Intervention de Stéphanie Caradec

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 avril 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur le parcours de sortie de la prostitution

Stéphanie Caradec, directrice du Mouvement du Nid :

En effet, concernant le volet pénal.

Pour ces cinquante-cinq femmes qui sont aujourd'hui dans un parcours de sortie, je rejoins Hélène de Rugy. Leur vie s'en trouve radicalement changée. Elles obtiennent d'abord un titre de séjour. Les plus chanceuses ont accès à un logement, ce qui constitue encore un enjeu problématique. En effet, disposer d'un titre de séjour et d'un logement leur permet de s'installer. Un tel ancrage s'avère fondamental. Elles ont en outre le droit de travailler.

Nous entendons des histoires incroyables. Certaines jeunes femmes, même si elles étaient sorties de l'emprise du réseau, continuaient à se prostituer pour subvenir aux besoins de leurs enfants. Maintenant qu'elles sont dans le parcours de sortie, elles nous racontent combien leur vie a changé. Elles sont prêtes à se lever à cinq heures du matin pour faire de l'empaquetage ou des ménages plutôt que de retourner en forêt pour subir la violence extrême de la prostitution. Certes, pour l'instant ces emplois ne sont pas qualifiés. Cette situation risque de perdurer si ces femmes ne peuvent accéder à des formations longues. Le titre de séjour de six mois bloque en effet l'accès aux formations de neuf mois. Nous souhaiterions par conséquent obtenir des dérogations à ce sujet-là afin qu'elles puissent accéder à des formations qualifiantes, généralement plus longues.

Par ailleurs, l'hétérogénéité de la mise en oeuvre du parcours de sortie dans les territoires repose sur le type de structures agréées localement. Certaines structures agréées aujourd'hui ne faisaient pas d'accompagnement des personnes prostituées auparavant. Il s'agit par exemple de CHRS qui accompagnent des femmes victimes de violence. Nous participons à leur formation sur ce sujet spécifique, même si le sujet de la prostitution est connexe avec celui des violences faites aux femmes. Nous souhaitons bien entendu qu'un nombre croissant d'associations soit agréé. Toutefois, la maîtrise de ce nouveau champ demande du temps pour se familiariser avec de nouveaux sujets, entrer en contact avec les personnes prostituées. Lorsque ces associations n'accompagnaient pas jusque-là de personnes prostituées, elles n'ont pas toujours, de suite, de dossiers de parcours de sortie à présenter. Ces éléments contribuent à expliquer que le nombre de parcours de sortie reste aujourd'hui réduit.

Les associations agréées sont en effet différentes. Elles possèdent des cultures différentes et doivent apprendre à se faire connaître des personnes prostituées pour qu'elles soient des points de contact, être identifiées par les autres structures. La réussite de ce dispositif repose par ailleurs sur le choix que fait l'État de soutenir financièrement cette politique publique et de la faire vivre sur le territoire.

Pour vous donner un exemple concret, notre délégation parisienne compte une travailleuse sociale et plusieurs bénévoles. Ils accompagnent régulièrement quatre-vingt-dix personnes. Pour le moment, ils n'ont pu présenter que trois parcours de sortie de la prostitution. Nous estimons pourtant que la moitié des personnes accompagnées à Paris pourraient entrer dans le parcours. Or ce parcours de sortie implique un accompagnement rapproché dans un temps court. La personne dispose en effet de six mois pour remplir un certain nombre d'objectifs en fonction de sa situation. Le système implique donc un suivi extrêmement important. Nos associations de bénévoles ne sont malheureusement pas en capacité de présenter toutes les personnes qui devraient accéder au parcours de sortie. Elles le sont d'autant moins que les crédits du programme 137 sur l'action 15 ont été annulés en cours d'exercice, en août 2017, au motif que les parcours de sortie n'avaient pas commencé. Cette décision, qui réduit l'activité des associations, néglige tout le travail que nous effectuons en amont pour rencontrer et accompagner ces personnes ainsi que pour former et prévenir les autres acteurs sur ces questions. Même si on nous a expliqué que cette décision avait été une erreur, certaines déléguées départementales aux droits des femmes nous refusent encore aujourd'hui des financements pour l'accompagnement des personnes sous prétexte que nous n'avons pas présenté suffisamment de dossiers de sortie de la prostitution.

Or ce parcours ne fonctionne pas comme un dispositif guichet de type RSA (Revenu de solidarité active). Il nécessite un accompagnement préalable, une rencontre avec ces personnes qui se trouvent la plupart du temps sous l'emprise de réseaux et qui fuient les associations sous la menace de leurs proxénètes. Les associations doivent pouvoir approcher ces personnes, que ce soit à l'OFPRA, dans les rues ou sur Internet. Ensuite, il faut que nous puissions travailler avec elles en dépit de leurs appréhensions. Nous établissons une relation de confiance qui s'inscrit dans le long terme. Après quelque temps, ce travail aboutira peut-être à un parcours de sortie de la prostitution. Mais il n'y aura plus de parcours de sortie si nous ne pouvons pas faire ce travail préalable.

Le parcours de sortie de la prostitution ne doit pas être l'entrée de compréhension de cette loi, ce n'en est qu'un outil. Nous considérons par conséquent que cette loi comporte de bons outils et qu'elle adopte un point de vue global et transversal. Toutefois, pour que son application s'avère efficace, pour qu'un changement d'échelle et une réduction du nombre de victimes surviennent, nous avons besoin de directives interministérielles de compréhension du sujet, d'une animation sur le territoire et d'un soutien des structures qui accompagnent ces personnes. Le parcours de sortie de la prostitution ne doit pas être perçu uniquement comme une aide financière à l'insertion sociale.

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