Intervention de Philippe Dallier

Réunion du 16 juillet 2018 à 14h30
Évolution du logement de l'aménagement et du numérique — Discussion générale

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, construire plus, mieux et moins cher : voilà l’objectif affiché du projet de loi, qui ne peut cependant pas être dissocié de la dernière loi de finances.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, vous auriez dû, à mon sens, ajouter à ce triptyque quatre mots : avec moins de moyens… En effet, depuis l’automne, les bailleurs sociaux ont fait leurs comptes : les mesures de contrepartie à la baisse des loyers adoptées en loi de finances ne compenseront pas, loin de là, la chute de leur autofinancement. Les prêts de haut de bilan de la Caisse des dépôts et consignations, le rallongement des prêts en cours ou l’enveloppe de prêts à taux bonifiés par le blocage du taux du livret A ne leur redonneront qu’une petite partie de ce que leur coûte la réduction de loyer de solidarité. De la même manière, le recentrage du prêt à taux zéro et du dispositif Pinel aura des conséquences sur le nombre de logements construits.

Construire plus, mieux et moins cher, mais avec moins de moyens : voilà donc le pari risqué du Gouvernement. Nous allons essayer pendant cette longue semaine, à travers de multiples dispositions, de redonner un peu d’oxygène au secteur, mais sans moyens budgétaires.

Vous comptez d’abord sur la réorganisation des bailleurs sociaux, dont vous attendez des économies d’échelle. C’est évidemment possible, mais à quelle hauteur ? Toute la question est là.

Quant à la vente de logements sociaux, autre mesure phare de votre réforme, l’objectif de 40 000 logements par an me semble inatteignable, malgré les montages financiers que vous imaginez, sans parler de ceux dont rêvent certains, mais qui conduiraient à une quasi-privatisation d’une partie du secteur du logement social, dont j’espère bien que nous tuerons dans l’œuf, ici, au Sénat, toute velléité.

En ce sens, je vous proposerai de supprimer la disposition issue de ce que certains ont appelé l’« amendement Monopoly », relatif à l’usufruit locatif social, étonnamment adopté sans aucun débat à l’Assemblée nationale et avec un surprenant avis favorable du Gouvernement. Depuis lors, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes voulus rassurants. Dont acte ! Nous verrons au cours de nos débats ce qu’il en est réellement.

S’il est effectivement envisageable de vendre des logements sociaux, en prenant les précautions nécessaires pour protéger les locataires et les futurs acquéreurs, il serait inacceptable que cela se fasse au bénéfice d’intérêts privés profitant d’un bel effet d’aubaine : l’assèchement des finances des bailleurs, organisé par l’État lui-même. Le capital que représentent ces logements, financés en grande partie sur fonds publics, s’il peut être mobilisé, doit évidemment rester dans le giron public.

Au-delà des aspects financiers, il faut également bien mesurer le risque que la vente d’HLM représente, car, à l’évidence, les logements que l’on vendra seront les mieux situés, les mieux entretenus et ceux dont les locataires en auront les moyens. Concentrer à nouveau les ménages les plus pauvres ou en prendre le risque serait une grave erreur en matière de mixité sociale, bien sûr, mais également pour l’équilibre des budgets des bailleurs.

Espérons donc qu’ils manieront cet outil avec précaution et surtout que nos communes, en particulier les maires, seront étroitement associées aux prises de décisions, pour en limiter les conséquences.

Quant à la circulation des capitaux au sein des nouvelles entités, sociétés anonymes de coordination ou groupes, elle sera certes utile, mais ce n’est pas parce que nous aurons branché de nouveaux tuyaux que la source des financements que vous aurez contribué à réduire retrouvera son débit précédent…

Voilà pourquoi je suis persuadé qu’il ne sera pas possible de construire plus. Je doute même que nous soyons en mesure de construire demain autant qu’au cours des deux dernières années.

Je vous suggère donc, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, pour ajuster votre ambition à la situation que vous allez créer, de la limiter à cette formule : construire au moins autant, mieux et moins cher, avec moins de moyens. Si nous y parvenions, ce serait déjà un beau résultat.

Comment, en effet, ne pas s’inquiéter du nombre de logements sociaux financés en 2017 ? À 113 000, il a déjà marqué une inflexion par rapport aux 126 000 de 2016.

Chacun sait que c’est au dernier trimestre que le chiffre de l’année se construit, lorsque les dossiers sont remontés du terrain et que l’ajustement de la répartition des aides à la pierre est opéré par le FNAP. Au reste, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, cet établissement attend toujours de retrouver un président, après que le sortant a démissionné pour protester contre vos décisions de l’automne dernier : qu’attendez-vous ?

À l’évidence, à la fin de 2017, nombre de bailleurs, dans l’incertitude sur leur avenir, ont levé le pied. La période de réorganisation qui s’ouvre produira probablement les mêmes effets.

Pendant ce temps, les maires, qui portent les objectifs de construction que l’État leur assigne, par exemple au travers de l’article 55 de la loi SRU, ou ceux inscrits dans les schémas régionaux ou intercommunaux, vont se retrouver entre le marteau et l’enclume. Vente d’HLM d’un côté, opérateurs disposant de moins de moyens de l’autre, collectivités territoriales aux budgets fortement contraints : il ne faudra pas oublier, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la part de responsabilité qui aura été la vôtre, si jamais les objectifs ne sont pas atteints.

Certes, notre pays doit réaliser des économies pour revenir à l’équilibre budgétaire et inverser enfin la courbe de la dette publique. Mais, pour ce faire, fallait-il s’attaquer ainsi, avec une telle brutalité, à ce secteur d’activité ? Je ne le crois pas.

Oui, la France consacre plus de 40 milliards d’euros par an à la politique du logement, dont près de la moitié est destinée aux aides personnelles, qui sont, je le rappelle, les aides les plus redistributives de notre système social !

Le Président de la République a appelé, lors du dernier Congrès à Versailles, à la construction de « l’État providence du XXIe siècle ». Belle formule… Mais que recouvrera-t-elle vraiment ?

En ce sens, le secteur du logement aurait dû rester une priorité. Il ne l’est plus, sauf pour Bercy, mais qui n’y voit que l’un des premiers postes d’économies possibles. Pourtant, aussi bien pour la croissance et les rentrées fiscales qu’il engendre que pour l’emploi non délocalisable qu’il procure, le secteur du logement est essentiel au dynamisme de notre économie.

Pour les Français, le logement est, comme l’emploi, une préoccupation centrale. De fait, un logement digne et abordable est l’une des conditions essentielles de la construction d’un projet de vie, l’une des conditions essentielles de la réussite scolaire des enfants des familles les plus modestes, l’une des conditions essentielles de la cohésion sociale.

La question est donc de savoir quelle place le Président de la République entend donner au logement dans le cadre de ce nouvel État providence. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vos premières décisions nous inquiètent plutôt.

Ainsi, réduire le montant des aides personnelles, comme vous vous apprêtez à le faire de nouveau, pour près de 1 milliard d’euros, si j’ai bien compris, dans la prochaine loi de finances, serait prendre le risque d’aggraver les difficultés des ménages les plus pauvres.

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