Je souscris plutôt aux propos de Michel Prieur qu'à ceux de Didier Maus.
L'inscription du climat dans la Constitution est utile pour de nombreuses raisons. D'abord, parce qu'il y a des exemples dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel de difficultés liées à l'absence de consécration claire de l'environnement et de la protection du climat. Je pense à la décision sur la contribution carbone et à celle sur la fracturation hydraulique.
Le Conseil constitutionnel fait toujours une balance entre différents principes qui sont en cause ; il tient compte du mieux possible des indications qui lui sont données par le constituant. Certains ont dit avec raison que le climat figurait déjà dans la Charte, qui prévoit la protection de l'environnement, dont le climat est une composante. Certes, mais le terme même de « climat » ne figure pas dans la Charte. Cela suppose du juge - j'ai fait cet exercice un nombre incalculable de fois - qu'il interprète de manière extensive la notion d'environnement.
Dans le code de l'environnement figure la définition détaillée de l'environnement, et le climat n'en fait pas partie. Pourquoi demander au juge de faire cet effort d'interprétation, alors que vous avez la possibilité, en tant que constituants, de lui désigner les objectifs et les valeurs que vous considérez explicitement comme étant prioritaires et devant figurer dans la Constitution ?
Il est donc utile de faire figurer une telle disposition dans la Constitution. Faut-il modifier la Charte ? Je serai très réservé. Dans notre héritage constitutionnel français, il y a le triptyque 1789, 1946 avec le préambule et 2005 avec la Charte. Si on estime que la Charte n'est pas un texte assez « mûr » et qu'elle peut être modifiée, on met le doigt dans un engrenage dangereux.
La Charte est « dans son jus », et elle est explicitement datée de 2004, ce qui doit guider ses interprètes. Rien ne s'oppose à ce que des principes figurant dans un texte autonome soient aussi précisés et consacrés dans l'article 1er. La Déclaration de 1789 par exemple, consacre le principe d'égalité et la liberté, des principes que l'on retrouve aussi dans le corps de la Constitution.
Il ne faut donc pas toucher à la Charte ; en revanche, il est utile d'insérer des dispositions sur le climat à l'article 1er de la Constitution.
Le principe de précaution fait l'objet de nombreux malentendus. Il est consacré dans tous les textes internationaux et européens qui nous lient. Si on le supprimait demain de la Charte, cela ne changerait rien : il serait toujours applicable. Le principe a été consacré en 1992 dans la convention-cadre sur le changement climatique, dans l'Accord de Paris qui prolonge cette convention internationale, dans les textes européens.
La rédaction employée dans la Charte est beaucoup plus stricte que celles de la déclaration de Rio ou des conventions internationales. Le principe de précaution ne s'applique qu'aux pouvoirs publics, et non pas aux entreprises. Il faut que les dommages soient « graves et irréversibles », et la conséquence est essentiellement procédurale : les pouvoirs publics doivent engager des procédures d'évaluation et prendre des mesures « provisoires et proportionnées ». Aujourd'hui, le principe de précaution fait consensus et est reconnu internationalement. Il serait inutile de le supprimer, et le signal serait très mauvais.
Je sais bien que nous ne sommes pas là pour faire du lyrisme, mais cette crise écologique n'est pas une crise comme les autres. Elle est incomparable parce qu'elle met en cause les conditions mêmes de survie de l'humanité. Le constituant a donc là une responsabilité, et il s'honorerait en inscrivant à l'article 1er le niveau élevé de protection de l'environnement, qui figure dans les traités européens - il y aurait une heureuse convergence entre notre Constitution et les principes reconnus en Europe -, et le climat. L'Accord de Paris a mis la France sur le devant de la scène internationale. Une modification de l'article 1er serait aussi une bonne chose du point de vue diplomatique.