Intervention de Dominique Bourg

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 11 juillet 2018 à 10h30
Table ronde relative à l'inscription des enjeux climatiques et environnementaux dans la constitution

Dominique Bourg :

Une remarque liminaire : en général, lorsqu'on trouve opportun de changer un dispositif, c'est parce qu'il y a inadéquation entre celui-ci et la réalité. En matière de droit de l'environnement, c'est le moins qu'on puisse dire ! Alors qu'on instaure des normes depuis plus d'un demi-siècle à l'échelon tant national qu'international, on constate une aggravation extrêmement sensible du problème.

Aujourd'hui, il ne s'agit pas seulement de valeurs, c'est une question physique : nous sommes en train de porter atteinte aux conditions de vie sur terre. Si le climat devait se dérégler très fortement, il deviendrait très difficile de se nourrir, de se livrer à des activités économiques et, a fortiori, de faire des lois. Depuis quelques années, et aucun des modèles ne l'avait prévu, c'est non pas seulement l'Antarctique ouest qui est en proie à un phénomène de fonte glaciaire, mais la totalité de l'Antarctique.

En termes de biodiversité, la situation n'est pas meilleure. On assiste à un effondrement des populations d'insectes : une enquête faite dans des régions pourtant protégées en Allemagne a montré qu'en vingt-sept ans, 75 % au moins des populations d'insectes volants ont disparu. Habitant un pays de montagne, je vois le nombre d'espèces qui se réfugient vers les cimes augmenter de façon extrêmement importante et, après les cimes, il n'y a que l'au-delà... Enfin, un tiers des espèces ordinaires sauvages voient leurs effectifs s'effondrer et leur zone d'habitation se réduire.

Nous sommes dans un changement fondamental, et on constate une inadéquation de nos institutions à cet état de fait. L'article 3, alinéa 5, de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques prévoit que toute mesure de protection du climat n'est légitime qu'à condition de ne pas entraver le commerce international. Je n'ai évidemment rien contre le commerce international ni contre nos activités économiques, qui sont consubstantielles à la condition humaine, mais peut-être conviendrait-il de ne pas confondre les moyens et les fins.

Les mots ont leur importance. L'environnement est un terme très général, qui signifie une multitude de choses. Dans ce domaine, le plus important, ce sont les priorités et les hiérarchies. Le climat, ce sont les conditions d'épanouissement de la vie sur terre. Il est stupide de l'opposer à la biodiversité. La modification de l'un des paramètres peut affecter la totalité du système Terre. Dans les domaines du climat et de la biodiversité, les indicateurs sont très précis : on peut évaluer les politiques publiques, mesurer des résultats ; en matière d'environnement, ce n'est absolument pas le cas.

S'agissant de la Charte, si on modifie un texte tous les dix ans, il ne sera jamais un monument historique. Pour avoir été l'un de ses rédacteurs, je connais ses imperfections, mais je veux faire remarquer que ce texte comporte un préambule qui est tout à fait adapté aux enjeux actuels : il rappelle que l'humanité n'a pu apparaître que grâce à la conjonction d'un certain nombre de conditions naturelles. Or nous sommes en train de dégrader extrêmement fortement ces conditions à l'échelle internationale. La France n'est absolument pas exemplaire : en 2017, nos émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de 3,3 % ; soit plus que la moyenne mondiale et plus que le taux de 0 % du pays dans lequel j'habite.

Si vous interprétez la Charte en fonction du préambule, il n'y a aucun problème pour hisser les différents articles à la hauteur des défis qui sont les nôtres. Je ne vois pas l'intérêt de la modifier, d'autant qu'elle est relativement équilibrée. Il est très difficile d'y insérer quelque chose sans introduire une forme de déséquilibre. Il conviendrait donc de ne pas y toucher. En revanche, nous avons besoin d'une tête de pont entre la Constitution et la Charte : je ne reviens pas sur ce qui a été dit concernant l'article 1er.

S'agissant du principe de précaution, sur lequel je travaille depuis bientôt trente ans, la rédaction de l'article 5 est la plus optimale possible, car elle est très équilibrée. Ce principe est une mécanique très complexe, et certaines conditions doivent être satisfaites : il faut une incertitude scientifique - cela n'arrive pas tous les jours ! - et un risque de dommage grave et irréversible - là aussi, ce n'est pas fréquent.

C'est donc un principe d'application extrêmement restreinte, qui ne vise nullement à éradiquer le risque en environnement - on découvre souvent sur le tard les mécanismes créateurs de dangers - et qui n'est pas un mode frileux de gestion générale du risque. La rédaction de l'article 5 colle très bien avec cette mécanique. M. Maus a parlé de la nuancer, mais elle est déjà très nuancée !

Le problème ne vient pas du fait que le principe de précaution est trop appliqué. C'est l'inverse ! Pourquoi n'a-t-il pas été appliqué dans l'affaire du chlordécone ou des néonicotinoïdes ? On sait depuis les années quatre-vingt-dix que ces pesticides sont en cause. Le problème serait plutôt de l'appliquer plus souvent et non pas de le restreindre encore davantage.

Il paraît clair qu'il faut modifier l'article 1er pour le mettre au diapason des défis actuels. Nous sommes confrontés à un défi inédit. Dans toute l'histoire de l'humanité, le support physique de la vie n'a jamais été en cause. En ce moment, des îles et des territoires disparaissent. Pour appréhender cette situation, il faut s'informer en matière de sciences de l'environnement.

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