Le Forum international Génération IV (GIF) a été créé en janvier 2000 par neuf pays et compte aujourd'hui quatorze membres, tous signataires d'un document fondateur, appelé « Charte du GIF ». Certains membres (Canada, Euratom, France, Japon, Corée du sud, Chine, Russie, Afrique du sud, Suisse, États-Unis, Australie) sont membres actifs. Ils seront bientôt rejoints par le Royaume-Uni. Le GIF compte aussi des membres non actifs, à savoir l'Argentine et le Brésil.
J'ai l'honneur, depuis avril 2016, de présider l'instance de coordination des travaux du GIF, son « policy group ».
Le GIF est une initiative de coopération multinationale, destinée à partager des travaux de recherche et développement sur les systèmes nucléaires de 4e génération, dont l'objectif est d'améliorer la durabilité (en anglais : sustainability), l'économie, la sûreté, la fiabilité, ainsi que la résistance à la prolifération nucléaire, et l'augmentation des dispositions de protection physique. Le GIF s'intéresse également aux applications non électrogènes de l'énergie nucléaire, comme la production de chaleur, y compris pour des applications industrielles, la production d'hydrogène, ou la désalinisation de l'eau de mer.
Les objectifs adoptés par le GIF ont servi de base pour l'identification et la sélection de six technologies, parmi plusieurs dizaines de concepts différents. Les systèmes sélectionnés sont fondés sur différents types de coeurs, de réacteurs, de fluides caloporteurs, et de cycles de combustible. Leurs conceptions comprennent des coeurs à spectre de neutrons thermiques, qui sont les réacteurs à très haute température (en anglais : very-high-temperature reactor ou VHTR) et les réacteurs à eau supercritiques (en anglais : supercritical water reactor ou SCWR). Certains systèmes fonctionnent en spectre de neutrons rapides, refroidis au sodium, au plomb, au plomb - bismuth, ou au gaz. Cette sélection inclut enfin toute la typologie des réacteurs à sels fondus, et comporte des cycles du combustible fermés ou ouverts.
Les réacteurs de 4e génération couvrent toutes les tailles de réacteurs : des concepts de micro-réacteurs de quelques mégawatts, des réacteurs de la gamme des small modular reactors, jusqu'à 200 MW, mais aussi des réacteurs de puissance plus importante.
Des rassemblements de communautés de chercheurs travaillant sur la même technologie sont organisés au sein de comités systèmes (en anglais : system steering committees). Plusieurs pays se trouvent ainsi réunis autour de chacune des technologies. Il s'agit d'un système à la carte, chaque pays n'ayant pas forcément choisi de contribuer à chacun des six systèmes représentés dans le GIF. Des documents issus de la R&D de chacun des partenaires sont ainsi partagés. Dans certains cas, des bases de données communes sont même élaborées. Je pense par exemple à des travaux menés sur le thème des matériaux fonctionnant à haute température.
Bien entendu, tout cela ne s'est pas construit facilement. Lors de la fondation du GIF, des discussions intenses ont eu lieu, précisément sur le traitement et la gestion de la propriété intellectuelle. Un accord a été trouvé, qui permet des collaborations jusqu'à un certain point. Celui-ci n'épuise pas la question, mais permet des travaux en commun, dans des conditions bien meilleures que s'il n'existait pas.
De manière transverse, quatre groupes méthodologiques sur la sûreté, l'économie, la résistance à la prolifération, et la protection physique, mettent au point des référentiels communs. Par exemple, ces dernières années, des critères de sûreté communs ont été développés en ce qui concerne les réacteurs refroidis au sodium. Ceux-ci font l'objet d'échanges avec des représentants des autorités de sûreté et de leurs appuis techniques, dans le cadre international du groupe conjoint sur la sûreté des réacteurs avancés, sous la coordination de l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE. L'élaboration de critères de sûreté pour d'autres technologies est en cours. Je pense notamment aux technologies avec refroidissement au plomb, ou bien aux réacteurs à haute température.
La GIF bénéficie du soutien de l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE, pour son secrétariat technique. Une coopération formelle existe également entre le GIF et l'Agence internationale de l'énergie atomique, sur les méthodologies de sûreté, ainsi que sur toute une série d'autres thèmes.
Nous sommes conscients de l'importance d'expliquer nos travaux aux nouvelles générations. Dans cette optique, une initiative pour l'éducation et la formation a été mise en place, sous l'appellation de « education and training task force ». Une trentaine de « webinars », des séminaires virtuels, se sont ainsi déroulés, ou sont planifiés entre septembre 2016 et fin 2018. Certains participants aux tables rondes de ce matin font d'ailleurs partie des orateurs de ces séminaires virtuels, pour lesquels nous comptons déjà plus de deux-mille visionnages à travers le monde.
Je voudrais partager avec vous un constat dressé à partir du point d'observation privilégié qu'offre le GIF : certains pays sont extrêmement actifs dans leur R&D, mais aussi dans la réalisation concrète de réacteurs avancés. La Russie compte ainsi trois réacteurs à neutrons rapides en fonctionnement, un réacteur d'irradiation en construction, et la programmation de la construction du prochain réacteur de puissance à neutrons rapides refroidi au sodium, le BN-1200, qui comme son nom l'indique a une puissance de 1 200 MWe et dont les options techniques sont extrêmement intéressantes, y compris en matière de sûreté. La Russie progresse également sur le combustible à base de plutonium, là où elle s'était pendant longtemps limitée au combustible à uranium enrichi. Elle ne s'arrête pas au sodium, mais cherche aussi à regarder la technologie du plomb liquide, en commençant par une variante de combustible à base de nitrures, et non plus d'oxydes.
Quant à la Chine, elle dispose de projets pour cinq des six systèmes du GIF : sodium, plomb, eau supercritique, hautes températures, et sels fondus. Citons, en particulier, le début de la construction d'un réacteur au sodium de 600 MW fin 2017, et la mise en place d'une coentreprise (en anglais : joint-venture ou JV) entre l'établissement CNNC (China National Nuclear Corporation) et l'entreprise TerraPower, détenue par Bill Gates, qui développe un concept de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, nommé TWR (traveling-wave reactor).
Concernant l'Amérique du nord et une partie du Royaume-Uni, on constate, depuis quelques années, que plusieurs dizaines de start-up et d'entreprises cherchent à développer et commercialiser des technologies de réacteurs avancés. On y trouve de nombreux concepts de réacteurs à neutrons rapides, mais aussi des SMR plus classiques, refroidis à l'eau. Certaines start-up ne se limitent pas à la fission, mais promeuvent également des concepts de machines basées sur la fusion. Ce bouillonnement d'idées et de talents attire des capitaux privés : plus d'un milliard de dollars, d'après le think tank américain Third Way. Enfin, certaines entreprises sont plus avancées que d'autres, comme TerraPower, dont j'ai déjà parlé, et NuScale, qui promet un SMR dans l'Idaho. Cette profusion d'initiatives privées a amené le département américain de l'énergie à adapter sa façon d'envisager la R&D. L'initiative GAIN (Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear) permet ainsi à des start-up d'accéder à l'expertise, voire à la propriété intellectuelle des grands laboratoires nationaux.
Le Forum international Génération IV organisera son symposium triannuel en octobre prochain à Paris, en même temps que l'événement Atom for the future 2018 de la Société française de l'énergie nucléaire jeune génération. N'hésitez pas à venir nombreux.