Intervention de Hamid Aït Abderrahim

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Hamid Aït Abderrahim, SCK-CEN (Centre d'étude de l'énergie nucléaire), Belgique : les réacteurs plomb - bismuth pilotés par accélérateur :

directeur général adjoint, SCK-CEN (Centre d'étude de l'énergie nucléaire), Belgique : les réacteurs plomb - bismuth pilotés par accélérateur. - Les systèmes pilotés par accélérateurs consistent en un réacteur nucléaire, dans lequel n'a pas été introduit suffisamment de matière fissile pour entretenir la réaction en chaîne, ce qui oblige à effectuer un apport externe de neutrons, créés au centre du réacteur, en bombardant un matériau lourd (plutonium, plomb-bismuth, tungstène, uranium, etc.) avec des protons, des particules chargées, générées avec un grand accélérateur.

Parfois, on confond ADS et MYRRHA. En fait, plusieurs projets se sont déroulés en Europe depuis 25 ans, c'est-à-dire depuis que le prix Nobel de physique Carlo Rubbia a, le premier, remis en selle les ADS. Le premier ADS construit en Europe l'a été au CEA, avec le réacteur nucléaire de recherche de type maquette critique MASURCA (maquette de surgénération de Cadarache), couplée à l'accélérateur GENEPI (générateur de neutrons pulsé intense). Le maître d'oeuvre de cette expérience était M. Massimo Salvatores, que plusieurs parmi nous connaissent et respectent. Plusieurs projets ont été lancés dans le domaine des ADS depuis lors, dont MYRRAH, et divers autres projets en 2015.

La motivation première de l'ADS, tout du moins en Europe, est la transmutation des actinides mineurs. Sur ce schéma, la courbe bleue représente la réaction de fission et la courbe rouge la réaction de capture, qui va créer des noyaux plus lourds. On observe que la courbe bleue devient plus importante en allant vers la droite, c'est-à-dire aux hautes énergies. C'est la raison pour laquelle il faut des neutrons rapides pour faire de la transmutation des actinides mineurs. Cette opération est possible dans un réacteur comme ASTRID. On peut faire de la transmutation dans des réacteurs nucléaires critiques aussi bien que dans un ADS, à condition qu'il ait des neutrons rapides.

Pourquoi se compliquer ainsi l'existence ? Cela est dû au fait que la réactivité du réacteur est liée au terme ß, aux neutrons retardés- le terme ß est la fraction des neutrons retardés. Dans les actinides mineurs, cette fraction est beaucoup plus petite, si bien que le réacteur est beaucoup plus nerveux. Si l'on veut compenser ce phénomène, le paramètre k effectif - facteur de multiplication des neutrons dans la réaction -doit être inférieur à 1. C'est la raison pour laquelle, si l'on veut charger lourdement le réacteur avec de l'actinide mineur, il faut se placer en régime de sous-criticité. Malheureusement, un réacteur sous-critique ne fonctionne pas de lui-même : il faut un accélérateur.

MYRRAH est un accélérateur linéaire, qui va se coupler avec un réacteur et être refroidi avec un mélange de plomb et de bismuth, qui fond à 123°C, contre 370°C pour la température de fusion du plomb pur, ce qui explique que l'on ait fait le choix de ce mélange. Cela permet de travailler à des températures plus basses, si bien que les problèmes de corrosion des matériaux sont plus gérables. Le design du circuit primaire du réacteur MYRRAH a été terminé en 2014. Nous sommes en train de l'optimiser pour en réduire la taille. En effet, le plomb-bismuth qui se trouve dans la cuve est un matériau cher et lourd : il est donc préférable de réduire la dimension de l'installation.

Il est nécessaire, au coeur du réacteur, de positionner une cible de spallation - la spallation est la réaction au cours de laquelle un noyau atomique cible est frappé par une particule incidente ou une onde électromagnétique de grande énergie, et se décompose en produisant des jets de particules plus légères. Les protons arrivent par le tube rouge et bombardent directement le plomb-bismuth du caloporteur du réacteur, en créant ainsi les premiers neutrons.

Comme dans un réacteur rapide classique (ASTRID, Phénix, Superphénix), le combustible utilisé est du MOx. La différence tient au fait que dans le réacteur MYRRAH, la teneur en plutonium monte à 30 %, contre 22 % dans les réacteurs à neutrons rapides construits jusqu'alors. Notez que, dans le SMR (Small modular reactor) en Allemagne, ce taux est de 35 %. MYRRAH ne constitue donc pas une rupture technologique. Il s'agit d'un accélérateur de 600 MeV (Megaelectronvolts), ce qui est beaucoup plus faible que certains autres accélérateurs, qui peuvent aller jusqu'à plusieurs gigaélectronvolts (GeV). Là n'est pas le défi. Des courants de cette intensité ne constituent pas non plus un réel défi. Celui-ci réside plutôt dans la combinaison d'un haut courant et d'un fonctionnement en mode continu, et non pulsé. Un enjeu plus grand encore est lié au fait que ces accélérateurs s'arrêtent régulièrement, de façon intempestive. Or, à chaque arrêt de l'accélérateur, le réacteur s'arrête aussi. Aujourd'hui, le nombre d'arrêts est de l'ordre de 2 000 par an, ce qui signifie que le réacteur ne fonctionnera jamais. Nous travaillons donc à l'amélioration de sa fiabilité.

Nous avons aussi beaucoup travaillé sur le passage devant l'autorité de sûreté, avec laquelle nous sommes en relation formelle depuis 2010, dans une démarche de pre-licensing. Un premier avis de l'autorité de sûreté belge a été remis fin 2017, qui indique l'absence d'obstacle à mener ce projet à bien en Belgique. Nous envisageons de développer l'ensemble du projet d'ici 2030, avec une première étape pour 2024, lors de laquelle la fiabilité de l'accélérateur sera démontrée, en le construisant jusqu'à 100 MeV. Cette première phase, relative à la fiabilité, est primordiale. Son coût est estimé à 375 millions d'euros, que le gouvernement belge envisage de financer en totalité. La décision officielle devrait être prise dans quelques mois : cela donnerait une crédibilité internationale au projet et appellerait à la participation de partenaires internationaux, sachant que le projet total reviendra à 1,6 milliard d'euros.

Ces systèmes pilotés par accélérateur et basés sur le plomb ou le plomb-bismuth ne sont plus des systèmes nucléaires émergents. En plus de vingt ans de travail sur ces technologies, des progrès extraordinaires ont été réalisés dans de nombreux domaines liés à leur développement. Dans plusieurs pays, dont la Belgique et le Japon, ces systèmes sont opérationnels.

Je terminerai en soulignant que tout cela n'est pas seulement une affaire de technologie : si l'on considère l'impact du potentiel énergétique du caloporteur pour disperser le risque d'un système nucléaire, le plomb devrait être la solution privilégiée. Or, on a préféré l'eau, qui présente pourtant un risque beaucoup plus élevé dans ce domaine. Le caloporteur n'est donc pas le seul élément déterminant : il faut prendre en compte différents aspects, sur lesquels je pourrai revenir si vous le souhaitez.

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