Intervention de Jacques Chenais

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Jacques Chenais, avantages et challenges à relever, la situation internationale et l'approche française :

directeur SMR, CEA : les Small modular reactors (SMR), avantages et challenges à relever, la situation internationale et l'approche française. - Les SMR sont des réacteurs d'une puissance inférieure à 200 MWe, qui permettent une réalisation modulaire.

Quel est l'intérêt des SMR ? Quels sont leurs atouts ? Leur faible puissance permet, tout d'abord, de simplifier la conception. J'en veux pour exemple l'architecture intégrée dans un réacteur à eau pressurisée : dans un réacteur de puissance et, notamment, dans tout le parc français, le réacteur est constitué d'une cuve contenant le coeur, la matière nucléaire, des générateurs de vapeur, un pressuriseur et des pompes primaires, raccordées à la cuve par de grosses tuyauteries. Dans une architecture intégrée, tous ces composants sont aménagés dans une cuve unique. Le deuxième exemple, qui a également un impact positif en termes de sûreté nucléaire, est celui des systèmes de sauvegarde passifs, pour évacuer la puissance résiduelle après arrêt du réacteur et perte des alimentations électriques. Ces circuits fonctionnent en convection naturelle, sans apport externe d'énergie.

Le deuxième atout des SMR réside dans le fait que la conception et la réalisation modulaires simplifient la construction sur site. En effet, le réacteur est une cuve unique, dotée d'une enceinte de confinement métallique, fabriquées en usine. L'ensemble des systèmes (fluides, électriques) de contrôle-commande, pour l'îlot nucléaire comme pour l'îlot conventionnel (incluant la turbine et l'alternateur), sont également montés et testés en usine sur des berceaux, pour réaliser des modules fonctionnels. Au final, les opérations sur site se limitent à un ouvrage de génie civil relativement conventionnel, puisque sans enceinte, bien que résistant aux agressions externes, et à des opérations d'assemblage et de raccordement de modules entre eux. On vise ainsi des durées de construction de trois ans, entre le premier béton et la mise en service.

Le troisième atout tient au fait que les SMR offrent une production nucléaire abordable financièrement. En effet, l'investissement par réacteur est modéré et l'immobilisation du capital limitée avant la production des premiers mégawattheures. La conception envisagée permet, sur un même site, un investissement incrémental, la vente d'électricité des premiers réacteurs finançant les suivants.

Le quatrième atout est une intégration dans tous les réseaux électriques, soit en réacteur unique isolé, soit en configuration multi-réacteurs, selon les besoins. Sont visés, en premier lieu, les pays et opérateurs confrontés à des contraintes de taille de réseaux électriques, ou à des contraintes économiques. Pour les zones isolées ou les sites industriels, on prévoit aussi la fourniture de chaleur, selon les besoins. Enfin, l'intégration de centrales multi-SMR, dans un mix énergétique composé de réacteurs de puissance en base et d'énergies renouvelables, peut également avoir un sens, pour gérer l'intermittence de ces dernières.

Nous sommes également face à des défis à relever. En termes économiques, les réacteurs traditionnels ont vu leur niveau de puissance croître depuis les premières réalisations, pour bénéficier du facteur d'échelle. Le défi pour les SMR est donc de contrebalancer ce facteur d'échelle par d'autres leviers économiques, dont la simplification du design, la conception et la réalisation modulaires en usine, ainsi que l'effet de série, l'objectif en phase industrielle étant évidemment de réaliser plusieurs unités par an. La réalité du marché reste toutefois à confirmer.

Je souhaite également souligner le défi relatif à l'harmonisation, l'uniformisation des standards, des règles et des pratiques de sûreté dans le monde. Cet objectif est primordial pour un SMR, construit en série, et de manière standardisée dans un pays, puis assemblé et exploité dans un autre pays.

Les SMR suscitent un engouement dans le monde depuis plusieurs années. Plusieurs projets existent, pour l'essentiel dans la filière des réacteurs à eau pressurisée, à différents stades de développement, aux États-Unis, en Russie, en Chine, en Corée du sud et en Argentine. De premières réalisations sont engagées, en Russie, avec la barge Akademik Lomonosov, dont les médias se sont fait l'écho récemment, et qui a quitté Saint-Pétersbourg pour rallier Mourmansk, mais aussi en Chine, avec des réacteurs de 100 MWe, et en Argentine, avec le prototype du projet CAREM (Central Argentina de Elementos Modulares). D'autres réalisations pourraient être lancées prochainement, notamment dans l'Idaho, aux États-Unis, avec plusieurs unités de 50 MWe du concepteur NuScale, ainsi qu'en Arabie Saoudite, signataire avec la Corée du sud d'un accord de coopération prévoyant la réalisation de deux unités de 100 MWe.

Qu'en est-il en France ? En 2012, sous l'impulsion du Conseil de politique nucléaire, la France a lancé des études de faisabilité techniques et économiques sur les SMR, dans le cadre d'un consortium réunissant le CEA, EDF, TechnicAtome et Naval Group. Au plan technique, un design de réacteur a été retenu, en l'occurrence celui d'un réacteur à eau pressurisée d'architecture intégrée de 170 MWe, particulièrement compact grâce au choix de solutions innovantes, et installé dans une enceinte métallique de faibles dimensions de 15 mètres de diamètre et de hauteur. L'îlot nucléaire choisi est semi-enterré. Il permet d'installer un ou plusieurs réacteurs et leurs enceintes dans des bassins remplis d'eau, qui servent de source froide aux systèmes passifs de sûreté, et donnent des délais de grâce d'au moins sept jours, sans intervention d'opérateur ni alimentation électrique extérieure. Ce modèle reprend les caractéristiques les plus recherchées dans les SMR-REP, à savoir la simplicité du design, la conception et la fabrication modulaires, l'usage de systèmes passifs, ainsi que la flexibilité. Aujourd'hui, prenant le relais des études et développements déjà réalisés depuis 2012 avec les mêmes partenaires, une première partie d'avant-projet sommaire est en cours d'élaboration, depuis 2017 et jusqu'en 2019, avec deux objectifs : d'une part, approfondir les principales innovations de la technologie SMR proposée : architecture intégrée, générateurs de vapeur innovants, mécanismes immergés dans la cuve, et aménagement multi-réacteurs semi-enterré, d'autre part, conforter les études économiques et le modèle d'activité futur des SMR sur les aspects de coûts, d'investissements, de marché et de profitabilité. La poursuite du développement dans un cadre national ou international dépendra du résultat de ces études.

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