J'insiste pour ma part sur l'impact de la politique de lutte contre l'immigration sur les victimes de la prostitution. Je prendrai l'exemple d'une femme nigériane qui a dénoncé son réseau et déposé une demande de parcours de sortie dont le dossier a été ajourné en l'attente d'informations complémentaires, et cette information complémentaire consiste à savoir si la procédure Dublin peut s'appliquer à son cas pour qu'elle soit renvoyé en Italie. C'est une femme qui de l'Italie n'a connu que le réseau de proxénétisme, qui est allé la chercher dans le camp de réfugié où elle transitait, qui l'a prostituée dans des conditions horribles. Ce qu'elle connaît de l'Italie, c'est la prostitution et le traumatisme que représente pour elle cette expérience. Si la France la renvoie vers l'Italie, c'est la renvoyer à la mort. Les femmes victimes de violences doivent d'abord être considérées comme des femmes victimes de violences que l'État doit protéger en respectant ses engagements internationaux, dont la Convention de Varsovie. Le raccourcissement des délais de traitement de la demande d'asile par l'OFPRA, prévu par le projet de loi « asile et immigration », nous semble extrêmement préjudiciable parce qu'il nous laisse moins de temps pour approcher des femmes qui parfois ne savent même pas ce qu'elles font à l'OFPRA, elles sont envoyées par leur réseau pour déposer des demandes d'asile qui n'aboutiront pas parce ce sont de fausses demandes qui laissent le temps aux réseaux de gagner de l'argent sur leur dos le temps de la demande d'examen. Et ensuite elles sont déboutées. Or les réseaux de trafiquants risquent de bénéficier de ces nouvelles mesures. Je le redis, lorsqu'elles sont à l'OFPRA, nous avons besoin de temps pour approcher les personnes vulnérables, pour lever l'emprise de leur réseau et reconstituer avec elles le parcours qui leur donne droit au statut de réfugié. Mais nous rencontrons des difficultés à nous faire entendre sur ce projet de loi « asile et immigration ».
Concernant la mise en oeuvre de la loi, je tiens à rappeler que nous avons attendu sept ans avant que la loi soit votée. Nous devrons sans doute attendre sept nouvelles années pour voir les premiers effets de la mise en oeuvre. J'ai échangé avec des partenaires suédois, qui m'ont expliqué que la Suède procède des évaluations à vingt ans. En effet, pour mesurer l'évolution d'une société qui a pendant des millénaires considéré que c'était le fait des femmes qui souhaitaient « travailler » pour assouvir les « besoins sexuels irrépressibles des hommes », deux ans dont une année de publication des textes réglementaires de mises en oeuvre et un an d'application paraît ridicule.
Les adversaires de cette loi font vraiment preuve de mauvaise foi de vouloir sortir des chiffres sur l'effet de cette loi, alors qu'elle commence tout juste à être mise en oeuvre. Dans sept ans, peut-être pourrons-nous en voir les effets, encore faut-il qu'elle soit mise en oeuvre. Les débats sur le projet de loi finances pour 2018 ont d'ailleurs bien illustré la considération apportée à ce sujet par les différents acteurs. Les sénateurs et les sénatrices ont obtenu de rétablir des financements tels qu'ils étaient prévus en 2017. Mais l'Assemblée nationale les a finalement supprimés. L'argument qui nous a été opposé était que nous ne serions pas en mesure, à moyens constants, de compter plus de 600 parcours de sortie. L'aide à l'insertion sociale des personnes prostituées a ainsi été ramenée de 1 000 parcours de sortie à 600. La réduction de ces financements s'est appuyée sur le principe de réalité. Pour rappel, les associations estiment que 9 000 personnes seraient en mesure de bénéficier du parcours de sortie. J'estime donc pour ma part que cette décision de la part de l'État français ne démontre pas de volonté de changer d'échelle et témoigne d'une volonté de demeurer à moyens constants.
En outre, dans le cadre de la libération de la parole sur les violences faites aux femmes, nous devons garder en tête que les violences subies par les femmes en situation de prostitution s'étendent bien au-delà de l'acte sexuel tarifé. Ces femmes subissent en effet des violences démultipliées par rapport à la population féminine en général.