Merci beaucoup, madame la Sénatrice, pour cette introduction et pour cette opportunité de réaliser un point d'étape sur la mise en place de cette loi. Nous considérons que cette loi est essentielle, puisqu'elle apporte un changement de regard sur les personnes en situation de prostitution.
L'association Amicale du Nid existe depuis 1946, tout comme le Mouvement du Nid. Les deux structures sont aujourd'hui distinctes, mais elles partagent bien entendu une analyse politique commune et une conception identique de la question de la prostitution et du suivi des personnes en situation de prostitution. L'Amicale du Nid travaille pour sa part avec des professionnels de l'action sociale. Nous comptons 200 salariés et sommes présents dans onze départements à ce jour. Nous allons à la rencontre des personnes en situation de prostitution dans les villes et sur les routes, mais aussi de plus en plus sur Internet. Nous rencontrons entre 4 800 et 4 900 personnes par an.
Ensuite, nous les recevons dans nos différents dispositifs d'accueil, dont des centres d'hébergement et de réinsertion sociale. Chaque année, nous accueillons et accompagnons environ 5 300 personnes adultes. Je précise qu'il s'agit de personnes adultes, car de nombreux enfants sont également touchés par la prostitution, ce que l'on oublie souvent.
Nous menons en outre des actions de sensibilisation et de prévention auprès de 700 jeunes concernés. Nous intervenons aussi dans le domaine de la formation sur les questions posées par la prostitution, auprès de 1 500 professionnels chaque année.
S'agissant de notre financement, nous disposons d'un budget qui représente 13 millions d'euros par an, émanant principalement du budget opérationnel de programme (BOP) 177 au titre des crédits à la lutte pour l'insertion et contre la précarité. Les financements des droits des femmes que vous évoquiez sont importants pour nous, même s'ils ne représentent qu'une partie de nos crédits. Nous y reviendrons en conclusion.
Cette loi du 13 avril 2016 est historique à nos yeux. Notre association s'est engagée aux côtés des autres associations du Collectif Abolition 2012 dès son origine. Nous considérons par conséquent que ce point d'étape sur le parcours de sortie est crucial, puisqu'il en était la mesure phare. En outre, la loi porte sur quatre piliers que nous estimons absolument fondamentaux. Dans ce point d'étape, nous soulignons qu'un changement de regard de la part de la société est en cours. Une telle évolution s'avère essentielle pour les victimes de prostitution, de proxénétisme et de traite. Je parlais hier avec une femme qui a eu la chance de bénéficier du parcours de sortie. Cette reconnaissance comme victime d'un système, et non comme coupable, donne une toute autre dimension à son parcours. Comme elle le disait elle-même : « Je peux maintenant marcher la tête haute ». Il me semble capital de souligner cette évolution des mentalités.
Nous assistons aussi dans les départements à une prise de conscience globale de la réalité et de l'existence du phénomène, y compris dans des territoires où le phénomène n'était pas perçu. Nous avons ainsi été amenés à réaliser des interventions dans l'Aube, en Haute-Marne ou dans quelques départements de Nouvelle-Aquitaine où il n'y a aucune association spécialisée. Nous avons été accueillis par des déclarations affirmant que la prostitution n'y existait pas. Or un travail avec les acteurs de terrain permet de constater que la prostitution existe partout. Il suffit de regarder des annonces sur Internet pour s'en convaincre. Nous avons par conséquent effectué une quarantaine de conférences au sein de différents départements, ainsi que des diagnostics. Nous nous apercevons que cette loi fait évoluer le regard porté sur la prostitution. Par ailleurs, l'ensemble de ces actions soulève une question extrêmement préoccupante, à savoir l'ampleur de la prostitution des mineurs, aussi bien français qu'étrangers.
Sur le parcours de sortie plus précisément, le point d'étape que nous pouvons faire aujourd'hui survient très peu de temps après sa mise en place effective. En effet, les premières commissions ont eu lieu fin 2017. Il a fallu attendre que les décrets soient publiés et que les commissions s'organisent. En outre, les premières réunions des commissions visent souvent à construire une culture commune pour se familiariser avec la loi et bien identifier le phénomène. Nos associations ont été sollicitées dans ce cadre. En réalité, les premiers parcours de sortie se sont mis en place à partir d'octobre et novembre 2017.
Jusqu'à ce jour, nous avons porté trente demandes de parcours de sortie. Nous avons obtenu vingt-cinq accords des commissions puis vingt validations par le préfet. À l'heure actuelle, cinq demandes restent en attente. Cinq autres ont été refusées.
Concernant les éventuelles différences selon les territoires, nous affirmons qu'en effet de tels écarts existent de manière significative. Notre association est agréée dans quinze départements. Or cinq de ces quinze départements n'ont pas encore mis en place de commissions. Dans des départements aussi importants que le Rhône et les Bouches-du-Rhône, par exemple, ces commissions sont annoncées, sans qu'elles soient toutefois mises en place, ni même encore constituées.
Par ailleurs, l'application de la loi et des décrets varie dans l'examen des dossiers de demande de parcours de sortie. Ainsi, les cinq refus que nous avons reçus se basent sur le fait que les cinq femmes en question ne présentent pas leurs documents d'identité du pays d'origine. Or il s'agit d'une évidence dans le cas de victimes de traite des êtres humains. Les réseaux les font venir en France avec de faux documents. Pour cette raison, ces femmes doivent être protégées à double titre : comme victimes de la traite des êtres humains et comme victimes de la prostitution. Pourtant, ce fait précis a été avancé comme raison pour refuser le parcours de sortie. La même question s'est posée dans d'autres départements, où les demandes ont été acceptées. L'autorisation provisoire de séjour, selon les départements, a été accordée sous X ou repoussée jusqu'à ce que la personne parvienne à obtenir ses papiers du pays d'origine. Il s'agit d'un processus long et difficile. La commission a statué en décembre, puis nous avons reçu la réponse négative début avril. Vous imaginez la situation de ces femmes à qui nous avons dit que la France pourrait les reconnaître comme victimes, et qui se trouvent maintenant en attente d'une décision, voire déboutées. Elles en ressentent une blessure importante.
En revanche, nous commençons à percevoir les effets auprès des femmes qui ont reçu leur accord. Je parlais hier avec l'établissement de Montpellier. Une de ces jeunes femmes a pu obtenir son parcours de sortie en début d'année. Elle a déjà trouvé un travail. Ces victimes font preuve d'une énergie formidable ! La loi leur apporte un soutien considérable.
Nous rencontrons cependant des difficultés sur le terrain. Cette loi à laquelle nous sommes attachés offre un appui considérable à toutes les personnes que nous voyons. Toutefois, les obstacles à son application tiennent aux problèmes d'interprétation des différentes commissions. Pour parler franchement, un point particulièrement difficile réside dans le conflit avec la politique migratoire.
Par ailleurs, certaines commissions ont tendance à conditionner le parcours de sortie au fait que la victime porte plainte. Cette pratique s'oppose à l'esprit de la loi puisque les victimes de proxénétisme et de traite qui portent plainte ou qui témoignent contre leurs exploiteurs peuvent d'ores et déjà bénéficier, quand elles sont étrangères, de l'article 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA). Le parcours de sortie prévu par la loi du 13 avril 2016 a justement été conçu pour les personnes qui ne peuvent pas, ne veulent pas encore ou ne souhaitent pas porter plainte, car elles sont soumises à des chantages terribles. En outre, nous avons également remarqué que certaines commissions demandent des preuves d'insertion des demandeurs. Comment une victime de prostitution, de traite ou de proxénétisme, souvent sans papier, pourrait-elle être en mesure de fournir de telles preuves ?
Il nous paraît donc nécessaire que l'application de cette loi soit travaillée et qu'une culture commune se bâtisse.
Nous avons de plus identifié un obstacle supplémentaire. En effet, il reste encore certains textes à adopter ou à modifier. Par exemple, l'inscription à Pôle Emploi n'est théoriquement pas possible pour les détenteurs d'une autorisation provisoire de séjour de six mois. Le service des droits des femmes nous a assuré qu'une instruction paraîtrait prochainement et qu'un décret était en cours de rédaction afin que cette autorisation provisoire de séjour soit ajoutée aux documents qui donnent droit à une inscription à Pôle Emploi. La loi précise bien que cette autorisation provisoire de séjour donne droit à un travail. De surcroît, le texte doit aussi intégrer une disposition sur l'accès aux logements adaptés tels que les résidences sociales et les pensions de famille. Là encore, ces structures ne sont en théorie pas ouvertes aux détenteurs d'autorisation provisoire de séjour de six mois. Nous espérons par conséquent que ces adaptations seront bientôt effectives.
Le dernier point que je souhaite aborder concerne la question des financements. Les crédits de l'action 15 du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » ont en effet été réduits à cinq millions d'euros, soit un montant très faible. L'Amicale du Nid est financée au titre du BOP 177, ce qui signifie que nous pouvons accueillir et accompagner dans le parcours de sortie de la prostitution les personnes que nous suivons au titre des Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Toutefois, nos travailleurs sociaux ne peuvent traiter l'ensemble des demandes. En 2017, nous n'avons pas pu répondre favorablement à environ 300 personnes qui nous demandaient un accompagnement au sens large, devant aboutir à un parcours de sortie. Nous considérons que ce problème est d'autant plus grave que le nombre de demandes augmente significativement à mesure que le dispositif du parcours de sortie de la prostitution se fait connaître. En outre, le manque de crédits alloués, notamment aux droits des femmes, est criant. Nous sommes agréés dans quinze départements mais nous n'avons aucune réponse sur nos demandes de crédits pour y débuter notre action dans quatre départements de Bretagne, par exemple. Nous nous trouvons donc parfois dans une situation ubuesque où nous sommes agréés, mais où nous ne disposons d'aucun moyen d'agir. La question des financements s'avère essentielle.