Intervention de Michel Forissier

Délégation aux entreprises — Réunion du 14 juin 2018 à 8h15
Communication de m. michel forissier et mme catherine fournier sur les dispositions intéressant les entreprises du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel

Photo de Michel ForissierMichel Forissier :

Je voudrais maintenant vous rappeler la position de notre délégation sur l'apprentissage et l'assurance chômage.

Nous avions déposé le 10 février 2016 avec un certain nombre de nos collègues de la délégation de l'époque, dont la présidente Élisabeth Lamure, une proposition de loi visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite.

Cette proposition de loi assouplissait tout d'abord le statut de l'apprenti pour simplifier les démarches des entreprises. Je peux citer notamment l'autorisation du travail de nuit de l'apprenti en présence de son maître d'apprentissage, l'entrée en apprentissage possible dès 15 ans, la simplification de la rupture du contrat ou encore la modulation de la durée de l'apprentissage.

Nous avions affirmé le principe de la libre création de centres de formation d'apprentis (CFA) exclusivement financés par des ressources privées.

Notre proposition de loi consacrait également le rôle des régions en matière d'apprentissage.

Un pacte national pour l'apprentissage, signé par l'État, les régions, les chambres consulaires et les partenaires sociaux, devait définir des objectifs nationaux et détailler les engagements de chaque acteur.

La région devait arrêter la carte des formations, coordonner l'action de l'inspection de l'apprentissage et se voir transférer les centres d'information et d'orientation (CIO) de l'Éducation nationale. Nous souhaitions également initier à terme un rapprochement entre les CFA et les lycées professionnels, sous l'égide des régions.

Nous avions en outre renforcé les actions d'information sur les métiers et les parcours dans les établissements scolaires. Les enseignants devaient aussi être formés au monde de l'entreprise. Nous avions également prévu la co-construction des diplômes par l'État et les branches professionnelles.

En définitive, le projet de loi reprend un certain nombre des mesures que nous avions défendues. C'est le cas pour l'assouplissement du statut de l'apprenti avec la simplification de la rupture du contrat et la possibilité de moduler la durée de l'apprentissage. Toutefois, la possibilité d'entrée en apprentissage dès 15 ans et la déconnexion de la rémunération de l'apprenti par rapport à son âge ne figurent pas dans le projet de loi.

Concernant les CFA, nous proposions une liberté de création limitée aux CFA privés. Elle sera la règle pour tous les CFA dans le texte. Par ailleurs, l'obligation de formation des maîtres d'apprentissage n'est pas proposée.

En outre, la principale différence à relever réside dans le rôle des régions en matière d'apprentissage. Nous renforcions leurs missions et consacrions leur rôle dans le cadre d'un pacte national réunissant tous les acteurs de l'apprentissage dont la région, chef de file. Le projet de loi réduit considérablement les compétences des régions au profit des branches professionnelles et d'une régulation par l'État.

Enfin, si les propositions du Gouvernement rejoignent les nôtres s'agissant du renforcement du rôle des régions en matière d'orientation, notamment par l'expérimentation du transfert des CIO, nos propositions allaient plus loin. Nous proposions par exemple une formation des enseignants au monde de l'entreprise et l'association des acteurs de l'apprentissage à la mise en oeuvre du parcours individuel d'information.

J'en viens maintenant à l'allocation des travailleurs indépendants. Lors de la troisième journée des entreprises organisée par notre délégation le 29 mars dernier, les travailleurs indépendants ont exprimé leur dépit face aux règles restrictives proposées par le Gouvernement. Le rapport de notre collègue, M. Olivier Cadic, sur le cycle de vie de l'entreprise, a ainsi estimé que « réserver cette indemnisation aux seuls cas de liquidation judiciaire serait enfermer l'entrepreneuriat dans l'échec, au lieu d'encourager la prise de risque et de donner le droit à une capacité de rebond. Cette extension est aujourd'hui nécessaire à la promotion de l'entrepreneuriat dans notre pays ».

Je voudrais pour conclure vous présenter quelques observations personnelles et identifier des points de vigilance.

J'observe tout d'abord que le Gouvernement entreprend une profonde réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle sans avoir mené un travail d'expertise impartial, global et public sur le système actuel.

Ma deuxième observation concerne la concertation avec les partenaires sociaux, qui est réelle mais demeure perfectible. L'annonce par la ministre d'un big bang sur le financement de la formation professionnelle le jour même de la signature de deux accords nationaux interprofessionnels a été mal vécue par plusieurs partenaires sociaux.

Enfin, il est difficile de se faire une idée précise de la portée de plusieurs mesures emblématiques du texte, car elles seront définies par décret dont nous ne connaissons toujours pas les grandes lignes.

Sur le fond, l'accélération du calendrier de la transformation des OPCA en opérateurs de compétences, ainsi que les incertitudes sur le rôle exact de France compétences suscitent des interrogations chez les acteurs de la formation professionnelle.

S'agissant de l'apprentissage, les régions ont manifesté leur mécontentement à la suite de la perte de leur compétence de chef de file. On ne peut que s'interroger sur leur volonté de continuer à soutenir une politique publique sur laquelle elles n'auront plus de réelle compétence. Nous nous interrogeons également sur les montants qui leur seront attribués en matière d'aménagement du territoire : ils apparaissent limités pour soutenir par exemple des petites structures en milieu rural.

Par ailleurs, le financement au contrat inquiète les CFA, car le périmètre des coûts qui seront pris en compte par les branches professionnelles n'est toujours pas défini. Le texte se contente de prévoir que les opérateurs de compétences assureront le financement des contrats d'apprentissage selon le niveau de prise en charge fixé par les branches professionnelles. Il nous parait important que cette prise en charge soit exhaustive, prenant en compte l'ensemble des missions assignées aux CFA et qu'elle soit adaptée aux différentes formations et aux spécificités des territoires.

Je regrette également l'absence de réforme globale de l'alternance, car je pense que la dichotomie qui perdure entre CFA et lycées professionnels n'est pas justifiée, si ce n'est pour des raisons que je serais tenté de qualifier d'idéologiques.

Enfin, la réforme de l'assurance chômage se heurte à l'opposition de plusieurs partenaires sociaux, car ils considèrent que le paritarisme de décision et de gestion est remis en cause, d'autant que l'État serait à leurs yeux co-responsable de l'existence de la dette de l'Unédic. L'assurance chômage risque de se transformer à terme en un système dit « beveridgien », dans lequel la logique assurantielle serait remplacée par une logique universelle, avec comme corollaire une baisse des allocations.

C'est à la lumière de ces constats que nous examinerons le texte en commission le 27 juin prochain, et en séance publique la semaine du 9 juillet.

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