Intervention de Nadia Sollogoub

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 5 juillet 2018 à 8h30
Point d'étape sur le rapport « avenir des relations entre les générations »

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub, rapporteur :

C'est vrai. Tous les séniors ne sont pas aisés, loin de là. Nous inclurons des données sur les écarts autour des moyennes dans le rapport final. Ceci étant, les séniors sont les grands bénéficiaires des transferts intergénérationnels. Même en tenant compte du fait que leur effort contributif s'est intensifié à partir de la fin des années 1980 avec la mise en place de la CSG ; même en tenant compte également du fait que les transferts captés « collectivement » par les plus de 60 ans se répartissent entre un nombre toujours plus grand de séniors, il reste que la comparaison des transferts nets par tête entre les classes d'âges est sans appel. Le solde des contributions et des prestations individuelles, pour chaque âge, a augmenté de 2 points de PIB par tête, en transfert net, vers les plus âgés et de 2,5 points pour les jeunes depuis 1979. À contrario, le prélèvement individuel net sur les 26-59 ans a progressé de 8 points de PIB par tête. La solidarité intergénérationnelle pèse donc clairement de plus en plus lourdement sur les âges intermédiaires.

Ce constat conduit à s'interroger sur le caractère économiquement soutenable de la poursuite des tendances passées. Étant donné la faible progression de la productivité, alourdir encore la contribution des actifs risquerait de conduire au blocage de leur consommation et de leur investissement. Cela pèserait aussi sur la compétitivité du pays. Il y a donc parmi les actifs des craintes concernant un nouvel accroissement de leur contribution, craintes qui concernent tout particulièrement le financement futur de la dépendance : va-t-on les mettre encore à contribution, par exemple à travers des journées de « solidarité » qui techniquement parlant ne sont jamais qu'un impôt de plus sur le travail ?

Le point de vue des générations nées jusqu'à la fin des années 50 est évidemment assez différent. Elles ont tendance à souligner qu'elles ont joué sans discussion le jeu de la solidarité et qu'elles ont accepté d'accroître leur contribution au financement du système avec la CSG. Elles refusent par ailleurs d'être dépeintes comme des privilégiées. Elles ont cotisé et exercent des droits sociaux légitimes ; elles ont travaillé et investi. La vision rétrospective des Trente glorieuses leur semble idéalisée : le temps de travail était alors beaucoup plus élevé ; il y avait moins de vacances, le niveau de vie et de confort était certes en augmentation mais néanmoins beaucoup plus faible que celui des jeunes d'aujourd'hui... De plus, ces générations sont très inquiètes par rapport au financement de leur dépendance. Enfin, comme nous le disions, on retrouve parmi elles de grandes disparités de revenu, avec de petites retraites et des personnes au minimum vieillesse, et des inégalités de patrimoine.

Ce débat sur l'équité intergénérationnelle est légitime. Si aucune génération ne semble avoir été véritablement sacrifiée, les plus jeunes n'en ont pas moins une situation et des perspectives suffisamment sombres pour que l'on réfléchisse à de nouvelles évolutions du pacte. Il ne s'agit pas ici d'accuser ou de spolier telle ou telle génération, mais de retrouver un terrain d'entente mutuellement profitable. Si l'horizon de la dispute intergénérationnelle est celui du scénario catastrophe de la sécession, je crois que ce scénario sert en réalité de repoussoir à toutes les générations et les incite à trouver des compromis mutuellement acceptables sur la redéfinition des conditions du partage intergénérationnel.

Si elles peuvent en éclairer les termes, il ne faut pas attendre des sciences sociales qu'elles tranchent ce débat sur l'équité, qui est foncièrement un débat politique. Il n'y a aucun critère objectif et parfaitement indiscutable pour dire quelle est la « juste part » de chaque génération ou pour dire où devrait se situer le seuil entre le soutenable et l'insoutenable dans l'effort contributif. Les comparaisons transversales qui sont versées au débat sont par construction partielles et souvent trompeuses. Les comparaisons longitudinales, les seules qui permettent de dire ce qu'a donné et reçu une génération tout au long de sa vie, sont forcément des comparaisons ex post : elles sont donc peu utiles étant donné que le pacte intergénérationnel est là pour encadrer des contributions et des prestations à venir, dont le montant et la répartition sont par définition incertains. Enfin, les comparaisons entre générations ont tendance à gommer les inégalités intra générationnelles, qui sont pourtant considérables, ainsi que d'autres clivages au moins aussi essentiels, notamment en termes de territoires, de genres, de diplômes, de catégories socioprofessionnelles ou de revenus. Placer le curseur entre lutte contre les inégalités et recherche de l'efficacité économique, ou entre lutte contre les inégalités d'âges, de genres ou de classes, relève d'un choix idéologique et politique.

Cela m'amène naturellement à évoquer maintenant les propositions que nous pourrions formuler pour faire évoluer le pacte entre les générations.

Le premier axe de réformes est selon moi d'organiser les transferts en prenant mieux en compte la complexification du cycle de vie. Sous l'effet de l'allongement de l'existence et de la transformation des modalités d'entrée et de sortie de la vie professionnelle, le cycle de vie s'organise désormais, de plus en plus, en cinq temps, et non plus en trois. Par ailleurs, cette organisation en cinq temps principaux donne lieu à de multiples déclinaisons en raison de la désynchronisation, voire de la réversibilité, des calendriers professionnel, familial, de formation et d'accès au logement. Autrefois, le passage d'un âge à l'autre se faisait de manière tranchée. Il résultait d'événements concomitants : fin des études et début de la vie active, mariage et installation dans un foyer autonome. Désormais, ces calendriers se chevauchent et se déploient selon des temporalités distinctes. Le pacte intergénérationnel actuel, assis sur un modèle à trois générations (jeunesse/âge adulte/vieillesse, avec un âge adulte « stable ») ne correspond donc plus à la réalité du cycle de vie. Un découpage en cinq temps de la vie (jeunesse, phase d'entrée dans la vie adulte, âge adulte, séniorité active, et vieillesse) est plus pertinent.

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