Intervention de Stéphanie Caradec

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 avril 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur le parcours de sortie de la prostitution

Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du Nid :

Bonjour à toutes et à tous. Je remercie madame la présidente pour cette invitation.

Le Nid a été créé en 1946. Dans les années 1970, il a évolué en deux structures. D'un côté, la partie regroupant les centres d'hébergement et les travailleurs sociaux est devenue l'Amicale du Nid. De l'autre, les militants et les bénévoles ont formé le Mouvement du Nid. Il s'agit donc principalement d'une association qui repose sur l'activité de 400 bénévoles et dix-sept salariés, dont cinq au siège national. Nous sommes implantés dans vingt-six départements. Les salariés qui travaillent au sein des délégations départementales coordonnent et appuient l'action des bénévoles. Nous sommes en outre agréés dans quinze départements pour mettre en place et accompagner les parcours de sortie de la prostitution. Ces chiffres montrent bien que l'accompagnement des personnes prostituées en France repose largement à l'heure actuelle sur une activité bénévole. Le financement de l'action 15, estampillée « Parcours de sortie de la prostitution », ne recouvre que l'aide financière à l'insertion des personnes prostituées. Ce champ d'action sociale se trouve donc largement sous-doté par rapport à la mesure de l'enjeu.

Dans l'ensemble des vingt-six départements, nous allons chaque année à la rencontre d'environ 5 000 personnes sur les lieux de prostitution et nous accompagnons entre 700 et 1 200 personnes en accompagnement régulier et global.

Il me semble intéressant de vous expliquer de quelle manière fonctionnent les associations agréées comme la nôtre et comment nous procédons pour l'accompagnement des personnes. Comme je l'ai précisé, nous ne sommes pas des travailleurs sociaux. Les bénévoles ont une fonction de mouvement relais. Notre objectif consiste à tisser une relation de confiance avec les personnes que nous rencontrons et que nous accompagnons sur un très long terme. En tant qu'association de bénévoles, nous avons en effet la capacité d'accompagner plus longuement que d'autres structures ces personnes qui ne remplissent pas les critères habituels de l'accompagnement social. Nous oeuvrons sur un temps long et tissons une relation de confiance afin de devenir leurs référents et de leur ouvrir au mieux les portes du droit commun. Il nous faut en outre fréquemment lutter contre les stéréotypes qui existent autour de la prostitution dans l'ensemble de la société et donc aussi dans le domaine de l'action sociale ou des forces de l'ordre. En effet, la prostitution demeure une des violences faites aux femmes, fortement empreinte de représentations faussées. Pour cette raison, nous proposons des formations aux acteurs sociaux. Ce point nous semble particulièrement fondamental dans le cadre de la loi du 13 avril 2016. Nous effectuons également de la prévention.

Notre budget s'élève à 1,4 million d'euros et repose à plus de 50 % sur les crédits de l'action 15 pour nos délégations. À la différence de l'Amicale du Nid, nous ne disposons pas de centres d'hébergement. Notre action repose par conséquent en majorité sur les budgets de l'égalité entre les femmes et les hommes de l'action 15 « Lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains ». Lorsque ces crédits sont diminués, notre budget se trouve réduit d'autant.

Concernant les effets des parcours de sortie deux ans après l'adoption de la loi, je rejoins ma collègue Hélène de Rugy sur le fait que la période d'application réelle s'avère bien plus courte que cela. En tenant compte des décrets d'application, de la période électorale qui ouvrait une période de réserve de la part des préfets ainsi que de la période estivale, nous comptons en réalité seulement cinq mois d'application, les premières commissions ayant examiné des dossiers pour les parcours de sortie ne se sont tenues qu'à partir du mois d'octobre 2017. D'après nos chiffres, qui connaissent une augmentation constante, nous dénombrons cinquante-cinq personnes qui ont accédé au parcours de sortie en France à la fin mars. Ce chiffre nous semble honorable.

Il faut en effet mesurer que le 13 avril 2016, quelque chose d'incroyable s'est passé sur la prostitution : nous avons transformé considérablement la perception de ce sujet en France. Jusqu'alors, les personnes prostituées étaient perçues comme des délinquantes en raison du délit de racolage. Elles n'étaient pas reconnues comme des femmes victimes de violences, et donc des femmes à protéger, à l'exception peut-être des personnes victimes de la traite des êtres humains qui bénéficient d'une législation spécifique. Mais le nombre de condamnations prononcées sur ce fondement demeure faible. Quand en 2016 on opère ce changement, c'est l'ensemble de la société qui doit changer avec la loi, et au premier rang des acteurs, l'État. Puisqu'on reconnaît avec cette loi que l'État est responsable de la protection de ces victimes et de leur prise en charge, y compris quand elles ne suivent pas un parcours de sortie de la prostitution. Le code de l'action sociale et des familles précise désormais que toutes les victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains doivent bénéficier de la protection de l'État.

Pour cela, les commissions départementales réunissent tous les acteurs dont les parlementaires ont jugé qu'ils avaient un poids dans la prévention ou l'accompagnement des victimes. Toutefois, une majorité de ces acteurs au niveau local n'avaient jamais pris la mesure de ce sujet, étant donné qu'ils n'avaient pas l'obligation légale de le faire. Les commissions départementales sont fondamentales. Elles font donc office d'accélérateurs de changement social à cet égard. Elles permettront de changer la compréhension de la prostitution sur les territoires, car chaque année, ce sujet devra ainsi être mis à l'ordre du jour. Ces commissions départementales valident les parcours de sortie de la prostitution ou émettent un avis pour que le préfet puisse les valider. Mais si elles sont composées en majorité de personnes qui découvrent le sujet, la compréhension et la mise en oeuvre de la loi dépendront de la sensibilité locale, a fortiori en l'absence de mobilisation nationale ou gouvernementale pour faire comprendre le sujet.

Aucune directive claire n'existe aujourd'hui sur les territoires à l'adresse des préfectures sur ce qui doit être mis en place. La circulaire d'application, pour sa part, peut être concurrencée par d'autres politiques publiques qui sont jugées prioritaires. La question de l'immigration illégale, par exemple, vient biaiser le dispositif de parcours de sortie, qui peut être considéré dans certaines préfectures comme un outil alternatif pour des personnes étrangères, lorsque les autres moyens de recours au séjour ont échoué.

Nous rencontrons d'autres cas dans lesquels le parcours de sortie de la prostitution se réduit aux droits ouverts, à savoir l'autorisation provisoire de séjour et l'aide financière à l'insertion sociale. Cette pratique exclut toute une partie de la population qui a besoin d'un accompagnement global renforcé et d'une commission pluridisciplinaire qui leur ouvre des portes, lorsque le parcours d'intégration ou de réinsertion de ces personnes a été mis à mal pendant des années.

Nous avons également reçu de la part du préfet des réponses d'ajournement de l'entrée dans le parcours de sortie de la prostitution mentionnant la nécessité d'informations complémentaires, sans toutefois toujours préciser lesquelles. Les associations les connaissent parce qu'elles sont présentes lors des échanges en commissions départementales. Dans certains cas, l'administration exige la réponse de l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) suite à une demande d'asile. Or il nous semble incroyable que des demandes de parcours de sortie de la prostitution se voient opposer un refus sous prétexte que les personnes ont demandé l'asile. Toute personne a le droit d'accéder à un parcours de sortie de la prostitution, y compris en cas d'obligation de quitter le territoire français, en cas de demande d'asile si on est Français, que l'on n'a pas besoin de titre de séjour et que l'on rencontre des difficultés à trouver un logement pérenne par exemple. Ces situations s'inscrivent dans le parcours de sortie de la prostitution. Parce que la prostitution laisse des traces et renforce les difficultés de l'insertion professionnelle et sociale.

Le fait qu'il s'agisse d'une nouvelle loi implique qu'elle soit accompagnée dans sa mise en oeuvre. Nous devons faire comprendre les réalités de la prostitution à celles et ceux qui sont responsables de son application sur l'ensemble du territoire. Il convient d'expliquer l'origine de la loi et les attentes que nous avons vis-à-vis d'elle. Autrement, nous risquons de constater une hétérogénéité territoriale dans la mise en oeuvre du parcours de sortie, à la fois pour son déploiement et pour sa compréhension. Nous voulons éviter que les dossiers déposés dans un département ou un autre n'obtiennent pas de réponse identique.

Trente-quatre commissions départementales se sont déjà tenues ; nous espérons que ces commissions continueront à se mettre en place. Il existe aujourd'hui tout un pan du territoire où la mise en oeuvre ne progressera pas si aucune motivation n'est impulsée par l'État. Le dispositif repose en grande partie sur la volonté du préfet ou sur le poids local de la déléguée départementale aux droits des femmes.

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