Intervention de Maria Esteban

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 28 juin 2018 à 10h00
Échanges avec mme nathalie carrasco chimiste enseignante-chercheuse au laboratoire atmosphères milieux observations spatiales latmos prix irène joliot-curie 2016 catégorie « jeune femme scientifique » ; mme christine clerici présidente de l'université paris-diderot professeure en physiologie membre du conseil scientifique de l'office ; mme isabelle collet présidente de l'association de recherche pour le genre en éducation et formation argef ; mme maria j. esteban mathématicienne directrice de recherche au cnrs présidente de l'international council for industrial and applied mathematics iciam ; mme claudine hermann présidente de la plateforme européenne des femmes scientifiques epws ; mme hélène morlon mathématicienne du vivant directrice de recherche au cnrs prix irène joliot-curie 2017 catégorie « jeune femme scientifique » ; mme anne-lucie wack présidente de la conférence des grandes écoles cge directrice générale de montpellier supagro institut national d'études supérieures agronomiques membre de l'académie des technologies

Maria Esteban, directrice de recherche au CNRS, présidente de l'International Council for Industrial and Applied Mathematics :

mathématicienne, directrice de recherche au CNRS, présidente de l'International Council for Industrial and Applied Mathematics. - J'ai lu avec attention le rapport de la Délégation et le chapitre 6 du rapport de Cédric Villani sur l'intelligence artificielle. J'étais contente de constater que certaines recommandations allaient au-delà de ce que l'on voit typiquement dans ce type de rapport. Lorsque l'on regarde les rapports rédigés par les associations telles que Femmes & Sciences ou par les institutions sur la question de la parité ou de l'absence de parité, on voit le plus souvent des recommandations sur ce qu'on peut faire au lycée et à l'université, la manière dont on peut aider les femmes à aller davantage vers les sciences. C'est très bien, il faut agir à tous les niveaux. Mais je suis convaincue qu'il faut surtout procéder à un changement de culture et de mentalité dans la société.

Je viens du pays basque côté espagnol, un pays où, je pense, les femmes ont grandi avec l'idée que nous avons moins de barrières devant nous simplement parce que nous sommes des femmes. L'image professionnelle des femmes en Espagne ou en Italie, par exemple, est bien meilleure qu'en France. La France n'est pas le pire des pays européens de ce point de vue, mais pas le mieux placé non plus. J'ai grandi dans une famille et dans une société dans lesquelles je voyais beaucoup de femmes autour de moi qui travaillaient, qui avaient des professions scientifiques, dans les hôpitaux, dans la politique, etc. Ça aide parce qu'on se dit « pourquoi pas moi ? ». Je n'ai donc jamais pensé que, parce que j'étais femme, je pourrais aller moins loin, je pourrais aller dans certaines directions mais pas dans d'autres. J'ai constaté autour de moi que cet aspect joue un rôle très important.

Lorsqu'on parle de l'école, il est important de former les enseignants, de donner des « rôles modèles » aux jeunes filles, etc., mais il faut surtout changer la mentalité de la société autour de nous. Les parents jouent un rôle majeur, ils guident leurs enfants. Ce qu'on entend à la maison est très important et l'idée d'y entendre qu'il y aurait des carrières que les femmes ne pourraient pas embrasser est très importante pour déterminer ce que l'on deviendra plus tard. De ce point de vue, la France doit changer sa culture et ses mentalités. Il faut agir pour cela et être efficace.

Nous en parlons dans nos milieux mais vous, les parlementaires, avez plus de pouvoir que nous pour atteindre la société. Par exemple, nous évoquions avec plusieurs collègues la possibilité de diffuser des clips intéressants et intelligents qui pourraient être montrés à la télévision aux heures de grande audience, juste avant les journaux télévisés par exemple, dans lesquels on verrait des femmes en situation professionnelle ou bien dans lesquelles on relaterait des histoires concrètes de femmes qui ont réussi, qui ont des métiers intéressants. À cet égard, je me rappelle qu'un clip a été réalisé dans ce domaine il y a cinq ou six ans par l'Union européenne, qui nous avait horrifiées. Il avait été préparé par la Commission européenne et portait sur les femmes dans les métiers scientifiques, mais c'était choquant de voir de pareils stéréotypes dans un film institutionnel. Le clip a été retiré au bout de trois jours tant il a suscité de protestations immédiates. Il faut faire les choses bien, avec réflexion et vraiment agir dans la société. Vous parlementaires avez la possibilité de le faire beaucoup plus que nous.

Céline Calvez mentionnait tout à l'heure le fameux « plafond de verre ». On en parle souvent dans les médias quand on évoque l'absence des femmes à certains niveaux et dans certains milieux professionnels. Ce plafond de verre est peut-être important, mais je pense que le problème vient plutôt d'en bas. Il faut réussir à attirer plus de femmes vers tous les types de profession et en particulier les professions scientifiques. Oui, il faut faire disparaître ce plafond de verre, mais je pense que pour cela, il faut surtout attirer les femmes vers les professions vers lesquelles elles ne vont pas naturellement actuellement. Il faut agir par le bas. Quand il y a une pression par le bas, on fait « sauter le plafond ».

Il faut évidemment agir aussi à l'école en général, pas seulement au niveau du lycée ou du collège mais aussi dès l'école primaire ; la formation des enseignants est vitale, je suis d'accord avec notre collègue Isabelle Collet, il faut qu'ils agissent de façon égalitaire entre filles et garçons. Des initiatives intéressantes ont été citées dans le rapport sur l'intelligence artificielle, en Inde, en Norvège, etc. On pourrait proposer aux filles, au collège et au lycée, des stages, des activités de clubs, et pas seulement relatives à la programmation informatique ou aux mathématiques. J'étais récemment dans la région Centre pour un stage proposé tous les ans par un groupe d'étudiants qui s'intéressent aux mathématiques et dans lequel on propose un peu de formation, ainsi que des soirées ludiques. Il faut alterner, compléter les activités « sérieuses » par d'autres valorisantes et intéressantes, et ainsi ouvrir des perspectives sympathiques et attirantes vers les métiers scientifiques.

Cédric Villani disait tout à l'heure qu'il fallait constituer des bases de données sur le sujet de la parité dans le domaine scientifique. Je suis d'accord mais je pense que nous disposons de bases de données, de constats, de statistiques. La situation est grave, on le sait tous et toutes, et il faut agir, je le répète. Je le vois avec les associations et les institutions, les rapports qui sortent font toujours les mêmes constats. Faisons des études, mais si je peux demander quelque chose, c'est surtout d'agir et de trouver des moyens pour faire des choses nouvelles qui soient susceptibles de changer la situation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion