Intervention de Christophe Gégout

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 24 mai 2018 à 9h10
Les nouvelles tendances de la recherche sur l'énergie : i — L'avenir du nucléaire - compte rendu de l'Audition publique du 24 mai 2018

Christophe Gégout, administrateur général adjoint, CEA :

Vers le CEA, convergent de nombreux enjeux, scientifiques, de formation - je rappelle que nous animons un institut de formation dans le nucléaire, régaliens et industriels. C'est la raison pour laquelle nous sommes trois à représenter aujourd'hui le CEA, qui compte 2 000 chercheurs, et représente la moitié de l'effort de recherche cité par M. Bernard Salha.

J'aborderai successivement, conformément à l'intitulé de cette table ronde, les questions des objectifs, de l'organisation, et des moyens.

Concernant les objectifs, on a tendance à parler du nucléaire et de sa recherche principalement lorsque l'on évoque le mix énergétique français. Il est vrai que le sujet est important. Pour autant, la filière nucléaire répond aussi, selon moi, à un autre enjeu, et répond notamment à des questions liées à la demande mondiale en énergie. De grands pays, comme l'Inde et la Chine, font le choix de fournir une énergie abondante, dans un contexte de forte croissance économique, avec des énergies renouvelables, et du nucléaire. La filière française, grâce à son excellence, issue des investissements réalisés au cours des précédentes décennies, peut répondre à cette demande fortement croissante en énergie dans de bonnes conditions de sûreté. Je crois que là est véritablement la mission de la recherche nucléaire. Nous ne sommes pas les seuls à croire en l'avenir de cette énergie : de nombreux investisseurs privés, aux États-Unis, se tournent ainsi vers le nucléaire, pour répondre à une demande croissante. On pense évidemment aux plus célèbres, NuScale et TerraPower, qui ont déjà investi des centaines de millions d'euros dans ces technologies. À nous de rester dans la course.

Cela me conduit à aborder la question de l'organisation, afin que la recherche remplisse ce rôle de préservation de l'excellence scientifique, technique et industrielle française. La première condition est d'être bien coordonnés. Ainsi, nous développons de nombreuses collaborations avec le CNRS, l'université : c'est important pour attirer les meilleurs chercheurs.

Le deuxième aspect à considérer est de remettre les besoins du marché au coeur de nos préoccupations. Je pense que le nucléaire correspond en réalité à plusieurs marchés, répondant à des horizons temporels extrêmement divers : il faut à la fois gérer le passé, optimiser l'exploitation du présent - c'est là où toutes les technologies numériques, d'intelligence artificielle, de gestion du big data, sont importantes - et anticiper le futur proche. Il faudra, à cet égard, un EPR plus facile et plus rapide à construire, et développer une offre de SMR, permettant de jouer sur l'effet de série, pour améliorer la compétitivité nucléaire. Pour autant, l'innovation dans le nucléaire ne se résume pas à inventer des réacteurs géniaux. Elle peut tout simplement consister à inventer de nouveaux types de combustibles, plus sûrs ou permettant d'accompagner une variation de charge.

Tout cela renvoie beaucoup, aujourd'hui, aux technologies numériques. Le CEA dispose d'une certaine expérience en la matière, puisqu'il a développé beaucoup de ces technologies pour le nucléaire : on pense notamment aux méthodes de validation formelle pour la sécurité des logiciels. Le numérique irrigue l'industrie nucléaire, mais nous permet aussi de répondre par exemple aux besoins de Renault en matière de certification du logiciel embarqué, pour son véhicule autonome. Ainsi, l'innovation numérique pour le nucléaire est ancienne, et irrigue d'autres domaines de l'industrie. On peut penser, par exemple, aux bras robotisés, pour les situations de très haute activité. Je crois que la France est le seul pays, avec le bras Maestro, à avoir élaboré ces technologies. Le contrôle non destructif est également une technologie numérique très importante, notamment dans la perspective de l'impression 3D, qui va nécessiter d'examiner la densité et la qualité des pièces produites. On peut citer aussi les moteurs de recherche pour la veille réglementaire, élaborés pour le nucléaire, et qui nous permettent aujourd'hui de développer pour Bureau Veritas une offre de veille réglementaire automatisée, ou encore à la maintenance prédictive, avec la mise au point de jumeaux numériques pour les équipements nucléaires, permettant de simuler, de comprendre, de modéliser, et de suivre leur fonctionnement en temps réel.

Je poursuivrai en évoquant brièvement la question des moyens. Le numérique et toutes ces innovations très prometteuses ne pourront pas tout faire. S'il est indispensable de disposer d'outils numériques innovants, se pose en France la question du renouvellement de notre outil de recherche nucléaire. Le CEA a ainsi commencé à fermer des installations ayant un certain âge, et ne répondant plus forcément à la conception actuelle de la sûreté. Il faut les renouveler. Or, comme ce renouvellement est financé essentiellement par l'État, et que nous sommes en situation d'ajustement des finances publiques, nous avons une certaine difficulté à faire passer dans des budgets contraints des investissements qui représentent un pic exceptionnel de besoin budgétaire.

Si je devais formuler une troisième condition pour que la recherche puisse remplir son rôle, je dirais qu'il faut que nous puissions identifier les installations physiques, expérimentales, qui vont compléter la révolution numérique du nucléaire, et que nous soyons en capacité de les financer. Cela requiert un dialogue avec les industriels, et nécessite sans doute d'internationaliser la programmation du renouvellement du parc des installations de recherche françaises.

Je conclurai en insistant sur le fait que les 700 millions d'euros évoqués par M. Bernard Salha ne me semblent pas démesurés, au regard de la multiplicité des horizons temporels que nous devons viser. Il faut en effet gérer le passé, les déchets, optimiser l'exploitation du présent, préparer le futur proche avec une offre de réacteurs allant de l'EPR aux SMR, et anticiper le futur lointain, si nous ne voulons pas laisser aux générations à venir des déchets radioactifs à vie longue. L'effort de recherche que tout cela suppose est créateur de valeur pour l'ensemble de l'industrie. En préservant la compétitivité de la filière nucléaire française, la recherche a inventé des technologies qui sont très largement réutilisées dans d'autres domaines. Ainsi, si le CEA n'avait pas été mobilisé pour certifier la fiabilité des logiciels pour le contrôle-commande des réacteurs, nous ne serions pas en mesure d'être le partenaire scientifique de référence de Renault pour le véhicule autonome.

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