjointe du docteur carine wolf-thal présidente du conseil national de l'ordre des pharmaciens et du docteur jean-marcel mourgues président de la section santé publique et démographie médicale du conseil national de l'ordre des médecins

Photo de Corinne ImbertCorinne Imbert, présidente :

Notre mission d'information accueille à présent le docteur Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens, accompagnée de M. Alain Delgutte, président du Conseil central des pharmaciens titulaires d'officine et de Mme Caroline Lhopiteau, directrice générale ; et le docteur Jean-Marcel Mourgues, président de la section santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins, accompagné de Mme Cécile Bissonnier, juriste responsable de la section santé publique et démographie médicale.

Je vous remercie d'avoir accepté cette audition conjointe, qui apporte l'éclairage de deux professions médicales sur les sujets de l'herboristerie et des plantes médicinales qui intéressent notre mission.

Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et d'une retransmission en direct sur notre site Internet. Elle a été ouverte à la presse ainsi qu'au public.

Dr Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. - Mon propos portera sur la complexité et le danger lié à l'utilisation des plantes, ainsi que sur ma conviction que les médecins et pharmaciens sont le mieux à même de répondre à la demande sociétale.

Les pharmaciens sont des promoteurs de la phytothérapie ; le soin par les plantes est à l'origine même de la pharmacie, puisque 70 % de notre pharmacopée est issue du monde végétal. La réglementation vise d'abord à protéger le patient en évitant tout risque pour la santé publique.

Il y a bien une attente sociétale forte de produits naturels doux, sans effets indésirables, efficaces, utilisés surtout en traitement préventif ou contre les petits maux du quotidien. 45 % des Français disaient en 2011 avoir recours à la phytothérapie, 65 % lui faisaient confiance ; mais elle recouvre des produits aux statuts très divers, à vocation médicale, mais aussi alimentaire ou de bien-être.

Or, il existe une confusion sur le statut de ces produits. Soin par les plantes ne veut pas dire soin sans danger : 5 à 10 % des intoxications traitées aux urgences ou dans les centres antipoison sont ainsi liées à l'ingestion de plantes comme l'aconit, l'if, la belladone ou le datura.

Le pharmacien est le plus à même de répondre aux exigences de sécurité liées à leur utilisation, il possède la connaissance des plantes médicinales et de leurs dérivés, qui requièrent une technicité importante. Certaines plantes ou huiles essentielles peuvent être irritantes, neurotoxiques, photo-sensibilisantes ou caustiques. Il y a aussi des contre-indications pour les femmes enceintes ou allaitantes, les enfants, les sujets épileptiques ou allergiques.

Les plantes peuvent aussi modifier l'activité de certains médicaments. Ainsi le millepertuis, antidépresseur léger, est aussi un puissant inducteur enzymatique qui diminue l'efficacité de certains contraceptifs hormonaux et traitements immunosuppresseurs. Les patients cancéreux ont souvent recours aux plantes médicinales, principalement pour diminuer les effets des traitements mais aussi, parfois, pour se guérir. Or des interactions gravissimes entre thérapies anticancéreuses orales et phytothérapie ont été mises en évidence.

Second risque, le détournement des pratiques par des acteurs prétendant poser un diagnostic ou soigner des pathologies lourdes par la phytothérapie. Les prescriptions illégales de mélanges de plantes ou d'huiles essentielles, notamment par des naturopathes ou des guérisseurs, sont régulièrement constatées en officine. L'ordre des pharmaciens se porte parfois partie civile contre les personnes qui exercent illégalement la pharmacie.

Le pharmacien est un professionnel de santé dont la formation est fondée sur la connaissance scientifique ; il connaît aussi la réglementation s'appliquant à ces différents produits. Il a reçu 30 heures d'enseignement de pharmacognosie ; le stage de sixième année lui apprend à reconnaître les plantes. Quatorze facultés de pharmacie proposent, en formation continue, trois diplômes universitaires et diplômes interuniversitaires consacrés aux plantes. Le droit pharmaceutique est aussi enseigné.

Deuxième avantage, la pharmacie d'officine est en mesure de répondre aux attentes sociétales à travers son maillage territorial et d'assurer un accès pour tous aux plantes médicinales en toute sécurité.

Troisième point, elle est un rempart contre la falsification, par la mise en place de circuits d'approvisionnement étanches auprès d'établissements pharmaceutiques autorisés. Les pharmacies sont contrôlées par les autorités de tutelle, et, acteurs de santé publique, soumises à un code de déontologie destiné à protéger l'intérêt du public.

Enfin, le pharmacien a à sa disposition l'ensemble de l'arsenal thérapeutique. Son cursus comporte des enseignements de physiopathologie et de pharmacologie ; il est ainsi en mesure d'évaluer les interactions entre allopathie et phytothérapie susceptibles d'engendrer des pertes de chances. Lors de l'acte de dispensation, tout pharmacien procède à l'analyse de la demande ; il consulte le dossier pharmaceutique du patient contenant les médicaments dispensés au cours des quatre derniers mois. Il a le devoir de refuser la délivrance d'un produit lorsque la santé du patient l'exige.

Il n'est pas certain que les circuits basés sur la seule vente des plantes répondent aux mêmes exigences déontologiques. Il existe un recensement des interactions médicamenteuses dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit) de chaque spécialité, qui n'a pas d'équivalent en phytothérapie. Seule la connaissance du pharmacien lui permet, à ce jour, de discerner les interactions. En région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, cinq établissements hospitaliers ont bâti un outil de détection des risques liés à la consommation de plantes par les patients cancéreux.

Le pharmacien peut aussi orienter le patient dans le système de soins, le diriger vers un autre professionnel de santé lorsque la situation l'exige.

Les pharmaciens intègrent et comprennent la demande sociétale ; avec les médecins, ils sont les seuls professionnels de santé incontournables pour y répondre, sans risque de perte de chances pour le patient. Il en va de la sécurité de la prise en charge et de la santé publique.

Dr Jean-Marcel Mourgues, président de la section Santé publique et démographie médicale du Conseil national de l'ordre des médecins. - Je suis tout à fait en accord avec le propos de ma collègue. L'herboristerie provoque souvent l'embarras chez les médecins. La prescription de plantes médicinales renvoie à la phytothérapie qui est le plus souvent, selon l'OMS, une médecine non conventionnelle faute d'études cliniques spécifiques en prouvant l'efficacité. Il y a cependant un attrait manifeste pour une médecine dite naturelle, liée en partie aux scandales récents causés par certains médicaments.

Certains sites internet surfent sur la vague du naturel et du bio, mais aussi sur la défiance de la population vis-à-vis du médecin. Il est toutefois difficile d'évaluer rigoureusement et scientifiquement ces attentes, sur un plan qualitatif et quantitatif. L'information fait aussi défaut sur les dangers liés à l'utilisation des huiles essentielles ou des plantes médicinales, par voie orale, inhalée ou cutanée.

La phytothérapie est très peu enseignée en formation initiale. Il existe quelques diplômes universitaires ouverts aux médecins et aux pharmaciens, mais ils ne donnent pas droit au titre pour les médecins, sur les plaques comme sur les ordonnances. Les interactions médicamenteuses restent peu documentées alors que nous sommes confrontés à l'automédication, dont le patient n'informe pas toujours le médecin.

Ce manque d'information est lié au manque de connaissance de la phytothérapie par les médecins. La loi du 11 septembre 1941 a réservé la pratique de l'herboristerie aux seules personnes qui en étaient encore diplômées. Le nombre de médecins possédant un diplôme spécialisé en phytothérapie n'est pas connu.

Pour autant, l'Ordre reçoit de nombreux signalements de thérapeutes auto-qualifiés, mais peu d'un exercice déviant de médecins. Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) travaille aussi régulièrement avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

La prolifération de sites internet vendant des produits onéreux, sans contrôle possible et en profitant de la vulnérabilité des malades, est inquiétante. L'Ordre a récemment participé à un groupe de réflexion sur les faux médicaments produits à l'étranger. La production de plantes médicinales inspire des inquiétudes analogues.

Le CNOM saisit parfois la DGCCRF si les allégations sur les effets de ces produits paraissent trompeuses et dangereuses pour la santé. Seule la DGCCRF est compétente sur les compléments alimentaires. Il serait plus logique que les dossiers passent par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), puisqu'il s'agit de produits qui agissent sur la santé. Cela garantirait la qualité et la traçabilité du produit à travers la mise en place d'un système de pharmacovigilance.

À notre époque, la sécurité du médicament et des plantes médicinales est une préoccupation importante de nos concitoyens, des agences d'État et des ordres de professionnels de santé.

Le CNOM n'est pas favorable à la reconnaissance des herboristes en tant que professionnels de santé, alors que les pharmaciens possèdent les compétences nécessaires. Ce serait permettre un exercice très tubulaire, où le discernement nécessaire à la prise en charge thérapeutique globale, sans perte de chances, ferait défaut.

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