Avant de donner la parole à Madame la présidente, je souhaite revenir sur un point majeur. Vous évoquez le PIA et les outils nouveaux. Pour comprendre cette complexité, il convient de se remettre en tête l'état d'esprit politique qui a imprégné ce projet.
À l'origine, une commission politiquement mixte comprenant Michel Rocard et Alain Juppé a travaillé sur le sujet général de la modernisation de la France. Après la crise de 2008, la volonté du Président de la République d'alors a consisté à protéger l'économie française et à investir pour maintenir l'activité, préférentiellement dans des investissements d'avenir plutôt que dans les investissements habituels que les élus locaux ont tendance à solliciter comme les sens giratoires, les infrastructures routières, les salles polyvalentes et la rénovation du patrimoine historique. Nous nous appuyions alors sur deux intelligences reconnues et sur un Programme d'investissements d'avenir mobilisant des sommes importantes et diversifiées. Nous disposions à la fois de ce qui était immédiatement décaissé et de dotations en capital générant des recettes afférentes, un peu à l'instar des fondations qui vivent des produits de leur capital initial.
Il a ensuite été décidé d'aller au-delà avec des outils spécifiques en construisant une couche d'organisation supplémentaire, nouvelle, justifiée par l'importance du budget qui y était affecté. Or, bien que les parrains fussent intellectuellement exceptionnels et appréciés de la presse, que les sommes soient importantes - ce qui constitue un signal fort en période de crise -, et que les outils soient nouveaux, les problèmes traditionnels sont réapparus, avec la volonté de chaque structure de se perpétuer et d'adhérer au PIA pour survivre, avec la contrainte du maillage territorial, qui s'est traduite par la multiplication des sociétés de transfert dès lors que chaque région souhaitait disposer de la sienne, et des pôles de compétitivité, lesquels sont au demeurant très antérieurs.
Ainsi, étaient mobilisés un budget, de nouveaux outils et les mêmes chercheurs et laboratoires qui ont besoin de financement et de perspectives, et pouvaient se tourner vers les entreprises avec des thèmes nouveaux de recherche comme la transition énergétique et l'environnement. Certaines thématiques sont apparues avec davantage de force que par le passé mais se sont nourries des mêmes chercheurs, laboratoires et entreprises.
La question est aujourd'hui de savoir si ce rendez-vous a été manqué ou non. Votre jugement est nuancé : ce n'est pas si insatisfaisant, dès lors qu'il aurait pu s'agir d'un échec complet. Pourriez-vous en expliquer les raisons ?
Mme Sophie Moati, présidente de la 3e chambre de la Cour des comptes. - S'agissant de la première question portant sur les problématiques autour de la « vallée de la mort » et l'importance du maillage territorial, nous avons relevé que les outils existaient déjà. Alors même que nous mettions en place des dispositifs visant à soutenir des pôles de valorisation d'excellence, le fait d'avoir voulu couvrir l'ensemble du territoire national a été problématique. Certains, s'agissant notamment des SATT, ne survivront pas ou vivront difficilement.
Concernant la fameuse « vallée de la mort », je crois savoir qu'un certain nombre d'actions sont prévues en la matière par le prochain Programme d'investissements d'avenir. Peut-être aurons-nous le plaisir de nous retrouver au cours des prochaines années pour en reparler.
Il ne faut pas forcer le trait de la critique de la Cour. Nous n'avons pas parlé de financement sans contrainte. Il est vrai que ces outils ont prospéré et ont été créés en partie en dehors du droit commun, sans contrainte budgétaire réelle et avec des points de rendez-vous qu'il convient de préparer soigneusement, ce qui est au demeurant l'objet même de nos analyses. Modestement, la Cour a surtout insisté sur la nécessité de se concentrer sur les outils les plus efficaces.
S'agissant de la valorisation du doctorat, j'évoquerai les qualités que nous reconnaissons au dispositif des conventions CIFRE, dont l'avantage principal tient à sa souplesse mais aussi à sa grande efficacité et à son faible coût pour les finances publiques. Nous pouvons nous interroger en constatant le nombre de conventions CIFRE prévues dans le budget au regard des réalisations, qui sont inférieures. La Cour a adressé un référé sur l'organisation et la valorisation du doctorat début 2016, insistant sur l'importance d'une meilleure valorisation et sur les problèmes posés par la « concurrence » avec les ingénieurs. Les relations seraient probablement beaucoup plus fluides entre le monde de la recherche, le monde académique et celui de l'entreprise s'il y avait davantage de docteurs que d'ingénieurs en entreprise. Bien que ces aspects évoluent très lentement, des progrès sont toutefois constatés en la matière
Vous nous interrogez sur les instituts pour la transition énergétique (ITE). Je suis dans l'incapacité de répondre car nous les avons délibérément exclus du périmètre de notre rapport dès lors qu'ils sont assez différents des IRT. Il s'agit souvent de fondations de coopération scientifique. Les ITE sont plutôt des sociétés par actions simplifiées. Il se trouve que leur mise en place a mis plus de temps encore que les IRT. Fonctionnant au sens du droit européen comme des organismes d'entreprise et non de recherche, leurs projets devaient passer individuellement par la procédure de notification à la Commission européenne.
La question des freins au maillage territorial dans l'écosystème est très vaste. Nous en dressons le constat. Certaines de nos recommandations visent à répondre à ce sujet.
S'agissant de la recommandation n° 10, nous avons constaté, avec nos travaux sur la recherche civile du CEA, que ce dernier menait une politique très dissonante par rapport à d'autres organismes de recherche et mettait notamment en oeuvre des dispositifs très intéressants de valorisation d'ingénieurs et de certains personnels d'appui technique, de nature à rapprocher puissamment le monde de la recherche et celui du développement à proprement parler. Nous n'avons pas en revanche effectué de recherches vers les modèles étrangers sur ce plan.
S'agissant du crédit impôt recherche, il s'agit d'un dispositif lourd et puissant. L'articulation avec les outils du PIA n'est pas directe, mais nous savons les conditions avantageuses dans lesquelles le développement d'activités de recherche des entreprises en direction des laboratoires de recherche académique est soutenu avec cet outil fiscal. Une particularité concerne les IRT puisque les avantages du CIR mis en oeuvre par les entreprises sont parfaitement éligibles lorsqu'une entreprise favorise les activités de recherche propres de l'IRT, mais ne le sont pas dans le cadre du financement d'un projet auquel elle est intéressée et qui est développé par cet IRT. Toutefois, nous n'avons pas autrement développé l'ensemble des articulations. Ce sujet extrêmement complexe nécessiterait une analyse sur des échantillons d'entreprises.
Le sujet demeure donc ouvert, et votre contribution est décisive. Je suis convaincu que les propositions concrètes seront reprises par des collègues députés ou sénateurs qui interpelleront la ministre compétente, Mme Frédérique Vidal.