Intervention de Laurence Rossignol

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 12 avril 2018 : 1ère réunion
Table ronde sur le parcours de sortie de la prostitution

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Bonjour à toutes. Bonjour aux représentantes des associations que je suis heureuse de retrouver ce matin pour parler effectivement d'une loi importante.

Celles et ceux qui l'ont portée et accompagnée lors du travail parlementaire savent que cette loi m'a beaucoup tenu à coeur. Je tiens à rappeler que les conditions de son adoption n'ont pas été faciles. Cette loi représentait une évidence pour un certain nombre d'entre nous, notamment sur la nécessité de changer de regard sur la prostitution, et en particulier sur l'achat de services sexuels. Avant d'être une loi sur la prostitution, cette loi pénalise en effet l'achat de services sexuels. Elle pose une règle relativement simple : tant que le corps des femmes pourra être acheté, loué ou vendu, et même si nous savons que 15 % des personnes en situation de prostitution sont des hommes, l'égalité entre les femmes et les hommes ne sera pas atteinte.

Cette loi s'articule par conséquent dans une ambition plus globale de l'égalité entre les femmes et les hommes. J'entends aujourd'hui une prise de conscience sur la dimension systémique des discriminations et des inégalités entre les femmes et les hommes. Cette dimension systémique passe également par l'achat de services sexuels. De mon point de vue, cette loi est également fondamentale contre les violences de rue faites aux femmes. Je suis d'ailleurs étonnée que le nouveau projet de loi, qui vise à sanctionner les violences de rue par l'outrage sexiste, ne soit pas rattaché à la loi contre l'achat de services sexuels. Il en est selon moi partie intégrante.

En outre, nous avons assisté à une offensive très forte lorsque nous avons débattu de la loi du 13 avril 2016. Cette offensive rassemble des individus, que je ne soupçonne pas tous de représenter le lobby des clients de la prostitution. Certains en faisaient cependant partie et s'exprimaient au nom des clients de la prostitution. Nous les avons entendus, y compris dans notre hémicycle au moment du vote de la loi. J'en prends toute ma responsabilité puisqu'ils étaient, à l'époque, dans nos propres rangs. Ils ne sont plus à nos côtés aujourd'hui étant donné qu'ils ont rejoint La République En Marche. Je ne peux m'empêcher de rappeler qu'ils étaient des nôtres à cette époque. Je ne me permettrais toutefois pas de suggérer l'existence d'un lien entre leur évolution politique et leurs convictions de l'époque sur le sujet. Je me contente de l'observer.

Cette loi a aggloméré contre elle à la fois le lobby des clients et celui des proxénètes. Il faut savoir que ce lobby existe. Il s'exprime comme tout autre lobby à Bruxelles ou sur la scène internationale. Ses représentants se dissimulent sous des appellations et des instituts variés et très organisés. Ils étaient partie prenante de cette loi, de la même manière que les producteurs de tabac se manifestent lorsqu'une loi vise à réduire la consommation de tabac. Ce n'est pas différent. Je rappelle l'ampleur du trafic prostitutionnel et du proxénétisme sur la planète : il s'agit de l'un des trois principaux business illégaux à l'échelle mondiale, avec le trafic de drogue et celui des armes - les trois étant d'ailleurs interconnectés.

Un autre groupe de pression contre la loi réunissait des associations dont je me désolais de constater la position, et qui s'expriment encore aujourd'hui contre la loi et contre le parcours de sortie. Ces associations comprennent le Planning familial ou Médecins du monde. Elles affirment que la loi fragilise les personnes prostituées. Elles cherchent en outre à dissocier le volet social du volet pénal alors que nous les considérons comme complémentaires.

De surcroît, un courant de pensée se répand actuellement sur divers autres sujets, de manière cohérente, autour de l'idée que les femmes, puisqu'elles peuvent disposer librement de leur corps, peuvent aussi bien porter tous les signes extérieurs de soumission que se prostituer. Il s'agit là d'un courant qui se présente comme profondément libéral : ceux qui remettraient en cause ces soi-disant nouvelles libertés sont considérés comme des liberticides à l'égard des libertés des femmes.

Mais la loi a défini le trafic et l'activité prostitutionnelle comme une violence à l'encontre des femmes. Depuis le temps que je travaille sur ce sujet, je n'ai encore jamais rencontré de prostituées heureuses. Ces dernières n'existent que dans les romans du XIXe siècle ou de la première moitié du XXe. La prostitution heureuse n'est qu'un mythe de la domination masculine pour justifier l'activité des prédateurs. J'ai rencontré de nombreuses prostituées. Aucune ne m'a jamais dit : « Je souhaite que mon enfant fasse la même chose que moi » ! Or lorsque je rencontre des médecins, des magistrats, des commerçants, ils se montrent fiers quand leurs enfants choisissent le même métier qu'eux. La prostitution n'est pas un métier qui rend heureux !

D'ailleurs, l'espérance de vie des personnes prostituées s'avère similaire à celle des personnes à la rue ou des poly-toxicomanes. La prostitution est une activité tellement dure qu'elle nécessite souvent de recourir à des substances psychoactives pour supporter vingt, trente ou quarante passes par jour. La réalité de la prostitution d'aujourd'hui n'a rien à voir avec les demi-mondaines des histoires que certains racontent.

À l'heure actuelle, je crois qu'il n'existe pas de volonté politique d'appliquer cette loi, comme vous l'avez souligné vous-mêmes. J'ignore si ce manque de volonté a un lien avec le fait que le Premier ministre et le ministre de l'Économie ont voté contre la loi à l'époque. S'ils admettent s'être trompés, nous ne leur en tiendrons pas rigueur. Mais comme vous le constatez, il n'est nul besoin d'abroger une loi pour la faire disparaître. Il suffit en réalité de l'ignorer, de ne pas l'appliquer, de ne pas donner consigne aux préfets de la mettre en oeuvre et de couper les crédits à destination de son application.

Nous nous trouvons donc aujourd'hui dans une interrogation : quelle est la volonté du Gouvernement d'appliquer la loi dans son volet pénal et dans le parcours de sortie ? Je dois d'ailleurs rendre hommage à toute une partie du corps de la gendarmerie, de la police, de la magistrature et à certaines administrations préfectorales qui ont décidé d'appliquer la loi. Ils en utilisent tous les atouts pour lutter contre le proxénétisme et l'achat de services sexuels ainsi que pour réinsérer les personnes prostituées.

Nous devons par conséquent nous attendre à traverser une période difficile. Comme la loi n'est pas portée par une volonté politique forte dans sa mise en oeuvre, les détracteurs pourront remettre en cause son efficacité. Or il est aisé de ne rien faire pour appliquer une loi et d'affirmer ensuite qu'elle ne fonctionne pas. Nous faisons face à une évaluation sur l'efficacité de la loi qui est exceptionnelle dans l'approche du droit pénal. Je vous assure qu'aucun autre champ de la politique pénale n'est soumis à la même exigence d'efficacité, à mesurer à l'aulne de la volonté de la voir appliquée.

Notre arsenal législatif en matière de lutte contre les stupéfiants est un échec de politique pénale, mais personne ne s'en émeut et propose d'y renoncer ! Pour la prostitution, il y a une exigence d'efficacité qui n'existe pas à l'égard des stupéfiants.

J'ignore si nous devrons en venir à des actions en justice contre l'État. Toutefois, lorsque les lois ne sont pas appliquées, il existe des tribunaux devant lesquels demander qu'elles le soient. Nous devrons peut-être l'envisager. Pour l'heure, je ne désespère pas. J'attends de la part du Gouvernement un message fort d'adhésion à cette loi, à son esprit, à son ambition et à son volet social. J'attends ensuite que ce message fort se traduise par l'attribution de moyens nécessaires pour que les associations puissent agir sur le terrain. Nous savons bien que vous ne demandez pas des financements pour justifier votre existence : vous les demandez afin de mettre en oeuvre les missions dont vous êtes chargés. Nous soutenons donc l'émergence de tout moyen supplémentaire, y compris par des procédures plus modernes d'appel à des nouveaux acteurs.

Je vous remercie.

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