Intervention de Gérard Longuet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 21 juin 2018 à 9h40
Présentation du rapport annuel pour 2017 de la commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs cne2

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet, sénateur, président de l'Office :

Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les membres de la CNE2, de cet exposé. Je rappelle qu'historiquement la CNE2, issue de la loi de 2006, a succédé à la CNE1, créée par la loi de 1991. La continuité de vos travaux et réflexions apporte beaucoup de solidité à l'argumentation indispensable pour défendre ce type de projet sur le terrain.

Je commencerai par indiquer à M. Frank Deconinck que la question de la responsabilité des producteurs vis-à-vis de leurs déchets s'est posée de la même façon en France. Je m'exprime non plus en tant que président de l'Office parlementaire mais au nom des élus concernés par la mise en oeuvre de ce stockage. En définitive, nous préférons avoir, face à nous, l'ANDRA plutôt que les producteurs de déchets, pour une raison très simple : l'ANDRA n'est pas cotée en bourse, ce qui apparaît rassurant puisqu'il n'y aura pas d'arbitrage de court terme sur la valeur du titre, en fonction du coût de gestion à long terme des déchets. De plus, l'ANDRA est un organisme éminent, qualifié, compétent, de taille raisonnable et doté d'une culture scientifique, non d'une culture d'entreprise, ce dont je me réjouis. La culture d'entreprise consiste, malgré tout, à présenter l'entreprise que l'on dirige, ou à laquelle on contribue, comme la meilleure, ce qui rend inenvisageable de contester ses décisions. Au contraire, la culture scientifique accepte, par nature, le débat et la confrontation. Les bons scientifiques n'ont jamais de certitude absolue, parce que c'est justement le doute qui fait progresser. Le doute n'est pas la qualité principale d'une entreprise privée ou cotée. Celle-ci a, au contraire, besoin d'afficher des certitudes. À cet égard, EDF est, évidemment, une entreprise assez particulière parce qu'elle a des certitudes, mais un actionnaire qui n'en a pas, ce qui rend son existence parfois un peu compliquée.

Vous avez tout à fait raison : à un moment donné, il faut choisir ce que l'on veut faire, sinon, cela ne fonctionne pas. En ce qui concerne le projet Cigéo, le centre de stockage sera rempli progressivement, pendant un peu plus d'un siècle. La phase la plus active du chantier durera sans doute une vingtaine d'années. Plus le chantier sera long, plus les élus des territoires seront satisfaits, parce que la durée permet un chantier à la mesure des entreprises locales et de la compréhension des populations locales. Il ne s'agit donc pas du tout d'une logique du même type que pour le chantier du TGV Est, que j'ai eu à conduire, pour lequel il fallait faire vite afin que le service soit assuré rapidement, ce qui impliquait de faire appel à des entreprises et à une main d'oeuvre nationales. Nous sommes dans une logique d'appropriation du projet, comme l'un d'entre vous l'a mentionné.

Incidemment, je pense qu'il serait très difficile, aujourd'hui, de créer une nouvelle centrale nucléaire, et également à peu près impossible d'en supprimer une. Ceux qui n'en ont pas n'en veulent pas et ceux qui en ont une veulent la garder. Les déchets entrent dans une catégorie intermédiaire parce qu'ils n'ont pas une image très séduisante. On parle d'enfouissement ou de poubelle, alors qu'en fait, il s'agit d'une usine de stockage, avec une logistique extraordinairement sophistiquée, qui demande le déploiement de savoir-faire que nous ne maîtrisons pas forcément aujourd'hui à toutes les étapes du processus. À partir du moment où l'on sait où l'on va, le temps est un allié alors que, dans le cas contraire, il devient corrosif, un acide qui peut tout ronger et détruire, y compris les meilleures volontés.

On ne peut être certain que ce projet sera réalisé. Mes expériences de la vie publique m'ont appris que des projets intelligents peuvent être abandonnés. Lorsque j'étais président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), le système d'éco-péage dématérialisé pour les poids lourds s'est arrêté d'un coup, un beau matin, en raison de cinquante camions arrêtés en Bretagne, alors que la négociation aurait sans doute pu permettre de trouver une solution. Il existe d'autres exemples de chantiers stoppés. Il ne faut pas exclure qu'à un moment ou à un autre, un gouvernement se dise qu'il est important de ne pas décider.

Votre rappel à l'ordre, je le partage totalement. Il m'éclaire même, parce qu'on n'imagine pas que le débat sur la programmation pluriannuelle de l'énergie puisse ne pas intégrer un rappel de la loi de 1991, notamment pour la problématique de la transmutation. Le réacteur Superphénix était sans doute prématuré, mais les propositions du CEA apparaissent solides et mériteraient une réponse. Cette réponse impacte évidemment directement la PPE. À partir du moment où la réponse est positive, la part de l'électronucléaire peut rester à un niveau raisonnable qui, sans être impérial, permettrait de financer, en particulier, la gestion des déchets. Comme l'a rappelé le professeur Demeulenaere, ce n'est pas aux générations à venir, auxquelles nous laissons déjà beaucoup de factures, de payer une dépense dont nous avons profité.

Par ailleurs, je pensais que nous étions beaucoup plus avancés sur les déchets de faible activité à vie longue et le démantèlement. J'ai entendu avec intérêt votre proposition de mise en place d'une école française de démantèlement ; cela correspond exactement à ce qui serait souhaitable.

Concernant l'avance prise par les projets finlandais et suédois de stockage dans le granit, ces deux pays bénéficient d'une très faible densité de population et d'un assez haut degré de sens civique, deux facteurs favorables qui ne se retrouvent pas dans tous les pays producteurs d'énergie nucléaire. Sur ce plan, il pourrait-être intéressant de fait un point sur la situation aux États-Unis, avec des producteurs privés dispersés dans un pays immense et des règles sans doute différentes d'un État à l'autre.

Nous devons transformer cette réflexion et cette action sur les déchets en un savoir-faire reconnu au plan mondial, qui puisse s'exporter, afin de devenir des leaders sur la technologie de stockage en couche géologique, comprenant l'identification d'une couche souterraine adéquate, la mise en place d'un laboratoire sur la quinzaine d'années nécessaires à des conclusions assez stables et la logistique, avec la mécanique interne de fonctionnement de l'installation.

À mon avis, Bure présente une petite faiblesse : l'épaisseur de la couche d'argile a conduit à choisir un stockage en niches horizontales, ce qui ne correspond pas à une évidence de bon sens pour la réversibilité. Je me garderais bien de m'avancer sur ce point, n'étant pas assez compétent, mais je pose la question.

Mes autres questions concernent uniquement les réflexions sur la pérennité du langage et de la connaissance scientifique, dans l'hypothèse d'un entreposage laissé, sur des siècles, aux générations à venir, ainsi que le geste symbolique qui pourrait marquer la prise en compte de l'orientation proposée par le CEA. Je suis désolé d'avoir été un peu long mais je suis, tout comme le sénateur Bruno Sido, passionné par le sujet.

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