Intervention de Jacques Grosperrin

Réunion du 16 juillet 2018 à 14h30
Encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges — Discussion générale

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la percée du smartphone parmi les jeunes s’est avérée fulgurante, bien plus rapide encore que celle que l’on constate dans l’ensemble de la population. En 2017, cela a été dit, 86 % des jeunes de douze à dix-sept ans possédaient un smartphone ; surtout, ce taux a quadruplé en six ans. C’est un chiffre inquiétant !

Le téléphone portable ne sert plus uniquement à téléphoner. Une multitude d’usages se sont développés : navigation sur internet, prise de photos, réalisation de films, visionnage de vidéos, jeux et, bien sûr, échange de messages. Ces smartphones soulèvent donc des enjeux pédagogiques et disciplinaires, tout particulièrement au collège, mais pas seulement. Ainsi, la possession de ces outils de communication est de plus en plus fréquente dès l’école élémentaire, ce qui me semble particulièrement inquiétant. Le climat scolaire s’en trouve trop souvent altéré.

Plusieurs raisons m’amènent à me prononcer en faveur de l’interdiction des téléphones dans les écoles et collèges.

Les téléphones portables, tout comme les vêtements, peuvent affirmer des disparités sociales entre enfants. À l’instar de l’initiative prise par certains établissements d’instaurer des tenues obligatoires afin de gommer ces différences, je suis favorable à l’interdiction de ces appareils, pouvant être perçus comme des signes extérieurs de richesse, susceptibles de créer un climat de comparaison malsain et frustrant entre camarades. L’école doit être un lieu d’apprentissage dans lequel les inégalités ne se creusent pas.

J’ajoute que les téléphones portables sont des objets fragiles et onéreux. Ayons donc à l’esprit la responsabilité conférée à un enfant qui en détient un. Racket et responsabilité en cas de détérioration risquent de causer des problèmes dont la communauté éducative, les enfants et les parents d’élèves se passeraient bien volontiers.

Par ailleurs, l’utilisation du portable pendant les cours porte atteinte à la capacité d’attention et de concentration des élèves. Elle conduit à une dispersion peu propice à la réflexion, à la compréhension et à la mémorisation des enseignements. En outre, elle peut favoriser la paresse – les élèves ne cherchant plus les réponses dans leurs connaissances personnelles –, le plagiat et, bien sûr, la « triche » lors des contrôles.

La nouvelle génération dispose d’un accès facilité aux réseaux sociaux sans avoir forcément une maîtrise intelligente de ces nouvelles technologies.

Dans un rapport, les députés ont rappelé les conclusions spectaculaires d’une étude de 2015 de la London School of Economics and Political Science. Selon cette étude, les résultats scolaires augmentent une fois l’usage du téléphone interdit, cette amélioration étant d’autant plus marquée chez les élèves en grande difficulté. Ses auteurs ont conclu que la limitation de l’usage du téléphone portable à l’école pouvait constituer un moyen de réduire les inégalités dans l’éducation.

Mais cette mesure n’aura pas uniquement des effets bénéfiques sur la réussite scolaire. Elle permettra d’engager une politique de prévention des risques du smartphone pour la santé. L’adoption de ce texte s’inscrit également dans une démarche de santé publique.

L’enfance et l’adolescence sont des périodes charnières en termes de construction psychique, physique, physiologique, cognitive. Outre la dépendance aux écrans, on évoque de plus en plus des troubles de l’attention et de la concentration, ainsi qu’une forte agitation en dehors des heures de classe. Du fait de la fameuse lumière bleue des écrans, l’endormissement devient plus difficile et le sommeil perd en qualité.

Les effets des radiofréquences sur la santé des enfants restent mal connus, mais, dans un rapport de 2016, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, a déjà souligné que les enfants pouvaient être plus exposés à ces radiofréquences que les adultes, en raison de leurs spécificités morphologiques, anatomiques et physiologiques.

Nous pouvons aussi inclure, dans les impacts sur la santé, les répercussions psychologiques du cyberharcèlement à l’encontre d’un élève ou d’un professeur qui serait filmé ou photographié à son insu, ainsi que celles du visionnage d’un contenu inadapté à un public jeune auquel les enfants pourraient avoir accès en naviguant sur internet hors du contrôle d’un adulte.

Il me semble donc judicieux que l’institution scolaire se fasse un devoir de contrôler l’usage du téléphone lorsque les enfants se trouvent sous sa responsabilité. L’école doit s’adapter à la société numérique ; elle doit également être un garde-fou. Un encadrement par les établissements scolaires est plus que nécessaire pour faire entrer un usage raisonnable du smartphone dans les mœurs des jeunes et retarder ainsi l’âge de détention du premier téléphone portable.

L’école est là pour donner l’exemple aux enfants, mais aussi aux parents. Bien souvent, la prévention assurée dans le cadre scolaire produit ses effets au-delà de l’école et s’étend au cercle familial par la voix de l’enfant. Ne pas agir pour réguler l’usage du smartphone dès le plus jeune âge, c’est peut-être aussi favoriser des retards cognitifs, psychomoteurs et sociaux. Que des enfants sachent utiliser le téléphone de leurs parents avant même de savoir écrire, voire parler, ne me semble pas constituer une avancée. Malheureusement, si ces petits savent partiellement utiliser une tablette ou un portable, c’est parce que les parents ont cédé à une certaine facilité. Un enfant « happé » par un jeu ou une vidéo ne pleure plus, ne s’énerve plus sur le moment, mais il parle moins, joue moins, apprend moins, s’éveille moins et, en définitive, engramme moins. On a peut-être négligé cet aspect des choses dans le plan numérique pour l’éducation lancé en 2015…

Il me semble donc que l’on ne se préoccupe pas assez de la prévention des risques liés au numérique. Les rapports médicaux sont sans appel : il est urgent de prévenir, car nos jeunes, très au fait des nouvelles technologies, sont beaucoup moins informés de leurs méfaits.

Dans cet esprit, il pourrait être intéressant d’envisager le lancement d’une campagne de sensibilisation par les ministères de la santé et de l’éducation nationale. L’expérience menée dans une classe de CM2 en Alsace – « 10 jours sans écran » – avait donné des résultats très positifs et tangibles.

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