Intervention de Simon Sutour

Commission des affaires européennes — Réunion du 12 juillet 2018 à 10h00
Politique de coopération — Les relations entre l'union européenne et israël : rapport d'information de m. simon sutour

Photo de Simon SutourSimon Sutour, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, les relations entre l'Union européenne et Israël - auxquels j'ajoute les Territoires palestiniens - sont à analyser sous plusieurs angles. Le premier, historique et philosophique, nous conduit à considérer ce pays comme un allié naturel au Proche-Orient, incitant l'Union européenne à développer avec lui un partenariat privilégié et avancé. On nous a indiqué que 55 % de la population israélienne ont déjà ou pourraient avoir l'une des nationalités européennes.

Le deuxième angle, celui de la coopération économique et scientifique, vient confirmer cette logique de renforcement inéluctable des liens. L'accord d'association signé entre l'Union européenne et Israël en 1995 peut, à ce titre, s'apparenter à une première étape. Cet accord, sur le modèle de ceux mis en place avec d'autres pays de la rive Sud de la Méditerranée, illustre l'importance des échanges commerciaux entre l'État hébreu et l'Union européenne. Celle-ci est, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial d'Israël : 34 % des exportations israéliennes sont dirigées vers l'Union européenne, alors que 43 % des importations israéliennes proviennent de l'Union européenne. La coopération scientifique est, quant à elle, matérialisée par la participation d'Israël au programme Horizon 2020. Le pays pilote aujourd'hui 846 projets, financés à hauteur de 592,9 millions d'euros, soit près de 2 % des crédits accordés à l'échelle européenne. Je détaille dans le rapport les succès de cette coopération.

Le troisième prisme pour analyser la relation Union européenne-Israël est, bien évidemment, celui du conflit israélo-palestinien. Il vient troubler une perception jusqu'ici positive. Les valeurs défendues par l'Union européenne, au premier rang desquelles le respect du droit international et son souhait de s'affirmer comme un acteur politique dans la région, se heurtent logiquement à l'intransigeance de l'État hébreu, plus enclin à s'appuyer sur les États-Unis sur ces questions. En découle une relation complexe, paradoxale par moments, où les succès de la coopération sur les terrains économique et scientifique contrastent avec un discours politique plus sévère, gelant toute perspective d'approfondissement.

Une nouvelle étape de la coopération entre l'Union européenne et Israël aurait dû être franchie avec l'octroi à Israël d'un statut privilégié. Une annonce est intervenue en ce sens en 2008. L'opération « Plomb durci », début 2009, a remis en cause cette option. L'association est aujourd'hui à l'arrêt, le conseil d'association Union européenne-Israël ne s'est en effet plus réuni depuis 2012. L'Union européenne souhaite désormais comme préalable une reprise des négociations en vue de la concrétisation de la solution à deux États. Serait alors mis en place un partenariat spécial privilégié avec Israël et le futur État de Palestine. Le dispositif comprendrait notamment un accès accru aux marchés européens, le resserrement des liens dans les domaines culturel et scientifique, des échanges et des investissements facilités, ainsi qu'une promotion des relations entre entreprises.

Cette approche conditionnelle vaut également pour les Territoires palestiniens. Un accord intérimaire - appelé aussi « provisoire » - d'association a été signé avec Ramallah en 1997. Ses objectifs correspondent à ceux développés avec les autres pays de la rive Sud de la Méditerranée, même si, pour l'heure, la priorité européenne va au soutien financier. L'aide annuelle a ainsi atteint environ 357 millions d'euros en 2017. L'Autorité palestinienne est aujourd'hui le premier bénéficiaire de la politique de voisinage dans la région. Les financements sont orientés vers l'assistance aux réfugiés palestiniens, la consolidation de l'Autorité palestinienne - sans l'argent de l'Union européenne, il n'y aurait pas de structures administratives palestiniennes - et le développement du secteur privé. Cette logique de subvention peine cependant à se transformer en un véritable partenariat, autour de priorités préalablement définies.

Cette situation de blocage tant avec Israël qu'avec les Territoires palestiniens invite à repenser la stratégie de l'Union européenne dans la région. La logique de conditionnalité, à première vue vertueuse, s'avère in fine contreproductive. L'État hébreu ne considère plus aujourd'hui l'Union européenne comme un partenaire politique. Cette logique contribue également à générer au sein de l'Autorité palestinienne une sensation d'incompréhension sur les intentions de l'Union européenne, au risque de relativiser son aide et de fragiliser sa crédibilité.

L'Union européenne a révisé, en décembre 2015, les critères définissant sa politique de voisinage. La démarche « donnant-donnant » ayant échoué, une politique plus progressive a été mise en place. Cette réorientation doit permettre de mieux diffuser les valeurs européennes tout en défendant les intérêts de l'Union européenne. Il s'agit aujourd'hui d'assurer la stabilité à ses frontières par un soutien précis et efficace, destiné à favoriser la sécurité de la région, le développement de véritables coopérations économiques dépassant le seul libre-échange et la poursuite des réformes démocratiques. Cette révision de la stratégie globale implique une nouvelle approche des relations bilatérales entre l'Union européenne et chacun de ses partenaires méditerranéens. L'Union européenne a su ainsi réévaluer ses relations avec la plupart des pays du bassin méditerranéen en élaborant avec eux de nouvelles priorités de partenariat. Celles-ci, centrées sur quelques domaines, se substituent aux plans d'action globaux, renouvelés régulièrement avant 2016 sans pour autant que les relations avec les pays concernés ne soient approfondies. Ainsi, en dépit de ses relations parfois tendues au plan politique avec le gouvernement, l'Union européenne a su élaborer de telles priorités avec l'Égypte en juillet 2017. Une démarche identique avait également abouti avec l'Algérie en mars 2017.

Il est aujourd'hui regrettable que ce travail n'ait même pas été entamé avec Israël, en dépit de la qualité des échanges économiques et scientifiques ou de la proximité des modèles politiques. Cela accrédite l'idée d'une marginalisation de l'État hébreu dans la politique euro-méditerranéenne de l'Union. Le poids du conflit israélo-palestinien semble conditionner toute approche bilatérale, de manière excessive si l'on compare la relation nouée par l'Union européenne avec Israël à celle établie avec la Turquie, pays candidat qui occupe militairement une partie du territoire d'un État membre, Chypre. La qualité des échanges économiques et scientifiques avec Israël ne doit pas être aujourd'hui totalement tributaire d'une relation politique forcément complexe, mais qui peut s'avérer plus exigeante qu'à l'endroit d'autres États. L'Union européenne doit ouvrir la possibilité d'un renforcement de la coopération avec Israël, dans le domaine énergétique par exemple.

Il conviendrait d'adopter une position moins incantatoire sur la question même du conflit israélo-palestinien. J'ai relevé que la Haute représentante avait publié 238 communiqués depuis 2014 sur ce sujet. C'est presque autant que pour toute l'Afrique sur la même période. Je comprends que l'Union européenne souhaite être un acteur à part entière dans le processus de paix. Elle relaie, depuis 1980, les positions des Nations unies sur le sujet. S'il ne s'agit pas pour elle de renoncer aux valeurs qu'elle défend ou d'abandonner les politiques qu'elle mène - l'accord avec l'Iran, par exemple -, l'Union doit néanmoins amender son discours si elle entend être audible sur la scène régionale. J'ai constaté, pour ma part, qu'elle ne l'était plus.

Le message porté doit aujourd'hui être réévalué à l'aune de plusieurs éléments : les difficultés à faire émerger une relève politique au sein de l'Autorité palestinienne, la volonté, au sein de celle-ci, de trouver un compromis viable intégrant notamment la démilitarisation du futur État, mais aussi le caractère durable, voire structurant, des colonies dans certains territoires : 30 000 Palestiniens travaillent au sein d'entre elles. J'ajoute que 12 000 citoyens français habitent dans les colonies. Par ailleurs, 200 000 Palestiniens travaillent en Israël, 100 000 avec un véritable permis de travail et 100 000 de façon informelle.

Une approche plus nuancée permettrait à l'Union européenne de retrouver une forme de crédibilité sur ce sujet, au moment où les États-Unis devraient présenter un nouveau plan de sortie de crise. L'action de l'Union européenne pourrait ainsi se concentrer sur quelques points clés, en particulier le statut de Jérusalem et le maintien au sein de cette ville de son caractère palestinien, ou le rôle des colonies dans un futur État palestinien.

Cette nouvelle approche permettrait, en outre, de mieux rendre compte de la diversité des points de vue sur le conflit au sein même du Conseil européen. Israël connaît les divisions et en joue, en se rapprochant notamment du groupe de Viegrad.

Le Président de la République n'a pu obtenir une position du Conseil condamnant la décision des États-Unis d'installer leur ambassade à Jérusalem, en raison de l'opposition de certains pays européens, dont ceux du groupe de Viegrad - à l'exception de la Slovaquie. Le gouvernement palestinien observe d'ailleurs avec inquiétude les divisions au Conseil sur la question du conflit, craignant un alignement des positions de certains États membres sur les positions américaines. Or d'après le conseiller pour les affaires européennes du Premier ministre palestinien, que j'ai rencontré à Ramallah, les Palestiniens souhaitent passer de l'accord provisoire de 1997 à un accord définitif.

En ce qui concerne les Territoires palestiniens, il convient d'opérer un saut qualitatif pour donner du sens à un investissement financier colossal que l'Europe porte désormais à bout de bras, les États-Unis ayant mis fin à leur contribution à l'agence onusienne de soutien aux réfugiés palestiniens. L'Autorité palestinienne a proposé l'élaboration de priorités de partenariat, et l'Union européenne doit répondre formellement à cette demande.

Il s'agit pour elle d'appliquer pleinement les critères de la politique de voisinage révisée et, en premier lieu, le principe de différenciation. Israël et les Territoires palestiniens doivent faire l'objet d'un traitement séparé, sans pour autant remettre en cause l'objectif initial de trouver une solution au conflit les opposant. L'Union européenne doit à cet effet faire jouer à plein la dimension régionale en resserrant ses partenariats avec les organisations et les pays voisins, de façon à faciliter la relance du dialogue et à répondre concrètement aux défis posés. C'est aussi le sens de la politique de voisinage.

En conclusion, à force de réaffirmer des principes, nous sommes de moins en moins opérants. De plus, une coopération qui fonctionne, notamment sur le plan scientifique, est dans l'intérêt de l'Union européenne. Je me suis rendu à l'Institut Weizmann des sciences, une institution de très haut niveau qui a produit des prix Nobel. Le professeur Victor Malka y a ouvert un laboratoire, faute d'avoir obtenu des crédits en France...

Gaza est un problème à part - car la Cisjordanie est de plus en plus intégrée économiquement à Israël. À Ramallah, on paie en shekels ; un grand nombre de Palestiniens travaillent dans les colonies ou en Israël. Or les avantages de l'accord d'association sont refusés aux entreprises implantées dans les colonies... Employant plusieurs centaines de Palestiniens, l'entreprise Sodastream a été contrainte, pour cette raison, de quitter la Cisjordanie pour le désert du Néguev, laissant ainsi sur le carreau une partie de ses salariés. L'enfer est pavé de bonnes intentions...

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