Intervention de Alain Louligi

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Alain Louligi, directeur ligne produit nucléaire civil, Naval Group : le maintien d'un haut niveau de compétence propice à l'innovation et la recherche de technologies innovantes :

Naval Group est maître d'oeuvre de systèmes navals complexes : sous-marins, bâtiments de surface, infrastructures à terre. Dans le domaine nucléaire, nous assurons la réalisation, la fabrication, et la maintenance des chaufferies nucléaires embarquées. Nous avons également des « adhérences » avec le nucléaire civil, de par les programmes auxquels nous collaborons avec le CEA ou d'EDF.

Il me semble nécessaire, pour traiter la question de l'organisation dans l'innovation et la recherche, d'appréhender la problématique de manière globale. Je vais donc essayer de donner quelques facteurs clés de succès, en illustrant mon propos par des exemples issus de l'expérience de notre groupe.

Qu'attend-on de l'innovation ? Si l'innovation peut parfois être liée au hasard, elle apparaît surtout comme le fruit d'une contrainte. Nous avons ainsi été très souvent amenés à sortir de notre zone de confort, pour gagner en performance, en fiabilité, en maintenabilité, en compétitivité, nous mettre en situation de gérer des menaces, réduire l'exposition de nos personnels aux rayonnements, tant en exploitation qu'en maintenance.

L'innovation peut être endogène ou exogène. Une entreprise se doit d'être capable d'innover par elle-même, c'est le cas de sociétés comme Michelin par exemple, mais aussi être en capacité de veiller à capter les inventions extérieures, et voir dans quelle mesure elles peuvent se décliner dans son propre secteur d'activité. Nous avons eu la chance, à Naval Group, de pouvoir, pendant de très nombreuses années, assurer la maturité technique et le maintien des compétences, qui sont les ferments de l'innovation. Nous avons pu, de façon incrémentale, avoir une activité significative, que ce soit par nos programmes militaires, nos infrastructures à terre et les réacteurs de recherche qui les accompagnent, ou nos programmes civils. Cette activité a permis d'atteindre une certaine maturité technique, une expertise fondée sur le maintien des compétences.

Permettez-moi de citer quelques exemples à l'appui de mon propos. Lorsque nous sommes passés des chaufferies de sous-marins lanceurs d'engins aux chaufferies de sous-marins nucléaires d'attaque, nous avons été confrontés à des contraintes de compacité, et avons dû concevoir des chaufferies intégrées. Il s'agissait pour nous d'une étape d'innovation majeure, permettant d'assurer une meilleure sûreté de fonctionnement et une plus grande compacité. Plus récemment, nous avons accru notre niveau de modularité, pour des raisons de compétitivité industrielle. Nous avons ainsi commencé sur le porte-avions, la chaufferie puis avons étendu cette démarche à la partie appareil propulsif du sous-marin. Demain, nous allons développer la e-maintenance, sujet sur lequel nous travaillons depuis une quinzaine d'années déjà, ainsi que la fabrication additive, qui servira les programmes futurs.

Nous nous inscrivons, comme vous pouvez le constater, dans une logique d'innovation incrémentale, qui s'est construite dans le temps, et nous permet de disposer d'un vivier de compétences critiques pérenne. C'est parce que nous avons développé des programmes majeurs et innovants que nous avons pu maintenir nos compétences, c'est-à-dire garder des experts et garantir la filière.

Le deuxième facteur clé de succès réside dans le fait d'assurer un lien fort entre la R&D et l'industrie. On a trop souvent tendance à développer des inventions ou des technologies très en amont de la faisabilité industrielle, sans trop se préoccuper de leur devenir. Inversement, on a aussi parfois une fâcheuse tendance à oublier de capitaliser sur le retour d'expérience des industriels, pour identifier des gisements d'innovations possibles. Nous sommes, ainsi, au sein de Naval Group, impliqués en amont, via les instituts de recherche et les pôles de compétitivité, qui permettent de mettre en lumière des gisements d'innovations, mais essayons aussi d'avoir un lien fort avec des ressources internes, dans nos centres de recherche et d'expertise, ce qui permet de faire la passerelle avec l'industrialisation. Concernant la fabrication des chaufferies et de leurs composants, nous avons, par exemple, tissé une synergie forte avec TechnicAtome, société en charge de la conception des chaufferies elles-mêmes.

En matière de formation, nous disposons d'un Campus, qui nous permet d'assurer l'entretien des compétences spécifiques à la filière nucléaire.

Le troisième volet est également dicté par les contraintes, qui sont de plus en plus fortes à l'échelle internationale. Je pense qu'il importe, pour faire face à la concurrence internationale accrue, de s'organiser au-delà de l'entreprise. Il faut se donner la possibilité d'innover en rupture, ce qui requiert des moyens. Il convient donc de jouer la carte du collectif, et de nouer des synergies dans l'ensemble du tissu industriel. Cela inclut non seulement la R&D mais aussi la supply chain. C'est le cas, pour nous, avec les forgerons qui sont des acteurs importants. Il faut assurer cette mutualisation des compétences entre les principaux acteurs, à tous points de vue. Nous essayons de développer cette démarche dans notre domaine, avec des technocampus, et de nombreuses synergies avec les acteurs de la construction navale. Cette piste de fertilisation croisée des compétences et des moyens doit être creusée.

Voici, brièvement exposés, ce qui nous semble constituer les principaux facteurs clés de succès du cercle vertueux de l'innovation : maturité technique, maintien des compétences, liens forts entre R&D et industrie, ingénierie de production, et synergie accrue entre les acteurs de la filière.

Cela étant dit, encore faut-il trouver un bon vecteur pour le mettre en oeuvre. Je pense que des programmes fédérateurs et multipartenaires, comme celui sur les SMR, sont d'excellents vecteurs de développement et d'organisation de l'innovation. Ils sont, en effet, propices à la mise en oeuvre des facteurs clés de succès précédemment évoqués, et offrent une occasion sans précédent de casser les préjugés, de faire bénéficier toute la filière des acquis des innovations qui seront mises en oeuvre pour ces projets, mais aussi d'avoir une approche maîtrisée des risques et des financements qu'une entreprise seule ne pourrait pas envisager. Dans le cadre de la compétition internationale, dans laquelle nos partenaires étrangers investissent beaucoup d'argent, il est important d'être solidaires, à l'international, mais aussi, dans un premier temps, à l'échelle de la filière française.

Pour Naval Group, ce type d'approche est intéressant, car il nous permet de nous rapprocher du nucléaire civil, avec lequel nous avons des adhérences, et qui présente indéniablement une porosité réglementaire grandissante avec notre domaine.

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