Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du logement est aujourd’hui fondatrice et structurante : il s’agit de savoir dans quelle société nous voulons vivre.
Avoir un toit, est-ce encore un droit ? Telle est la question, quand on voit que vous considérez le logement comme un produit marchand, source de spéculation, de placements et de stratégies financières.
L’habitat, ce n’est pas simplement un produit pour promoteur ou une source de revenus pour ceux qui ont investi dans la pierre. De la qualité du logement, de sa taille, de sa configuration dans son environnement, de sa proximité avec les services publics en fonction de la mixité de l’espace dépendra, pour beaucoup, la qualité de vie de ses occupants.
Nous le savons tous : la suroccupation ou l’insalubrité des logements ont des conséquences directes sur les ménages, sur les enfants, notamment sur leur capacité à construire leur scolarité et sur leur épanouissement.
Ainsi, le logement et sa qualité ont un rôle fondamental pour l’aménagement du territoire de notre pays. Au-delà, parce qu’il a une incidence considérable sur l’épanouissement de chacune et de chacun, l’habitat joue un rôle fondamental dans le vivre en société, dans le faire ensemble.
C’est donc un texte à la hauteur des attentes de notre société que nous espérions. Or nous avons beaucoup reculé, qu’il s’agisse de la qualité du bâti ou de l’idée même de la préservation du patrimoine. En cinquante-six ans, nous sommes ainsi passés de l’exigence de la loi Malraux à la mise en place du « loto Bern »…
Sérieusement, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, on frôle le ridicule, la caricature : celle d’un nouveau monde qui confond intérêt général et ambition pour l’avenir avec une gestion à la petite semaine en mode start-up branchouille ; celle d’un Gouvernement qui confond les coups de com’ à répétition avec l’exigence d’agir pour les décennies à venir.
Le projet de loi, dans la foulée de la loi de finances pour 2018, n’a qu’un prisme : réduire l’engagement public du secteur du logement. Avec ce énième désengagement, un pactole est en perspective pour les lobbies de l’immobilier, qui gagnent ici le droit de construire plus vite, moins bien et souvent plus cher ; le droit de s’affranchir de la loi MOP et des obligations d’accessibilité. Est-ce cela, votre nouveau monde ? En l’occurrence, on est plus dans un retour vintage au début du XXe siècle que dans la volonté d’appréhender les défis du XXIe siècle.
Par ce projet de loi, le Gouvernement mène une attaque en règle contre le modèle même du logement social. En effet, le logement social, dans notre pays, repose sur trois piliers : il s’agit d’un bien public, qui fait l’objet d’une cogestion avec les habitants, au plus près du territoire, par l’intermédiaire d’organismes d’HLM à taille humaine pilotés par les élus de ce territoire.
D’un revers de main, vous revenez sur tous ces fondements. Vous obligez à la vente en masse, y compris dans les communes carencées au titre de la loi SRU, vous obligez au regroupement des offices et vous évincez les représentants des locataires de ces nouvelles structures.
Toute l’histoire de la construction sociale est ainsi mise à mal, et les offices, qui sont très fortement fragilisés, doivent compenser la diminution des APL décidée par la dernière loi de finances à hauteur de 1, 5 milliard d’euros. Ces offices doivent également composer avec la quasi-suppression des aides à la pierre. Comment, demain, pourront-ils produire l’effort nécessaire pour répondre à la demande ?
Soyons clairs : la vente de logements sociaux aujourd’hui, c’est l’explosion du mal-logement demain. Ce sont des copropriétés dégradées et le patrimoine récent vendu au privé pour un plus grand retour sur investissement, notamment dans les zones les plus demandées. Or, jusqu’ici, personne n’avait osé soustraire ce patrimoine à la Nation : il s’agit là d’un bien commun financé par les subventions publiques.
Parallèlement, et dans la droite ligne des politiques de métropolisation menées depuis trente ans, tous les outils sont désormais soustraits de la main des maires, appelés à devenir de simples intendants des intercommunalités géantes. Sur ce point, nous nous félicitons du travail accompli par la commission pour redonner le pouvoir aux maires.
Avec votre projet de loi, les locataires, notamment du secteur HLM, sont dangereusement précarisés. Après avoir flexibilisé le droit du travail, vous flexibilisez le bail, par le bail mobilité. Toute volonté de régulation a été supprimée, notamment l’encadrement des loyers, ou encore la garantie universelle des loyers, qui s’est transformée en garantie spécifique VISALE. Or tous les indicateurs sont au rouge. Le poids des dépenses de logement dans le budget des ménages continue de peser trop lourd, et la rente immobilière ne faiblit pas, avec des niveaux de loyers toujours trop élevés.
Pourtant – « en même temps », devrait-on dire –, ce gouvernement n’en finit plus d’économiser sur les aides au logement. Apparemment, cet argent est plus utile pour financer les crédits d’impôt et autres niches fiscales sans même les évaluer, afin de conserver celles qui ont un effet levier et de supprimer les autres. Votre seul choix, c’est de retirer au logement public pour financer l’investissement privé sans souci des conséquences territoriales.
Bien sûr, nous regrettons que le passage en commission ait encore aggravé ce texte par une remise en cause inacceptable de la loi SRU, mettant au ban la nécessaire solidarité territoriale.
Enfin, dans ce projet de loi, on ne trouve rien sur les quartiers, malgré les propositions du plan Borloo ; rien sur les territoires ruraux et l’effort gigantesque à produire en termes de réhabilitation ; rien non plus sur les zones dites « détendues » ; rien sur l’impérieuse obligation qui est la nôtre d’apporter des solutions pour éviter des désertifications territoriales et une dégradation de l’existant ; rien sur la réimplantation de circuits courts de production de matières premières pour la construction, permettant de penser l’habitat de demain, de relever les défis environnementaux du secteur du bâtiment et de créer des emplois non délocalisables.
Alors, je le réaffirme ici fortement, nous considérons que nous avons plus que jamais besoin d’une politique publique du logement pour répondre aux besoins de nos concitoyens, des plus jeunes aux plus âgés. Ils sont près de 2 millions à attendre un logement social, près de 12 millions à souffrir d’une manière ou d’une autre du mal-logement. Pour eux, il n’y a aucun gâteau à partager : toutes les parts iront aux plus aisés, aux plus chanceux.
Par nos amendements, nous tenterons d’apporter des solutions et des pistes pour une politique du logement progressiste, humaniste, à l’inverse de votre logique de financiarisation et de privatisation de ce bien de première nécessité, de cet élément consubstantiel de la dignité qu’est le fait d’avoir un toit.