Intervention de Hamir Aït Abderrahim

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Hamir Aït Abderrahim, président, Sustainable Nuclear Energy Technology Platform (SNETP) : les contributions du SNETP à l'innovation dans la recherche nucléaire :

La plateforme de l'énergie nucléaire durable a été pratiquement l'une des premières créées. Elle date de septembre 2007, et a effectivement fêté ses dix ans d'existence l'année passée.

Je rappelle, en préambule, que l'énergie nucléaire de deuxième et troisième génération représente 30 % de l'électricité non polluante de l'Union européenne, et qu'il est aujourd'hui question d'étendre l'énergie nucléaire au-delà de l'électricité : cogénération, hydrogène, et désalinisation de l'eau de mer. Le troisième pilier tient au développement des réacteurs de quatrième génération, et à la fermeture du cycle. En effet, comme mentionné lors de la précédente table ronde, la durabilité du nucléaire implique de passer aux réacteurs à neutrons rapides.

Nous avons été invités, le 21 février dernier, à la Commission européenne, pour présenter les sujets d'innovation dans la recherche nucléaire, et la manière dont la collaboration internationale pouvait y contribuer.

Il faut savoir qu'il existe une « vallée de la mort » pour la recherche, qui intervient lorsque l'on se trouve confronté à la difficulté de passer de l'enthousiasme du début, où l'on a besoin de peu de moyens mais surtout de gens innovants, créatifs et motivés, à la réalité industrielle, pour concrétiser les projets. Il faut franchir cette étape, sachant que l'industrialisation n'interviendra que plus tard, en fonction de ce que l'on saura susciter. C'est là que la collaboration internationale peut jouer un rôle.

La Commission nous a demandé quel était le niveau de maturité technologique auquel devait intervenir cette collaboration, à laquelle elle pourrait elle-même contribuer. Nous nous sommes appuyés, pour répondre à cette question, sur une échelle de un à neuf, le niveau un correspondant à la simple présence d'une idée de base, et le niveau neuf à un concept complètement développé, démontré, et fonctionnant dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles il sera amené à fonctionner en situation industrielle. Nous avons répondu que l'intérêt de l'apport d'Euratom ou de la Commission européenne, en collaboration avec les États membres, ou à l'échelle internationale, se situait aux niveaux cinq et six de maturité technologique, c'est-à-dire aux stades où l'on atteint la limite des moyens d'un laboratoire, et où il est nécessaire de franchir un cap, pour atteindre un niveau supérieur. Avant cela, on peut en effet assumer les travaux de recherche à l'échelle des laboratoires, des pays ; les projets ne sont alors pas suffisamment développés pour susciter l'intérêt, et la participation industrielle. L'industrie ne s'intéresse aux projets qu'à partir du moment où ils ont atteint la démonstration.

Il nous a ensuite été demandé de développer un exemple de sujet d'innovation. Nous avons choisi, parmi d'autres, la question particulière des déchets nucléaires, qui représente un problème pour la société, les industries en charge de leur gestion, lesquelles ne sont pas toujours en capacité de l'assurer faute de décisions politiques, les organismes de gestion des déchets nucléaires, les responsables politiques qui doivent prendre les décisions, et pour les pays, qu'ils sortent du nucléaire ou poursuivent dans cette voie. Après quarante ans de nucléaire, le fait de s'en extraire ne fait en effet pas pour autant disparaître les déchets comme par enchantement.

Il existe, ainsi que je l'ai rappelé précédemment, une stratégie européenne pour la séparation et la transmutation, mise au point avec tous les partenaires qui ont travaillé pendant plus de vingt ans dans les différents laboratoires, les organismes de recherche, et l'industrie. Cela a conduit à la mise en évidence de quatre blocs : séparation production des combustibles, transmutation, séparation des combustibles chargés en actinides mineurs.

Quel est l'intérêt d'effectuer une transmutation par les systèmes pilotés par accélérateurs ? Nous avons étudié diverses situations. Si l'on considère le groupe A, composé des pays qui veulent quitter le nucléaire, leur souci central est de clôturer la question dans un temps plus court que celui au cours duquel ils ont utilisé le nucléaire. Or, la transmutation se fait plus efficacement dans un système sous-critique. Pour les pays du groupe B souhaitant continuer dans la voie du nucléaire, le risque est d'être confronté à une pénurie de plutonium. Le plutonium des pays du groupe A peut donc très bien être une ressource pour les pays du groupe B. Pourquoi polluer notre système de production d'électricité avec des actinides mineurs, potentiellement dangereux ? Autant utiliser un cycle spécifique, beaucoup plus petit. C'est là l'avantage majeur des ADS.

La question du meilleur choix entre les différentes technologies a été posée tout à l'heure par un parlementaire. Je crois que ce choix se fera une fois les démonstrations effectuées. Il faut savoir que lorsque l'on investit dans l'innovation, on le fait avec un objectif précis, mais cela peut aboutir à de l'innovation dans différents domaines. L'application résultant de la colonne vertébrale d'innovation ainsi créée dépendra des opportunités, de l'industrialisation, et des priorités, qui peuvent être totalement différentes de l'objectif initial. Même dans la recherche fondamentale, le fait que l'ADS nous demande cet accélérateur hyper fiable va rendre toutes nos grandes infrastructures utilisant des accélérateurs beaucoup plus performantes.

C'est la raison pour laquelle, en Belgique, nous souhaitons investir dans le programme MYRRHA. Le gouvernement belge entend ainsi financer 40 % de ce projet auquel nous croyons fermement, au-delà même de l'application industrielle particulière autour des déchets nucléaires.

La collaboration internationale peut nous permettre de franchir la « vallée de la mort », décrite précédemment, en mutualisant les ressources et les moyens. Nous n'en sommes pas encore à une phase de compétition industrielle. Il est donc possible de partager cette connaissance fondamentale, et de construire les grandes infrastructures de recherche nécessaires qui font actuellement défaut. Cela nous permet aussi d'attirer des talents confirmés, susceptibles de former à leur tour les plus jeunes.

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