Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre mission.
Après une formation de biochimie complétée en gestion de qualité, commerce et entrepreneuriat, j'ai exercé différentes fonctions durant treize ans dans un groupe français de chimie. Un voyage en Amérique du Sud et la découverte de la jungle d'Amazonie, fabuleuse mine de remèdes naturels cachés, ont été pour moi une véritable prise de conscience. Fort de ces expériences, j'ai créé ma propre entreprise artisanale en 2005, pour revenir à des valeurs professionnelles qui me correspondaient mieux. Aujourd'hui, Essenciagua, TPE spécialisée dans l'aromathérapie, est indépendante et installée dans un nouvel atelier innovant en Lozère, en cohérence avec le slogan du territoire « La Lozère Naturellement ». Deux millions d'euros ont été investis et nous employons 7 personnes déjà qualifiées ou que l'on forme à des emplois productifs pérennes.
Nous distillons à échelle artisanale 40 plantes, alimentaires à la base, 100 % françaises, pour en extraire des hydrolats et des huiles essentielles. Il s'agit d'un travail physique, technique et pointu, que nous faisons sans cesse évoluer pour une montée en gamme même si le procédé est à la base simple et traditionnel. Comme pour un grand cognac, nous parlons, pour nos fabrications, de grands crus artisanaux, qui fixent aussi des exigences de qualité indispensables aux usages en matière de santé.
Pour notre TPE, dont le chiffre d'affaires est de moins d'un million d'euros, c'est un engagement annuel d'une cinquantaine d'hectares éclatés sur divers biotopes régionaux. Cet engagement sur la filière agricole en amont nous a valu non seulement le soutien financier renouvelé des institutions locales mais aussi celui de l'Agence Bio à travers ses fonds « Avenir Bio », y compris pour nos partenaires hors métropole, comme à Mayotte.
Notre modèle se singularise dans le secteur de l'aromathérapie par des débouchés diversifiés (alimentaire, bien-être, santé humaine ou animale et agriculture) qui sont la condition même de notre viabilité économique, malgré les multiples contraintes règlementaires.
Dès la création d'Essenciagua, et j'insiste sur ce point, nous avons pu entrer très vite sur le marché de l'aromathérapie grâce aux magasins spécialisés, probablement sensibles à nos arguments productifs et bio. Pour autant, nous avons toujours pensé que les professionnels de santé devraient être les mieux armés pour revendre des produits aussi techniques, a fortiori qualitatifs. La réalité commerciale est comme souvent plus complexe et paradoxale. En treize ans, notre gamme et l'entreprise ont muri. Elles répondent à une attente forte de certaines pharmacies spécialisées pour une gamme de qualité, fabriquée France.
Nous avons toujours choisi de soutenir la « vente accompagnée » en excluant la revente sur Internet car le lien physique avec le client nous paraît fondamental, ne serait-ce que pour faire des mises en garde, à défaut de pouvoir conseiller.
Pour nous, il y a trois enjeux majeurs à la crédibilité et à la sécurité de nos produits : la qualité-traçabilité, la formation et la recherche.
La qualité des produits mis sur le marché devrait être primordiale. La qualité, avant de se contrôler, doit se concevoir. Dans cette optique, nous produisons avec des composants 100 % bio, de l'eau de source pure de nos montagnes, une qualité de vapeur innovante pour exclure tout traitement sulfites, des process innovants, des conditions de stockage optimisées ainsi qu'une conformité aux bonnes pratiques de fabrication.
Nous distillons des plantes fraiches en provenance d'une quinzaine d'exploitations ou coopératives, majoritairement situées en Occitanie, en direct, sans intermédiaire. Tout comme nous travaillons en direct avec nos clients, ce qui nous donne une meilleure maitrise.
Une vraie transparence sur les origines des plantes et les modes de transformation utilisés doit être mise en place. On nous parle de sécurité et on pense qu'importer 80% des plantes et extraits, le plus souvent de lointaines contrées serait une situation tenable. L'actualité indique tous les jours le contraire.
La lavande, c'est le symbole du sud de la France et on laisse ce produit qui soigne depuis des millénaires jusqu'à un usage massif en 1915 sur le front, être souillé de signes de danger pour la santé ou les cours d'eau. C'est une pure ineptie que l'on accepte sur notre patrimoine.
Nous demandons un statut spécifique aux huiles essentielles qui leur reconnaisse leur réalité agricole et permette de communiquer, justement, autant sur les usages traditionnels multiples que sur les risques potentiels. Cette impossibilité de communiquer est la source de mésusages. Dressons une liste d'allégations autorisées comme l'a fait la Belgique en 2014.
Armez-nous pour satisfaire en qualité la demande française et permettez-nous, dès lors, d'exporter nos savoirs-faire afin que nos terroirs ne deviennent pas des déserts économiques, aux ressources délaissées ! Ce patrimoine naturel de valeur, associé aux savoirs-faire ancestraux, est un gisement d'emplois pour la ruralité. Orientons également la règlementation européenne au lieu de la subir.
Comment ces plantes qui nous entourent pourraient-elles être à la fois si inefficaces et si dangereuses ? Tout cela n'est qu'alibi pour masquer certaines lacunes actuelles ou sauvegarder des intérêts particuliers. D'autant plus que chacun accède désormais plus facilement à l'information. Le « danger » tant redouté par les autorités ou la pensée dominante est un danger tout relatif. Et pourtant, cette idée est relayée de façon souvent exagérée par les médias, en omettant de mettre en balance le bienfait immense tant sur le plan de la santé préventive que sur le plan de l'économie locale. Nous, producteurs artisans français, qui nous battons pour nos produits et notre patrimoine culturel, vous interpelons, pour la mise en place d'une approche en santé préventive par les plantes. Sans refuser le progrès d'une médecine moderne de plus en plus coûteuse, la population utilise ces thérapies naturelles et non remboursées au quotidien.
Le déficit de conseil actuel est criant. Défendons un plan de formation large, pour les professionnels de santé comme pour les revendeurs pour pouvoir conseiller efficacement les produits en comprenant leur biochimie. Fixons des cadres sérieux à la naturopathie et à l'herboristerie comme on l'a fait pour l'ostéopathie ! Relançons la formation continue. En 2016, le recentrage des dispositifs de développement professionnel continu a exclu l'aromathérapie alors que des attentes importantes dans ce domaine ont été exprimées.
La recherche mondiale explose sur les usages des plantes, sous forme brute ou sous forme d'extraits simples comme les huiles essentielles. En France, cette recherche est marginalisée, par méconnaissance mais aussi en raison de trop faibles enjeux commerciaux. Et pourtant la recherche dans les centres hospitaliers serait une source d'économies majeures sur nos dépenses de santé. À notre niveau, nous travaillons avec différents acteurs de la santé animale et humaine sur la mise en place de protocoles.
Nous devons agir maintenant et faire bouger des lignes en construisant des programmes de formation exigeants et diplômants, en introduisant la transparence sur les origines des plantes, en agissant sur les règles de commerce de la filière, avec un statut des huiles essentielles clarifié, ainsi qu'en agissant sur les concurrences déloyales en particulier venant d'internet ou encore celles induites par des exigences règlementaires inadaptées.
La France a tous les atouts pour exporter ses produits naturels, s'ils sont de haute qualité. Cela lui donne une responsabilité de veille législative et d'initiative en Europe pour promouvoir les approches thérapeutiques complémentaires. C'est pour toutes ces raisons aussi que le Sénat, en qualité d'institution des territoires et des patrimoines, doit poursuivre cette initiative d'adapter les cadres existants.
J'invite, avec le département de la Lozère, la mission à venir nous rencontrer pour y construire un travail de prolongement expérimental autour de sa spécificité médico-sociale. M. Jacques Blanc, ancien sénateur, président de notre communauté de communes, nous soutient dans ce projet dont il est l'un des principaux initiateurs. Faites confiance aux acteurs qui travaillent concrètement la plante, c'est avec eux que vous construirez la sécurité et surtout que l'on pourra maintenir la population en bonne santé, à des coûts soutenables. En conclusion, je citerai Francis Hallé, émérite botaniste : « On a besoin des plantes à un point qu'on n'imagine pas ».