Au-delà de son aspect utile et ludique, cette pratique est clairement addictive et, comme pour toute pratique addictive, nous avons un devoir de vigilance tout particulier à l’égard de nos enfants.
Dans le cadre scolaire, le taux massif d’équipement des élèves en téléphones portables multifonctions – près de 86 % des enfants de douze à dix-sept ans en possèdent un – ne va pas sans poser des difficultés notables.
Tout d’abord, l’usage de ces appareils est source de repli sur soi à un âge où nos adolescents ont déjà une tendance à l’isolement. Certains jeunes s’enferment de fait dans un espace où la parole des adultes, habituellement source de modération, est exclue et où seule la parole adolescente a droit de cité. Par le biais des réseaux sociaux, ils se trouvent ainsi exposés à des formes de harcèlement particulièrement dévastatrices. Alors que le temps scolaire devrait justement permettre de rompre cet isolement et de porter le plus efficacement possible la parole des adultes, l’usage du smartphone vient contrarier ce nécessaire dialogue intergénérationnel.
En outre, par leurs fonctionnalités multiples, les téléphones intelligents favorisent la fraude. Enfin, leur prix croissant suscite de la violence et des vols.
Si elle aboutit à dégrader la qualité du climat scolaire, la présence du téléphone portable dans nos écoles, collèges et lycées soulève aussi un enjeu pédagogique. Incontestable facteur de dispersion, leur utilisation récurrente en classe conduit les enseignants à consacrer à la discipline un temps qui ne profite pas à l’instruction. On constate aisément que l’interdiction des téléphones portables au sein des enceintes scolaires s’accompagne généralement d’un regain de concentration et d’une amélioration des résultats, notamment chez les élèves les plus en difficulté.
Cette nécessité d’agir, la communauté éducative en a pris conscience depuis longtemps. Un grand nombre de collèges interdisent déjà via leur règlement intérieur l’usage d’un téléphone mobile en classe. Toutefois, si elle a déjà cours, cette interdiction se pratique aujourd’hui dans un cadre juridique incertain.
En effet, les dispositions introduites en 2010 au sein du code de l’éducation par la loi dite « Grenelle II » posaient un impératif de santé publique : il s’agissait de limiter l’exposition des élèves aux ondes électromagnétiques.
La rédaction actuelle de l’article L. 511-5 du code de l’éducation ne permet pas une interdiction générale et absolue du téléphone portable. En effet, en dehors de la classe, la libre utilisation demeure la règle, et les interdictions étendues à l’ensemble des enceintes scolaires présentent une fragilité juridique.
En outre, la confiscation fait également aujourd’hui l’objet d’interprétations diverses. Les circulaires ministérielles n’en font mention que dans le cas d’objets toxiques ou dangereux.
Enfin, les dispositions actuelles ne permettent pas l’utilisation des téléphones portables multifonctions dans un cadre pédagogique en classe. Or, après avoir procédé à l’équipement des élèves en outils numériques, avec des résultats mitigés, nos collectivités territoriales privilégient aujourd’hui l’utilisation d’un matériel appartenant déjà aux élèves.
Le texte présenté par notre rapporteur nous semble apporter des réponses à même de remédier à cette insécurité juridique. Dans un souci de cohérence et d’exhaustivité, il nous est proposé d’élargir son champ aux lycées, avec toutefois un régime d’encadrement spécifique.
Sur le fond de cette réforme, le groupe du RDSE rejoint la volonté du rapporteur de doter notre pays d’outils plus adaptés, s’agissant d’un enjeu éducatif et de santé publique majeur.
Si nous partageons également la volonté de nos collègues de préserver l’autonomie de la communauté éducative, qui demeure la mieux à même d’évaluer et de faire évoluer ses règles de fonctionnement, nous sommes convaincus que celle-ci est aujourd’hui dans l’attente d’un cadre plus sécurisant.
Sur la forme, comme beaucoup de nos collègues, nous nous montrerons beaucoup plus réservés.
Le Gouvernement et sa majorité ont choisi la voie législative pour mener à bien cette réforme. D’autres démarches auraient sans doute pu permettre de parvenir à un résultat identique, même s’il faut bien reconnaître les lacunes de l’article L. 511-5 du code de l’éducation.
Le calendrier retenu pour l’examen de la présente proposition de loi prête aussi à interrogations, alors que les textes d’envergure se succèdent. Nous sommes nombreux à penser que le temps parlementaire pourrait être mieux utilisé. La semaine passée encore, le Parlement a été réuni en congrès à Versailles pour entendre le Président de la République prononcer un discours dont le contenu relève davantage de l’entretien journalistique…
En dépit de ces réserves sur la forme, nous adhérons aux propositions qui nous sont faites par la commission de la culture du Sénat.
L’éducation dans le cadre scolaire suppose aussi d’apprendre à nos enfants à vivre sans écran. L’univers numérique évoluant vite, il est fort probable que de nouvelles adaptations seront prochainement à envisager, sans que celles-ci aient d’ailleurs nécessairement à faire de nouveau l’objet d’une loi.
Au-delà de la discussion du présent texte, nous ne devrons pas, à l’avenir, faire l’économie d’une réflexion, la plus large possible, sur le rapport de chacun d’entre nous au numérique et aux écrans.
Cette réflexion, le Sénat s’emploie déjà à la mener à travers les travaux de Mme la présidente de la commission de la culture, qui a récemment produit un rapport rappelant l’impérieuse nécessité de la formation pour prendre en main notre destin numérique. Sachons bâtir un rapport équilibré au progrès, comme cela a déjà été le cas par le passé !