Intervention de Marie-Anne Barbat-Layani

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 11 juillet 2018 à 17h30
Audition commune de Mme Marie-Anne Barbat layani directrice générale de la fédération bancaire française et de Mm. Gilles Briatta secrétaire général de la société générale et nicolas bonnault associé-gérant de rothschild and co

Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française :

Merci de nous donner l'occasion d'évoquer notre parcours et notre travail. Quelques mots d'abord sur ma carrière : je suis entrée à l'ENA en 1991, puis j'ai passé dix-huit ans au service de l'État, après l'ENA. J'ai quitté la fonction publique en 2007, à 40 ans. J'arrivais à un moment où je voyais qu'il n'y avait plus beaucoup de perspectives pour moi à la direction du Trésor et j'ai donc rejoint une entreprise privée.

La spécificité de mon parcours, c'est que je suis revenue au service de l'État en 2010, comme directrice adjointe du cabinet de François Fillon, puis, en 2012, à l'Inspection générale des finances, où j'ai passé deux ans. J'ai assez rapidement compris que l'État ne me confierait plus de fonctions opérationnelles, alors que j'avais toujours envie d'être dans l'action. J'ai accepté le poste de directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF) en 2014.

Cette fédération regroupe 347 entreprises bancaires, quels que soient leur statut et leur origine. En font aussi partie des banques étrangères, de plus en plus d'ailleurs, ce dont nous nous réjouissons puisque la place de Paris attire toujours davantage. La structure elle- même regroupe 115 salariés. En prenant la direction de la Fédération, j'avais envie de devenir patronne de PME - certes, une PME quelque peu particulière, en raison de son statut associatif - et d'être chargée de la gestion de l'entreprise, avec un budget, des recrutements, des salariés à gérer... Je dois dire d'ailleurs a posteriori que j'aurais probablement dû faire cela avant d'exercer des fonctions dans l'administration qui m'ont conduite à prendre des décisions ayant un impact direct sur la gestion des entreprises.

Quand je travaillais à la direction du Trésor, des règles très strictes étaient appliquées par notre dirigeant, à l'époque Jean-Claude Trichet. On ne devait pas quitter la direction avant huit ans, car le directeur estimait qu'il fallait avoir occupé un premier poste de management dans l'administration avant d'expliquer au reste de l'administration ce qu'il fallait faire. Ces règles n'ont pas, me semble-t-il, perduré.

Le législateur a confié à la Fédération bancaire française et à l'Association française des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (AFECEI), une autre association dont je suis la directrice générale et qui regroupe plusieurs professions financières, un rôle particulier dans l'élaboration de la loi et de la réglementation. La profession, comme le prévoit le code monétaire et financier, participe à deux comités très importants : le comité consultatif de la législation et de la réglementation financière (CCLRF) et le comité consultatif du secteur financier, dont font partie des parlementaires, qui organise la concertation entre les banques et leurs clients. Elle est appelée, de par la loi, à apporter son expertise lors de l'élaboration de la règle. Cela n'est pas nouveau : l'AFECEI joue, depuis la loi bancaire de 1984, un rôle de représentation de la profession dans les diverses instances qui s'occupent du secteur financier au sens large. J'ai recensé une trentaine d'institutions, d'instances consultatives, d'observatoires dans laquelle la FBF ou ses adhérents siègent. Le lien entre l'administration et cette profession très réglementée est donc important.

Le secteur bancaire a constitué un fil directeur dans ma carrière, sans que j'y voie la moindre contradiction avec la passion que j'avais par ailleurs pour mon pays. Il constitue, selon moi, une filière d'excellence, un des rares secteurs d'ailleurs où la France est leader, particulièrement au niveau de la zone euro, mais également au niveau international, même si les banques européennes sont en perte de vitesse. Le secteur bancaire joue un rôle clé dans le financement de l'économie, notamment des entreprises - c'était d'ailleurs la priorité des banques françaises lors de l'élaboration du plan stratégique par la Fédération en 2015. En termes de dynamisme du crédit, d'accès au crédit et de taux de crédit, les banques sont championnes de la zone euro. L'économie française bénéficie avec son secteur bancaire d'un accélérateur de croissance et d'un outil qui fonctionne parfaitement bien. L'OCDE l'a d'ailleurs relevé dans son rapport d'avril 2015, en citant le secteur bancaire comme un des six principaux atouts de l'économie française.

Je rappellerai que quatre des neuf plus grandes banques de la zone euro, dites banques systémiques, sont françaises. Ces banques systémiques assurent 40 % des financements des entreprises et 46 % de ceux des particuliers dans la zone euro. Par ailleurs, le secteur bancaire emploie énormément puisqu'il compte 366 000 salariés sur le territoire français.

Il n'est pas très surprenant que ce secteur d'excellence cherche à recruter des talents dans les filières de formation d'excellence, dont certaines mènent à l'administration. Cela étant, ces recrutements ne sont pas quantitativement très importants. Nous avons interrogé nos adhérents pour obtenir quelques éléments chiffrés. Les banques n'ont pas d'indicateurs sur les recrutements qu'elles effectuent dans la fonction publique, ce qui montre que ce n'est pas un objectif de leur politique de ressources humaines. À la Fédération, sur les 115 salariés, quatre personnes sont issues de la fonction publique.

Deux grands adhérents nous ont donné quelques chiffres.

L'un a indiqué que trois fonctionnaires avaient été recrutés en 2016 et trois en 2017 parmi les cadres à haut potentiel - deux dans ce que cette banque appelle le « Top 500 » et quatre dans le « Top 2 500 ». La proportion d'anciens fonctionnaires est donc assez limitée.

L'autre, également membre de notre comité exécutif, nous a indiqué que sur les 54 membres de son comité de direction, six sont issus de l'administration, dont deux recrutés au cours des dix dernières années, l'un venant du ministère de la défense. Dans ce ministère, qui est pourtant l'un des plus régaliens, il n'y a plus de possibilités d'évolution de carrière au-delà de 40-45 ans.

Dans le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la déontologie des fonctionnaires et l'encadrement des conflits d'intérêts, il est indiqué que le départ vers le secteur privé est un phénomène marginal : à l'époque, en 2015, environ 850 agents publics avaient demandé à rejoindre le secteur privé, soit un volume relativement restreint par rapport aux 5,45 millions d'agents travaillant dans les fonctions publiques.

Pour revenir à vos questions sur les allers-retours entre la fonction publique et le secteur privé, il est important que le dispositif soit encadré par la loi, comme c'est déjà le cas. Pour ce qui me concerne, les deux fois où j'ai quitté l'administration, en 2007 et en 2014, je suis passée devant la commission de déontologie qui a validé mon dossier avec un certain nombre de réserves. En cas de risques de conflit d'intérêts ou d'interférences, elle peut émettre des réserves. Lors de mon premier départ vers le secteur privé, on m'a ainsi demandé de ne pas m'occuper d'un dossier particulier. Cette exigence a été respectée par mon employeur, les banques ayant des règles de conformité extrêmement strictes. Lors de mon second départ, je ne devais pas entrer en contact avec le service de l'Inspection des finances que je quittais. Cela n'empêche pas l'Inspection des finances, s'il le juge utile, de nous solliciter.

L'administration joue un rôle très important pour la cohésion de la société française, et les Français en attendent beaucoup. Elle doit donc se demander comment recruter et garder des talents, voire les faire revenir si elle estime avoir l'utilité des compétences que ses anciens agents auront acquises à l'occasion d'un passage dans le secteur privé. Cela a été mon cas lorsque le Premier ministre m'a contactée en 2010. Je sais qu'il était intéressé par mon très long parcours dans l'administration, qui est indispensable pour faire tourner la machine des services de Matignon, mais aussi par mon expérience dans le monde de l'entreprise. Cela est utile quand on est amené à préparer, par exemple, des dispositions sur la simplification administrative dans les relations avec l'entreprise. Je regrette de ne pas avoir eu à l'époque l'expérience de gestion d'une petite entreprise : j'aurais été plus exigeante en matière de simplification !

Il est très important que l'administration puisse être éclairée au maximum sur un sujet avant de réglementer. Je prendrai un exemple très simple : il nous est demandé très régulièrement de modifier les tarifs des contrats ou des éléments de la relation que nous avons avec les particuliers ou les entreprises. En général, l'administration oublie systématiquement les délais de mise en oeuvre. Elle a tendance à croire qu'il suffit de changer un ou deux paramètres dans l'ordinateur des patrons des 347 banques pour qu'immédiatement les millions de contrats de crédit ou de comptes bancaires soient modifiés.

En réalité, les process sont extraordinairement lourds. Selon nos grands adhérents, la moitié des grands projets informatiques de leurs établissements sont des projets réglementaires, certes pas uniquement franco-français puisque nombre d'entre eux découlent de réglementations européennes. On doit donc souvent jouer les rabat-joie, en expliquant que le texte conçu par l'administration est parfait mais qu'il faudra entre 6 et 18 mois pour le mettre en oeuvre.

Ce délai est indispensable. Par exemple, nous avons beaucoup travaillé dans le cadre de la loi dite « Macron » sur la mobilité bancaire, c'est-à-dire la possibilité pour les clients de demander en un seul clic à la banque d'accueil de faire le nécessaire pour transférer les opérations de l'ancien compte vers le nouveau. Cela peut paraître simple, mais la mise en oeuvre informatique est absolument majeure : il a fallu que les banques prévoient des systèmes de transmission automatique entre elles pour transférer les comptes, et ce sans loupé - il ne faut pas que la personne arrête de toucher son salaire ou de payer son électricité ou son loyer pendant trois mois ! -, mais aussi avec tous les émetteurs de prélèvements, dont les grands facturiers. Nous avons expliqué à l'administration qu'un délai de 24 mois serait nécessaire, car il s'agissait d'un très gros projet, et nous avons eu droit à 18 mois...

Je cite cet exemple, car quand on n'est pas dans l'entreprise, on a parfois tendance à considérer qu'il suffit que le texte ait été adopté pour qu'il soit tout de suite applicable et en vigueur. L'un de nos rôles consiste à expliquer nos contraintes, qui peuvent être purement opérationnelles.

On se demande si l'administration garde son libre arbitre compte tenu des liens qui peuvent exister avec tel ou tel secteur, notamment le nôtre. Gilles Briatta a évoqué les textes sur la séparation des activités bancaires. La loi française dite « loi Moscovici » a suscité quelques polémiques, mais il faut bien être conscient qu'aujourd'hui, mise à part une loi très spécifique - la règle Vickers en Grande-Bretagne - dont on ne sait pas ce qu'elle va devenir avec le Brexit, il s'agit probablement d'une des lois les plus strictes de séparation des activités de marché. Dans de nombreux pays européens, il n'y a même pas de texte ; au niveau européen, un projet n'a pas abouti.

Nous risquons donc de nous retrouver, a fortiori si les Américains reviennent sur les règles mises en place concernant les activités de comptes propres dans la loi Dodd-Frank, avec la loi la plus stricte du monde. Autant vous dire que le secteur bancaire français n'était pas très demandeur d'être en pointe en termes de législation sur ce sujet... Le législateur a fait ce qu'il estimait utile à l'époque sans que les liens qui peuvent exister avec le secteur bancaire l'empêchent d'agir.

De même, la France a été un des premiers pays à mettre en place une taxe sur les transactions financières, qui date de 2012. Elle est aujourd'hui le pays qui agit pour la mise en place d'une telle taxe en Europe. Là aussi, je ne trahirai pas de grand secret en disant qu'on n'était pas forcément demandeur...

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