Intervention de Michel Prieur

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 11 juillet 2018 à 10h30
Table ronde relative à l'inscription des enjeux climatiques et environnementaux dans la constitution

Michel Prieur :

Pourquoi ajouter des dispositions sur l'environnement dans la Constitution en 2018 ? D'abord, pour des raisons scientifiques : quand la commission Coppens a commencé ses travaux en 2002, le changement climatique n'était pas à l'ordre du jour comme aujourd'hui. On assiste à une sorte d'accélération de la crise climatique mondiale, si l'on se réfère au rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et aux records de chaleur de 2014, ainsi qu'à une accélération de la perte de biodiversité, comme l'indiquent les rapports alarmants de l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), d'après lesquels, entre autres, 30 % des oiseaux ont disparu depuis quinze ans.

Ensuite, pour des raisons économiques et sociétales : l'interdépendance entre environnement, développement économique et progrès social est devenue une évidence tant au plan international que national, en application des objectifs de développement durable adoptés par l'ONU en 2015. L'environnement est une priorité nationale : la preuve en est que le ministre chargé de l'environnement est un ministre d'État.

Enfin, parce que le renforcement de la protection de l'environnement dans la Constitution répond à une exigence nouvelle des Français. On constate ainsi une augmentation de la consommation des produits bio de 21 % en 2016 et un accroissement de 40 % en deux ans du nombre de jeunes agriculteurs qui se tournent vers l'agriculture biologique.

Si le Pape parle de notre « maison commune » et déclare que toute atteinte à l'environnement est une atteinte à l'humanité, ce n'est pas un hasard. En plagiant le président Chirac, je dirais que la maison continue de brûler et que nous continuons de regarder ailleurs.

Alors pourquoi ne pas insérer les nouvelles dispositions dans l'article 34 ? Sur le plan juridique, ce serait une redondance inutile, puisque le Parlement est déjà compétent en matière d'environnement. Il l'était de facto depuis 1958, il l'est d'après la Constitution depuis 2005. Le Parlement a d'ailleurs voté plus de 26 lois qui traitent du changement climatique depuis 2005. Si l'on voulait accroître les compétences du Parlement en matière d'environnement en modifiant l'article 34, il faudrait prévoir que le Parlement fixe les « règles », et non plus seulement « les principes fondamentaux » en la matière.

Alors pourquoi dans l'article 1er, comme le propose l'Assemblée nationale ? Cet article est à part : il figure après le préambule et avant le titre premier. Selon René Cassin, il est la prolongation du préambule et, d'après le Conseil constitutionnel, on trouve dans l'article 1er à la fois des règles et des principes, mais aussi des droits et des libertés. Reprendre dans cet article des thèmes qui figurent déjà dans le préambule ne constituerait pas une innovation : cela existe déjà pour l'égalité, la non-discrimination, les croyances et la religion.

Enfin, la dernière question porte sur ce qu'il faudrait ajouter à l'article 1er. Selon l'article 10 de la Charte de l'environnement, la France doit servir de modèle en la matière : la « Charte inspire l'action européenne et internationale de la France ». Introduire les changements climatiques dans l'article 1er, c'est servir de modèle. Jusqu'à présent, il n'y a que dix pays dans le monde, tous des pays du Sud, qui ont fait figurer le changement climatique dans leur Constitution. Après l'Accord de Paris de 2015, la France pourrait prolonger le modèle.

Ajouter la diversité biologique aux changements climatiques, comme l'a proposé l'Assemblée nationale, apparaît comme une évidence scientifique. Les deux sont totalement interdépendants : ils conditionnent le développement économique et le progrès social. Néanmoins, la formulation de l'Assemblée nationale est juridiquement peu satisfaisante. L'emploi du verbe « agir » ne me plaît pas : juridiquement, il n'a pas grand sens, et il n'a jamais été employé dans la Constitution. Les verbes « garantir » ou « assurer » ont une connotation juridique plus forte et figurent déjà dans le préambule. Par conséquent, ils auraient davantage leur place à l'article 1er.

La garantie des droits prévue par l'Assemblée nationale à l'article 1er est insuffisante. Il faut y ajouter la formulation proposée à la fois par le ministre d'État le 26 juin à l'Assemblée nationale, avec l'idée de progrès constant dans l'amélioration de la protection de l'environnement, et par le Premier ministre hier lors de sa présentation du projet de loi constitutionnelle dans cette même enceinte, quand il a déclaré que la loi n'autorise aucun recul en matière d'environnement. En effet, il faut tirer juridiquement les conséquences non seulement du droit de l'homme à l'environnement, qui figure à l'article 1er de la Charte, mais aussi des exigences des traités européens, notamment à l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, aux termes desquels nous devons atteindre un niveau élevé de protection de l'environnement.

En conclusion, je voudrais me référer au rapport que Simone Veil a fait, à la demande du président Sarkozy, sur le préambule de la Constitution en 2008. Elle constatait qu'il ne pouvait pas y avoir de recul des droits fondamentaux : « L'acte constituant répond toujours à la volonté d'établir un nouveau standard, forcément plus élevé que le précédent. » Écoutons ces paroles pleines de sagesse et évitons un recul de l'environnement pour les générations présentes et futures !

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