Certes, les parents et les enseignants l’accueillent plutôt avec bienveillance, mais ils ne manquent pas de faire observer qu’il est plus facile d’interdire le téléphone portable dans les écoles et les collèges que dans les prisons, où leur utilisation constitue pourtant un vrai problème.
Si beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, estiment que les dispositions de cette proposition de loi ne relèvent pas du domaine de la loi, c’est parce qu’il existe déjà des dispositions législatives à ce sujet, et que ces dispositions sont perfectibles.
Introduit par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010, d’ailleurs sur l’initiative du Sénat, l’article L. 511-5 du code de l’éducation interdit l’utilisation par un élève du téléphone portable « durant toute activité d’enseignement et dans les lieux prévus par le règlement intérieur ». La loi de 2010 obéissait donc à une autre logique, celle de la protection des élèves des ondes électromagnétiques.
Aujourd’hui, nous sommes amenés, en quelque sorte, à revoir notre copie, mais dans une tout autre perspective, celle de la vie scolaire et de la réussite des élèves. La présence et l’utilisation dans les établissements scolaires des smartphones, qui équipent près de neuf adolescents sur dix, sont lourdes de conséquences dans la vie quotidienne desdits établissements.
D’abord, leur utilisation perturbe les enseignements et constitue un facteur d’indiscipline en classe. La sollicitation permanente des élèves a des conséquences directes sur leurs capacités d’attention et d’apprentissage : aucun élève ne peut en même temps prêter pleinement attention au professeur et envoyer des messages sur son smartphone !
Ensuite, il faut évoquer les conséquences parfois graves de l’utilisation de ces appareils : prises de vue sans consentement, harcèlement sur internet, exposition à la pornographie. Du fait de leur prix, ils sont en outre l’objet de vols et de querelles.
Enfin, alors que l’école est un lieu de sociabilité, l’usage du smartphone alimente le repli sur soi de certains élèves.
Les auditions que j’ai menées permettent de conclure que, lorsque l’utilisation des téléphones portables a été interdite dans toute l’enceinte de l’établissement, comme c’est déjà le cas dans certains endroits, cela s’est traduit par des conséquences positives tant sur les apprentissages que sur le climat et la vie scolaires.
La simplicité et la lisibilité de l’interdiction facilitent son appropriation par les élèves et leurs parents ; son extension à l’ensemble de l’établissement s’est traduite par un moindre nombre d’incidents en classe, où l’usage était déjà interdit, et par un moindre nombre de confiscations. En outre, le climat scolaire s’est amélioré, et l’on observe une plus grande socialisation entre élèves, les jeux de ballon faisant par exemple leur retour dans les cours d’école.
Pour en revenir au cadre juridique, l’article L. 511-5 du code de l’éducation, dans sa rédaction en vigueur, présente deux défauts majeurs.
Premièrement, parce qu’elle distingue les activités d’enseignement, pendant lesquelles l’utilisation du téléphone portable est interdite, des autres temps de présence dans les établissements, cette disposition ne permet pas au règlement intérieur d’interdire l’utilisation du téléphone portable de manière générale et absolue ; hors de la classe, la liberté d’usage doit demeurer la règle.
Si un grand nombre d’écoles et de collèges, dans des proportions que le ministère est incapable de mesurer, mettent en œuvre cette interdiction, la légalité de cette mesure est très fragile et, dans certaines académies, les services juridiques des rectorats s’y opposent.
Deuxièmement, parce qu’il interdit de manière absolue toute utilisation du téléphone portable pendant les activités d’enseignement, l’article L. 511-5 place les établissements et les enseignants ayant recours à ce que l’on nomme le « Bring Your Own D evice », ou « BYOD », que l’on peut traduire par « apportez votre propre appareil », dans une situation d’illégalité. Cela est problématique, dans la mesure où le BYOD tend à se développer. Un certain nombre de collectivités territoriales envisagent en effet d’y recourir, afin de rompre avec les politiques d’équipement de l’ensemble des élèves, très coûteuses et souvent peu efficientes.
Se pose également la question de la confiscation, qui constitue, après la réprimande, la solution la plus courante pour mettre fin à une utilisation illicite du téléphone portable. Son cadre juridique est incertain et fait l’objet d’interprétations contradictoires. Si elle est largement pratiquée, elle n’est mentionnée dans les circulaires ministérielles que dans le cas d’objets dangereux ou toxiques, ce que ne sont évidemment pas les téléphones portables. Notons qu’il est écrit, sur le site service-public.fr, que « la confiscation du téléphone portable n’est pas autorisée ».
Les chefs d’établissement et les enseignants rencontrés nous ont fait part de leur souhait de voir sécurisées leurs pratiques et clarifié ce cadre juridique, d’autant que la confiscation est souvent la principale source de tension avec les récalcitrants.
Y avait-il urgence à légiférer sur cette question au milieu d’une session extraordinaire particulièrement chargée ? Je vous en laisserai juges, mes chers collègues.
Amenée à se prononcer sur ce texte, notre commission a pris le parti d’adopter une démarche constructive, visant à en améliorer les dispositions au nom de l’intérêt général. La proposition de loi clarifie en effet le cadre législatif de l’interdiction du téléphone portable : à l’autorisation de principe dans l’établissement assortie d’une interdiction absolue dans la classe, l’article 1er substitue une interdiction de principe dans l’établissement, le conseil d’école ou d’établissement pouvant définir des exceptions à cette règle, y compris en classe.
J’insiste sur la nécessité, à mes yeux, de renvoyer au conseil d’école ou au conseil d’administration la définition des lieux et des circonstances dans lesquels il peut être dérogé au principe d’interdiction.