Intervention de Fabien Gay

Réunion du 16 juillet 2018 à 14h30
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Question préalable

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, 900 000 personnes sont privées de logement personnel ; 4 millions de personnes sont mal logées ; 12 millions de personnes sont fragilisées par rapport au logement, par le surpeuplement, les impayés, l’insalubrité ou la précarité énergétique. Ce sont les chiffres du rapport de la fondation Abbé-Pierre. Rappelons-nous que, derrière ces chiffres, il s’agit quand même de 15 millions de nos concitoyens.

Le Président lui-même l’a dit : personne ne peut supporter aujourd’hui, dans notre pays, que des gens dorment et meurent dans la rue. Nous ne supportons pas non plus, pour notre part, que reprenne chaque 1er avril le ballet des expulsions locatives sans relogement pour des personnes toujours plus fragilisées et précarisées, prises dans la spirale infernale du déclassement et de l’exclusion. Cela ne va nullement s’arranger avec votre politique générale.

Avec l’emploi, l’éducation et la sécurité, le logement est une priorité de nos concitoyens, du fait de la cherté et du manque de logement. Face à ce défi du mal-logement, qui ronge notre pacte républicain, il faut des réponses fortes, globales et structurantes de la part des pouvoirs publics. À l’inverse, nous avons là un texte qui prône la dérégulation, la déréglementation et la privatisation du patrimoine de la Nation.

Sur la forme, nous pouvons regretter un texte lourd, véritable patchwork de mesures, sans autre fil directeur que celui du désengagement de l’État de ce secteur d’intérêt général répondant à un droit constitutionnel.

De 66 articles initialement, ce texte a triplé à l’Assemblée nationale, et le Sénat ne l’a pas allégé. Il est aujourd’hui plus épais que le code du travail. Il est d’ailleurs à noter que, lorsqu’il s’agit de protéger les salariés, vous trouvez le code du travail trop volumineux, archaïque, alors qu’il est l’héritage d’un siècle de luttes et de conquêtes sociales. En revanche, lorsqu’il s’agit de casser notre modèle du logement unique en Europe en quelques semaines, la complexité n’est étrangement plus un problème insurmontable pour vous, l’épaisseur est même moderne, car elle est l’un des outils au service de votre politique de casse sociale.

Monsieur le ministre, reprenons en quelques mots le chemin de croix que va affronter un futur demandeur de logement social.

Une fois qu’un demandeur aura accès à un logement – sept ans en moyenne aujourd’hui à Paris –, il lui sera plus difficile de s’y maintenir par la procédure de réexamen de sa situation tous les six ans. Certes, la mobilité ne sera pas imposée, mais il sera facile de faire pression sur les locataires.

Pour les jeunes, ce sera le bail mobilité, appelé bail précarité par les associations tellement l’équilibre dans les relations entre bailleurs et locataires sera défavorable. Quel avenir pour ces jeunes qui auront disposé d’un bail mobilité de un à dix mois ? Les enchaîner pendant toutes leurs études ? Retourner chez leurs parents ? Aller engraisser les marchands de sommeil ?

Pour les personnes en situation de handicap, ce seront seulement 30 % des nouveaux logements qui seront accessibles au lieu des 100 % prévus actuellement par la loi. Pourquoi ? Pour rogner quelques mètres carrés pour des logements toujours plus petits ? Nous avons déjà perdu dix mètres carrés en dix ans.

Par contre, pour les promoteurs et autres bailleurs, c’est Noël avant l’heure. La loi MOP est largement contournée, le concours d’architecture supprimé, la loi Littoral malmenée. L’avis des architectes des Bâtiments de France est rendu simplement consultatif.

Pour faire vite, toute entrave à la construction, à la production de béton est levée par ce projet de loi, indépendamment des objectifs environnementaux, de préservation du foncier et de la qualité du bâti. Pourtant, mes chers collègues, le beau, ce doit être aussi pour le logement social, qui a été le lieu de toutes les innovations architecturales.

Vous vouliez « construire mieux, plus et moins cher ». En réalité, vous construirez moins, en plus laid, pour enrichir toujours les mêmes !

Monsieur le ministre, le logement, en France, repose sur deux jambes : l’une privée, l’autre publique. Ce modèle est unique en Europe, depuis que Mme Thatcher en a détruit la version anglaise. C’est grâce à cette jambe publique que nous avons pu répondre à l’appel de l’abbé Pierre en 1954, ou encore qu’en 2008, pendant la crise des subprimes, près de 50 000 logements ont été déstockés par les bailleurs sociaux auprès des promoteurs pour qu’ils ne mettent pas la clé sous la porte.

Votre projet de loi ampute cette jambe publique. Pourtant, pour marcher, il faut les deux jambes !

Votre projet de société, c’est la précarité de la naissance à la mort ; votre devise, c’est « la France, une chance pour chacun », comme l’a dit le Président de la République lors de l’enterrement de première classe du plan Borloo. Mais, comme quand on signe un contrat, il ne faut pas oublier de lire les petits caractères en bas : une chance pour chacun, oui, surtout, si vous êtes bien né ; pour les autres, ce sera la galère à vie !

Monsieur le ministre, la France est un pays qui a une histoire, et cette histoire se respecte. On peut être de droite ou de gauche, mais on s’inscrit dans cette histoire. Nous avons un modèle social unique, que le monde entier nous envie, héritage de luttes sociales et de compromis entre différentes forces politiques, syndicales et sociales. Nous devons en être fiers ! On peut vouloir réformer, innover, mais la France a cette histoire singulière et ne se dirigera jamais comme une start-up de la Silicon Valley.

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