Intervention de Claude Marodon

Mission d'information Développement de l'herboristerie — Réunion du 11 juillet 2018 à 14h00
Audition du docteur claude marodon docteur en pharmacie et président de l'aplamedom association pour les plantes aromatiques et médicinales de la réunion

Claude Marodon, docteur en pharmacie et président de l'Aplamedom de La Réunion :

Je vous présenterai la situation à La Réunion. Grâce à l'audition complémentaire d'Henry Joseph en Guadeloupe, vous aurez un panorama assez complet des outre-mer.

Je préside l'Association pour la promotion des plantes médicinales des départements d'outre-mer à La Réunion, mais cette association existe dans chaque département d'outre-mer ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie et à Tahiti. Depuis 1999, nous travaillons à la reconnaissance des plantes d'outre-mer dans la pharmacopée française. Association pluridisciplinaire et transversale, nous rassemblons des tisaniers, des praticiens traditionnels, des agriculteurs, des botanistes, des professionnels de la santé, des universitaires... Nous mettons toutes nos compétences au service de cette reconnaissance. Nous avons des partenaires institutionnels et bénéficions de fonds de la région, du département, de l'État, des fonds européens mais aussi du pôle de compétitivité Qualitropic et d'un cyclotron, arrivé juste après l'épidémie de chikungunya en 2006.

Cette association d'ethnopharmacologie existe depuis vingt ans grâce à Jacques Fleurentin, Jean-Marie Pelt et Guy Mazars, qui ont permis de recenser les savoirs traditionnels pour en faire des médicaments, et souvent des médicaments du futur. Ainsi, pour guérir des épidémies de chikungunya, de dengue et de zika, virus de la même famille, nous faisons des recherches sur l'usage traditionnel des plantes, mais aussi dans le cas de cancers qui peuvent être soignés par des nanoparticules présentes dans des plantes médicinales qui agissent comme des cibles sur les cellules cancéreuses. Les populations ultramarines sont souvent atteintes de maladies métaboliques comme le diabète, l'obésité et l'insuffisance rénale. Nous essayons de comprendre si des plantes médicinales peuvent apporter quelque chose.

Notre association a trois buts principaux : promouvoir l'utilisation des plantes, valider scientifiquement leur usage, valoriser et développer les ressources végétales locales. Nous restituons l'information aux professionnels de santé mais aussi aux agriculteurs et au grand public qui sont dans l'attente de connaissances traditionnelles et surtout d'objectivation : lorsqu'une plante est toxique ou qu'elle peut être dangereuse pour la santé, notre devoir de professionnels de santé est d'informer le public sur la dangerosité des usages traditionnels dont la toxicité chronique n'apparaît souvent pas de prime abord.

Nous participons régulièrement à des conférences, communications, colloques et publications. La Réunion est l'un des 34 hotspots (points chauds) de la biodiversité mondiale : on y observe plus de 100 microclimats différents actuellement. L'île compte 116 habitats et est recouverte à 30% de forêts primaires ; 49% des espèces de plantes sont indigènes et 28 % endémiques. On peut extrapoler : la Guyane fait la superficie du Portugal.... On recense à la Réunion entre 550 et 600 plantes médicinales en usage potentiel thérapeutique, avec des allégations d'usage traditionnel - mais on ne peut pas parler d'usage thérapeutique tant qu'une reconnaissance n'a pas été faite à la pharmacopée française ; 73% sont exotiques - elles ne viennent pas de la Réunion - et 26% sont endémiques.

Près de 87% de la population utilise les plantes médicinales - contre 46% dans l'Hexagone, soit deux fois plus.

Ces plantes sont principalement en culture ; nombre d'entre elles sont endémiques, souvent en forêt. Pour protéger les espèces menacées, nous nous portons garants et exigeons que les cultures soient organisées pour pouvoir utiliser les plantes - nous appliquons ainsi une directive de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis 2002, reprise dans la stratégie de l'OMS sur la médecine traditionnelle de 2013-2014. Le Dr. Marguerite Chan y écrivait que les trois principaux piliers de la reconnaissance des plantes et de l'usage traditionnel sont d'améliorer la santé et l'autonomie des patients, de contribuer par des médecines alternatives et complémentaire à la santé, au bien-être et aux soins de santé, et de favoriser un usage sûr et efficace des médecines alternatives et complémentaires. Ainsi, l'hypericum perforatum Fleurs jaunes, sorte de millepertuis utilisé localement, est une espèce différente du millepertuis européen. Il ne contient pas d'hypericine comme en métropole et n'a ni les mêmes propriétés, ni le même usage. Cette connaissance nécessite de longues recherches.

Les Codex existaient avant l'abolition de l'esclavage. Or, dans le Code noir de l'esclavage, particulièrement aux Antilles, mais aussi à la Réunion, il était interdit avant 1848 aux gens de couleur d'utiliser des plantes médicinales et d'en faire commerce. Les Codex ont continué à être mis à jour après l'abolition de n'esclavage, mais nous avions une définition du Codex et de la pharmacopée qui ne reconnaissait pas les plantes d'outre- mer. Grâce au Dr. Henry Joseph et à Me Isabelle Robard, l'article L. 5112-1 du code de la santé publique a été modifié en 2009 dans le cadre de la loi de développement économique des outre-mer par un vote unanime à l'Assemblée nationale et au Sénat. « La pharmacopée comprend les textes de la pharmacopée européenne et ceux de la pharmacopée française, y compris ceux relevant de la pharmacopée des outre-mer qui remplissent les conditions de la réglementation en vigueur dans le domaine. (...) Elle est publiée dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. » Cela garantit aux consommateurs que les plantes utilisées avec des allégations thérapeutiques ont été contrôlées, tracées et vérifiées scientifiquement.

Le comité interministériel de l'outre-mer a été créé en 2011 et grâce à l'Office pour le développement de l'économie agricole d'outre-mer en 2011, les premières plantes ont pu être inscrites en 2013 auprès de l'ANSM avec les deux critères principaux - efficacité des plantes et innocuité. Nous avons rajouté le critère supplémentaire de l'endémicité à La Réunion pour préserver les ressources. Une île est un territoire très fragile, avec une biodiversité en équilibre précaire. L'exploitation n'est donc possible qu'avec des cultures. Sur notre site, vous trouverez les 22 premières plantes exotiques inscrites très utilisées à La Réunion. Il était nécessaire d'obtenir leur validation scientifique pour les inscrire à la pharmacopée française. Quelques plantes n'ont pas passé le cap de l'inscription à la pharmacopée parce qu'elles pouvaient avoir une toxicité chronique qui posait un problème de sécurité sanitaire. Certaines plantes, comme le bois de quivi ou le bois jaune, sont inscrites en liste B : elles nécessitent une prescription médicale parce leurs risques sont supérieurs à leurs bénéfices. Comme le disait Paracelse, toutes les plantes sont des poisons ; un poison devient une drogue pour soigner grâce à son dosage.

Notre méthodologie est très simple, c'est celle de l'ethnopharmacologie : nous faisons des recherches bibliographiques, des enquêtes, et allons jusqu'au mode de culture. Nous travaillons sur les usages traditionnels médicinaux et vétérinaires mais aussi alimentaires, diététiques et hygiéniques. Nous étudions particulièrement les procédés, les dosages, les posologies, les recommandations et les conservations des plantes qui peuvent poser problème outre-mer. Toutes ces allégations entrent dans des bases de données qui classent selon cinq critères : l'innocuité, l'efficacité, l'endémicité, la productivité agricole et l'exploitabilité.

Après une recherche scientifique des modes d'action, nous répondons aux douze questions de l'ANSM pour inscrire cette plante à la pharmacopée : l'expertise botanique, les constituants chimiques, l'usage potentiel pharmaceutique, les indications thérapeutiques éventuelles, mais surtout la sécurité d'emploi - effets indésirables, contre-indications, interactions médicamenteuses, toxicologie... Grâce à la phytochimie, nous obtenons la composition des plantes. C'est une base d'une grande richesse - nous avons 500 à 600 espèces à étudier rien qu'à La Réunion. Avec les pharmacopées des Antilles et de la Guyane, ces territoires d'outre-mer rassemblent trois fois la pharmacopée française en termes de richesses et de possibilités.

Ces plantes sont ensuite mises dans les pharmacopées. Ainsi, l'association très dynamique Tramil, qui oeuvre depuis cinquante ans, a publié une Pharmacopée caribéenne, mais on peut aussi penser à l'ouvrage Tisaneurs et Plantes Médicinales Indigènes à La Réunion de Roger Lavergne, à Zerbaz Péi - nom populaire des plantes médicinales sur l'île, Des plantes et des hommes... Nous avons une importante demande de la part des acteurs du tourisme mais aussi de congrès internationaux. Nous avons créé à La Réunion le premier diplôme universitaire d'ethnomédecine, pour les étudiants de troisième et quatrième année de médecine, et pour former les médecins en formation continue à la médecine traditionnelle et aux plantes médicinales.

Nous avons une responsabilité sur la culture des plantes. Nous accompagnons l'émergence d'une filière des plantes aromatiques à parfum et médicinales. Nous étudions si la variabilité chimique de l'espèce est atteinte lorsqu'on la met en culture pour ne plus pouvoir ensuite faire de cueillette aléatoire. Nous respectons les Bonnes pratiques de collecte et de culture pour les matières premières d'origine végétale, guide émis par l'Agence européenne du médicament, sur la base des recommandations de l'OMS. Celui-ci donne des conseils pour obtenir un produit de qualité, fiable, et éviter toute contamination chimique ou végétale - germes fécaux, insecticides, pesticides, métaux lourds - pour obtenir une production proche du bio sans l'être forcément. Cette documentation est remise à tous les acteurs de la chaîne, du producteur au distributeur, en passant par le transformateur et le transporteur.

Des étapes critiques sont en cours : il faut trois ans de jachère pour qu'une terre soit bio. Nous déterminons la qualité botanique, sanitaire et la traçabilité, et formons et encadrons le personnel, qui remplit des fiches de suivi des cultures.

Nous voulons allier santé publique et cohésion sociale. Le citoyen est exigeant en matière de qualité et veut des ressources proches du territoire. C'est une chance pour l'outre-mer d'avoir une telle économie émergente. Certains usages méritent une attention particulière, notamment lorsqu'ils font appel à des remèdes secrets, incompatibles avec la santé publique. Lorsque j'étudiais, on avait supprimé le diplôme d'herboriste en 1941 en raison de la recrudescence des charlatans. Il ne faudrait pas retomber dans le même travers actuellement en raison d'internet. Ce serait néfaste pour la santé publique mais aussi pour tous les acteurs.

J'en viens à mes propositions. Distinguons bien les outre-mer de l'Hexagone ; nous avons des singularités, même si nous sommes Français, et nous souhaitons libéraliser les plantes de la pharmacopée de la liste A qui ont le maximum d'innocuité - elles n'ont pas selon moi de raison d'être dans un monopole, et je suis pharmacien. Réhabilitons le remboursement des préparations à base de plantes médicinales : le déremboursement a abouti au désintérêt des plantes médicinales et le tout chimique a repris le dessus. Les préparations à base de plantes médicinales sont une source d'économie pour la santé publique, parce qu'elles apportent des réponses - certes non dénuées d'effets secondaires - à des problématiques simples comme l'absence de sommeil ou la grippe. À la Réunion, il n'y a parfois pas d'autre remède pour les épidémies de chikungunya et de dengue que des remèdes traditionnels. Nous avons des conditions sanitaires très différentes de celles de la métropole, qui sont aussi à l'origine d'une centaine de programmes de recherche scientifique. Nous souhaitons encourager les formations dans les facultés de pharmacie, les écoles de préparateurs, les facultés de médecine, les écoles et les lycées en agronomie. Il faut décloisonner tous les professionnels qui travaillent ensemble mais communiquent peu entre eux.

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