Intervention de Nadia Sollogoub

Délégation sénatoriale à la prospective — Réunion du 5 juillet 2018 à 8h30
Point d'étape sur le rapport « avenir des relations entre les générations »

Photo de Nadia SollogoubNadia Sollogoub, rapporteur :

Le quatrième âge ne correspond pas à un âge précis, identique pour tous. Il correspond à la perte ou au déclin de l'autonomie.

S'agissant de cette séniorité active, il faut également réfléchir aux moyens de donner un statut clair à la fonction « pivot » que les plus de 60 ans exercent de facto dans la solidarité intergénérationnelle. Si le gros des transferts financiers entre les générations pèse en effet sur les adultes d'âge intermédiaire, les jeunes séniors jouent un rôle solidaire à travers des transferts en temps, directs ou intermédiés via un engagement associatif, vers les jeunes en phase d'entrée dans la vie adulte, vers les adultes confrontés à des accidents de la vie (chômage, divorce...) et vers les séniors dépendants. Nous devons réfléchir aux moyens de préserver ce rôle pivot dans un contexte où l'on cherche par ailleurs à développer l'emploi des séniors. Comment concilier deux objectifs potentiellement contradictoires : les faire travailler plus longtemps tout en les plaçant au coeur de l'entraide générationnelle ? Il faut réfléchir de façon globale au statut social, fiscal, symbolique de ces « aidants ».

Parallèlement à la réorganisation des transferts entre cinq âges, le second axe des évolutions auxquelles nous réfléchissons est lié au retour de la question patrimoniale dans le jeu des solidarités intergénérationnelles. La question du patrimoine était devenue relativement secondaire au cours du XXème siècle, après les deux conflits mondiaux, mais elle est de nouveau au premier plan, même si politiquement et collectivement ses enjeux ne sont pas encore perçus par tous. Le fait est que nous avons en France un patrimoine dont la valeur a explosé, mais qui demeure économiquement dormant ! Quelques chiffres pour cerner l'ampleur de ce phénomène, dont ni nos concitoyens ni les décideurs politiques n'ont encore pris la juste mesure. La valeur du parc résidentiel français est passée de 2 600 milliards d'euros en 1998 à 6 300 milliards d'euros en 2015, ce qui représente une plus-value latente de 3 700 milliards d'euros en quelques années. La valeur du patrimoine possédé par les Français représentait quatre années de revenu disponible des ménages en 1980 contre huit années aujourd'hui. Dans ces conditions, les flux successoraux représentent désormais une part croissante du revenu national : les transferts de patrimoine, qui représentent 19 % du revenu disponible net annuel aujourd'hui, devraient en représenter entre 25 % et 32 % en 2050. Nous sommes revenus à la situation de la Belle époque. Enfin, ce patrimoine, fortement concentré entre les mains des séniors, se transmet désormais de séniors à séniors, puisque l'âge où on hérite va bientôt atteindre 60 ans.

Nous nous trouvons face à des enjeux forts de mobilisation et de transmission du patrimoine des séniors, avec des opportunités, mais aussi des risques ou des conflits d'objectifs. Premier enjeu : mobiliser le patrimoine des séniors au service des besoins des séniors eux-mêmes, notamment pour financer la dépendance. Certes, tous les séniors n'ont pas de patrimoine et tous ceux qui en ont n'en ont pas forcément beaucoup. Certes, ce patrimoine, qui est majoritairement immobilier, est illiquide. Pour autant, il n'y a pas de raison d'exclure a priori cette richesse considérable du financement des transferts intergénérationnels. Il faut réfléchir aux moyens de liquéfier le patrimoine et de le faire contribuer à l'effort de solidarité collectif. Les solutions existent. C'est avant tout une question de technique financière. Le deuxième enjeu est d'accélérer la transmission vers les jeunes générations, à des âges où on investit, où on entreprend, où on prend des risques. Il faut éviter que le patrimoine circule uniquement entre des « très vieux » et des « vieux » et faire en sorte que l'épargne des séniors soit transmise et investie dans l'économie. Enfin, le troisième enjeu est de trouver des modalités de mobilisation et d'accélération de la transmission du patrimoine qui ne fassent pas exploser les inégalités intra générationnelles. Nous devons éviter une société « héritocratique », qui entrerait en conflit avec nos valeurs de mérite individuel et d'égalité.

Il me semble que la condition préalable à toute action dans le domaine des politiques du patrimoine est de rassurer les séniors sur la question de la dépendance. Ils accepteront plus facilement de transmettre de leur vivant s'ils ont des garanties sur leur prise en charge au titre de la dépendance. Il faut en quelque sorte lever la « crispation patrimoniale ». C'est pourquoi la mise en place d'un système d'assurance dépendance obligatoire devra sans doute accompagner la réforme de la transmission du patrimoine.

Si ce point de blocage fondamental est levé, on pourra imaginer ensuite d'utiliser le levier des incitations fiscales pour conduire les séniors à transmettre leur patrimoine de leur vivant ou à le mobiliser plus activement. Une des pistes pourrait être de faire peser le risque d'une taxation plus forte des transmissions familiales lorsque celles-ci interviennent après le décès.

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