Intervention de Xavier Doligez

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Xavier Doligez, Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPN), CNRS : introduction à la problématique de la transition vers les réacteurs de nouvelle génération :

chargé de recherche, Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPN), CNRS : introduction à la problématique de la transition vers les réacteurs de nouvelle génération. - Je vais essayer de vous présenter la problématique globale de la transition vers les réacteurs de nouvelle génération, notamment celle relative à l'inventaire en plutonium qui leur est nécessaire.

En préambule, je rappellerai que l'avenir du nucléaire est extrêmement incertain. Si l'on examine les nombreux scénarios relatifs à l'évolution de la production annuelle en térawattheures, présentés dans la littérature, on constate que, d'ici 2050, le nucléaire peut, selon le scénario considéré, soit s'arrêter, soit croître d'un facteur dix, voire d'un facteur quarante en 2100. Un facteur dix en 2050 semble énorme, donc peu réaliste. Ce jugement peut être relativisé en tenant compte d'une étude menée au CNRS, dans laquelle a été envisagée l'hypothèse qu'en 2050, le nucléaire fournirait l'électricité des populations urbaines de l'ensemble des pays riches. Cette étude fait état d'un facteur huit, avec une production nucléaire dans les pays développés à hauteur de 4 400 kWh par an et par habitant. Il faut savoir qu'en France, aujourd'hui, la production est de 7 100 kWh par an et par habitant. Si l'Inde, la Chine ou les États-Unis décidaient de nucléariser leurs mix électriques, comme la France le fait aujourd'hui, alors un facteur huit serait un minimum.

Évidemment, cette incertitude sur l'évolution du nucléaire va énormément conditionner le débat sur les ressources en uranium naturel. Aujourd'hui, un réacteur qui produit un gigawatt électrique pendant un an consomme environ 200 tonnes d'uranium naturel, puisqu'il n'utilise que l'uranium 235, qui ne représente que 0,7 % de l'uranium naturel.

On estime qu'entre 10 et 20 millions de tonnes d'uranium sont disponibles, ce qui correspond à environ cent ans de fonctionnement avec le parc actuel. S'il se produit une augmentation du nucléaire mondial de plus d'un facteur 2, elle conduira inexorablement à une pénurie d'uranium naturel, qui arrivera d'autant plus vite que ce déploiement sera important. J'insiste sur le fait que cet aspect est vraiment indépendant de la stratégie française. Si la France décide de réduire sa production nucléaire, le risque de pénurie ne se dissipera pas pour autant. Il va donc falloir effectuer une transition vers les réacteurs du futur.

Pendant le fonctionnement d'un réacteur, l'énergie est obtenue par fission de l'uranium 235, qui permet d'obtenir des produits de fission. L'uranium 238, très majoritaire, qui peut capturer des neutrons et produire du plutonium 239, produit aussi des actinides mineurs. Le plutonium est à la fois l'élément le plus radiotoxique du cycle et une matière qui peut être valorisée comme fissile. En France, on valorise ainsi le plutonium une fois, via le retraitement à La Hague, dans les combustibles à mélange d'oxydes, dits MOx. Cela permet d'obtenir un gain d'environ 12 % sur la consommation d'uranium naturel. Les combustibles MOx usés sont aujourd'hui entreposés, et constituent une réserve de plutonium.

En cas de pénurie d'uranium 235, il va falloir optimiser la production de plutonium et utiliser l'uranium 238, grâce au principe de régénération, qui consiste à produire autant de plutonium qu'il en disparaît, pendant le fonctionnement du coeur. Dans ce cas, la consommation annuelle d'uranium naturel chutera à une tonne par gigawatt électrique, supprimant ainsi tout problème de ressource. C'est l'objectif des réacteurs de nouvelle génération.

Pour des raisons physiques que je ne détaillerai pas ici, cette régénération est impossible dans les réacteurs à eau sous pression actuels, d'où une nécessaire transition vers des réacteurs dits « à neutrons rapides » ou RNR, comme les réacteurs caloportés au sodium dont il va être question dans l'une des présentations suivantes.

Une fois ce plutonium obtenu, on peut fonctionner indéfiniment, simplement en alimentant le système en uranium 238. Le problème est que les réacteurs à neutrons rapides appellent un inventaire de plutonium très important. L'équivalent du parc français nécessite ainsi environ 1 200 tonnes de plutonium, contre 300 tonnes actuellement disponibles dans les combustibles usés.

Il existe une incertitude forte sur l'évolution du nucléaire mondial, qui va se traduire en indétermination sur le statut du plutonium. Si le nucléaire se développe, alors le plutonium deviendra une matière extrêmement précieuse, qu'il faudra garder et valoriser pour l'utilisation dans les réacteurs à neutrons rapides ; si au contraire on veut sortir du nucléaire, alors le plutonium deviendra le déchet le plus radiotoxique.

On peut gérer cette indétermination en envisageant les différentes solutions possibles. La première consiste à gérer le plutonium comme un déchet, ce qui signifie que l'on s'engage, ce faisant, à sortir du nucléaire, d'autant plus rapidement que l'essor mondial sera important. La deuxième solution est celle du statu quo par rapport à la situation actuelle, consistant à accumuler ce plutonium dans les MOx usés, ce qui suppose qu'on l'utilise dans les réacteurs à neutrons rapides dès que l'on en aura suffisamment pour effectuer une transition pour le parc. En outre, il existe une solution intermédiaire, qui pourrait permettre de gérer cette incertitude, en multi-recyclant le plutonium dans les réacteurs actuels ou du futur. Il s'agirait d'une solution d'attente, qui donnerait la possibilité de voir venir, et de lever l'incertitude sur l'indétermination. Ce multi-recyclage peut s'effectuer soit dans des réacteurs à neutrons rapides, préparant ainsi la transition, en gagnant en compétences industrielles sur ces réacteurs et surtout sur le cycle du combustible, soit dans les réacteurs actuels, si l'on pense que le déploiement des RNR sera très retardé.

Au CNRS, notre axe de recherche consiste à essayer de trouver des solutions flexibles pour gérer cette incertitude, avec la technologie actuelle ou avec les réacteurs à neutrons rapides. Nous menons, pour ce faire, des études dynamiques du parc, via une approche très interdisciplinaire, pour essayer d'appréhender cette notion de flexibilité du parc, et aller vers une voie de sortie ou une autre.

Dans le cas où le plutonium est valorisé, on peut étudier le recyclage des autres matières nucléaires également radiotoxiques, comme les actinides mineurs, grâce notamment à la transmutation. Il s'agit là d'une thématique historique du CNRS. Nous avons étudié celle-ci dans les réacteurs nucléaires pilotés par accélérateur (Accelerator Driven System ou ADS) et les réacteurs à neutrons rapides.

Nous travaillons aussi sur des systèmes beaucoup plus innovants, comme les REP (réacteurs à eau pressurisée) en cycle thorium, ou les réacteurs à sels fondus, dont ma collègue Elsa Merle vous parlera tout à l'heure.

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