Intervention de Gilles Briatta

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 11 juillet 2018 à 17h30
Audition commune de Mme Marie-Anne Barbat layani directrice générale de la fédération bancaire française et de Mm. Gilles Briatta secrétaire général de la société générale et nicolas bonnault associé-gérant de rothschild and co

Gilles Briatta, secrétaire général de la Société générale :

J'ai 58 ans et j'ai rejoint le groupe Société générale en novembre 2011. En tant que secrétaire général, je supervise les directions juridique, administrative et fiscale, ainsi que celles chargées de la sécurité, de la responsabilité sociale d'entreprise, des affaires publiques et des assurances pour compte propre.

Auparavant, pendant vingt-cinq ans, j'étais un diplomate spécialisé dans les affaires européennes. J'ai été en poste à Paris, à Washington à la disposition de la Commission européenne, de nouveau à Paris au cabinet du ministre des affaires européennes, cinq ans à Bruxelles, deux ans en tant que numéro 2 de l'ambassade à Rome. Puis je suis devenu le directeur des affaires européennes du Quai d'Orsay. Il y a peu de modifications de traités ou d'élargissements de l'Union auxquels je n'ai pas participé. Enfin, durant quatre ans et demi, j'ai été Secrétaire général des affaires européennes, poste intégré dans les services du Premier ministre au sein duquel j'ai coordonné les positions françaises exprimées à Bruxelles sur tous les sujets. J'étais, en même temps, le conseiller européen du Premier ministre. L'un des dossiers majeurs dont j'étais alors chargé était la coordination, avec mon homologue de l'Élysée, de la présidence française de l'Union et la conclusion de la négociation sur le premier paquet de mesures de lutte contre le réchauffement climatique.

Ce dernier poste était pour moi un accomplissement. S'est alors posée la question de la suite... J'aurais pu trouver un poste d'ambassadeur. Je n'étais donc pas à plaindre. Est alors arrivée la proposition de la Société générale, que je ne connaissais que de nom.

Pendant vingt-cinq ans, j'ai vécu une passion pour les affaires européennes, qui sont complexes et ont un très fort impact. J'ai été mêlé à toutes les crises, y compris la montée de l'euroscepticisme, et aussi aux crises de 2008 et de 2011, qui ont failli tout emporter. J'ai eu du mal à abandonner cet intérêt pour les affaires globales, y compris économiques et financières.

Sur un plan plus personnel, j'ai été le seul fonctionnaire dans une famille de chefs de petites PME. Le secteur privé n'était donc pas pour moi une étrangeté. J'ai reçu peu de propositions du secteur, ce qui ne m'étonne pas puisque je ne viens pas du ministère des finances ou d'un grand corps technique. Le corps diplomatique n'est pas le vivier habituel des grandes entreprises françaises.

La Société générale m'a proposé un véritable poste de coordination - j'ai été coordinateur toute ma vie -, avec une dimension horizontale qui m'a conduit à m'occuper de toutes les activités de l'entreprise. Ce monde financier, j'avais constaté son importance en 2008 et 2011 pour le rayonnement de la France et la solidité de la construction européenne.

C'était une période de crise pour cette banque : l'affaire Kerviel en 2008, la crise des liquidités de la zone euro en 2011. Un diplomate s'intéresse à de tels événements. Par ailleurs, ce groupe a une forte dimension internationale - il est présent sur tous les continents - et juridique. Tout cela me tentait.

Il y avait des raisons d'hésiter. Ma famille, qui considérait mon poste diplomatique avec curiosité, voyait d'un mauvais oeil le métier de banquier. Ce n'est pas la profession la plus populaire chez les chefs de PME... J'ai connu, enfin, dans ma jeunesse des événements dramatiques, largement dus à une rupture de ligne de crédit dans la PME familiale. Mais il ne s'agissait pas de la même banque ! Cela m'a montré que les décisions bancaires ont un impact gigantesque sur les individus. Du fait de la crise, plusieurs amis m'ont déconseillé de rejoindre une banque à cette période, en août 2011. Or ce défi m'intéressait. Dernier argument : l'anxiété naturelle. Il est difficile de refaire ses preuves à plus de 50 ans, alors que l'on est reconnu professionnellement dans un terrain de confort.

Je remercie la République pour les vingt-cinq ans que j'ai passés à son service, car c'était passionnant. La surprise a été de trouver une activité professionnelle qui m'a passionné de la même manière, alors qu'elle est très différente, et qui implique de nombreux échanges avec la fonction publique.

Notre banque est systémique, ce qui est un enjeu central pour la nation : c'est un organisme d'importance vitale, au sens du code de la défense, qui fait l'objet de nombreuses règlementations, portant notamment sur nos systèmes d'information. L'industrie bancaire est aussi l'une des plus régulée au monde, ce qui implique des contacts incessants avec les régulateurs, les superviseurs, les banquiers centraux.

En 2014, un événement a totalement changé les rapports de la banque avec les autorités publiques : l'Union bancaire, changement le plus important de l'histoire bancaire depuis la révolution industrielle. Ce n'est désormais plus la Banque de France qui donne la licence, mais la Banque centrale européenne (BCE). Ma spécialisation européenne trouvait à s'appliquer face à ce changement que je considérais, à titre personnel, comme absolument nécessaire.

Autre grande découverte, le poids croissant des États-Unis sur la finance européenne depuis la crise financière. Nos grands concurrents sont les banques américaines. Entre la première banque européenne et la première banque américaine, le rapport est de 1 à 5 en termes de capitalisation boursière.

En réponse à la crise financière, les Américains ont concentré leurs banques. Cette force de frappe leur fait gagner des parts de marché, y compris dans la zone euro. Le faire comprendre à ceux qui influencent les règlementations nationales et européennes est compliqué. Ainsi, lorsqu'il y a eu un projet européen de séparation des activités bancaires entre la banque de détail et la banque d'investissement, l'aspect de concurrence internationale était absent des débats.

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