Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à encadrer l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires.
À l’Assemblée nationale comme dans au sein de notre commission de la culture, le changement de paradigme proposé par les auteurs de ce texte, substituant au régime actuel d’autorisation un régime d’interdiction assorti d’exceptions, a suscité un certain scepticisme quant à l’utilité de légiférer.
Nous devons pourtant bien admettre deux réalités.
La première, c’est que nous sommes tous d’accord ici sur le fond, à savoir le bien-fondé de l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable par les élèves dans les établissements scolaires. Je crois même que certaines divergences proviennent d’une vive inquiétude unanimement partagée, mais exprimée de manière différente. En effet, au-delà du cas de nos enfants, ce texte pousse chacun d’entre nous à s’interroger sur l’usage des téléphones portables dans notre vie quotidienne, sur leur omniprésence dans nos sphères professionnelle, personnelle et familiale.
Nous qui avons tous grandi sans téléphone portable avons vu les écrans connectés prendre dans nos vies respectives une place grandissante, voire inquiétante, surtout lorsque nous voyons nos enfants et nos petits-enfants s’emparer de cette technologie avec une aisance déconcertante, parfois abusivement, souvent sans précautions.
Dans ces conditions, lorsqu’il est question d’encadrer l’utilisation des téléphones portables dans l’enceinte de l’école, pilier sacré de notre pacte républicain, le sujet devient encore plus sensible, tant nous savons qu’il est de notre responsabilité d’apprendre à nos enfants à maîtriser l’usage de cet outil exceptionnel.
La seconde réalité, c’est que le cadre juridique actuel est défaillant. S’il a permis la mise en place de bonnes pratiques dans certains établissements, nous ne pouvons pas nier qu’il en existe aussi de très mauvaises. Très concrètement, la loi ne permet pas aujourd’hui d’interdire le téléphone portable dans l’ensemble de l’enceinte de l’établissement, le principe de liberté d’utilisation en dehors de la classe demeurant la règle.
Or nous savons que le téléphone induit des risques qui vont bien au-delà de la triche ou du déficit de concentration en classe, depuis les vols ou le racket jusqu’au cyberharcèlement et au visionnage de contenus violents ou inadaptés : autant de risques dont l’école doit protéger nos enfants lorsqu’ils sont dans ses murs.
Je ne m’étendrai pas sur les effets bénéfiques d’un meilleur encadrement.
Le premier enjeu est évidemment celui de l’assiduité des élèves et son corollaire, le climat scolaire.
Le second enjeu est de santé publique, tant on sait qu’un usage intensif des téléphones portables, et plus largement des écrans, peut engendrer des problèmes relationnels et émotionnels, des troubles du sommeil ou encore des phénomènes de dépendance et d’addiction.
Cela étant dit, j’entends naturellement, sans vraiment les comprendre, les voix qui s’élèvent pour dénoncer une mesure de communication, inutile pour certains, inopérante pour d’autres.
Nous savons bien que ce texte ne répondra pas à la grande complexité d’un tel sujet de société, mais devons-nous, pour autant, le balayer d’un revers de main ? Pourquoi ne pas y voir au contraire une occasion d’apporter une pierre supplémentaire, aussi modeste soit-elle, à l’édifice de notre école républicaine, de manière à la rendre plus forte, plus protectrice ?
À mon sens, la situation de défaillance que j’ai décrite impose non seulement de faire évoluer les dispositions actuelles, mais de le faire par la loi, avec ses vertus tant juridiques que symboliques. En encadrant l’usage du portable dans les écoles et les établissements, c’est aussi un signal que nous enverrons : cela montrera que nous légiférons dans le concret pour mieux sensibiliser les élèves et les familles aux usages raisonnés des écrans.
À cet égard, je tiens à saluer le travail engagé par notre rapporteur, qui a d’abord compris la nécessité de clarifier un cadre juridique incertain, avant d’apporter des améliorations que je considère comme essentielles, comme l’extension de l’interdiction des téléphones portables aux lycées ou la définition des modalités de la confiscation.
Je partage également son attachement aux dispositions prévoyant la formation à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques et le développement de l’esprit critique, ainsi qu’une véritable éducation aux droits et devoirs liés à l’usage d’internet.
Dans cet esprit, je proposerai de rétablir, à l’article 1er, la précision selon laquelle l’interdiction ne s’applique pas aux usages pédagogiques. S’il est sous-entendu que chaque établissement prendra en compte cet aspect dans son règlement intérieur, je considère qu’il est important que la loi l’assume explicitement.
Ayant enseigné pendant de très longues années, j’ai souvent entendu le refrain selon lequel les livres, le papier resteraient de meilleurs supports d’enseignement que les nouvelles technologies. Je réfute cette vision binaire qui tend à percevoir le numérique sous un seul jour. Il nous faut renforcer l’usage des outils numériques dans nos pratiques pédagogiques, tout en transmettant aux élèves un socle de compétences numériques.
Apprendre aux jeunes à utiliser ces outils avec discernement, c’est-à-dire encourager les bons usages et empêcher les mauvais, c’est bien la manière la plus volontariste, pour l’école, de relever les défis de la révolution numérique en cours.
Fort de ces réflexions et bien conscient que ces dispositions ne prendront leur pleine mesure qu’à l’épreuve du terrain, notre groupe votera en faveur de l’adoption de cette proposition de loi !