Intervention de Olivier Merckel

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Olivier Merckel, direction de l'évaluation des risques, Anses : Expertise de l'Anses sur l'hypersensibilité aux champs électromagnétiques :

chef de l'unité d'évaluation des risques liés aux agents physiques, direction de l'évaluation des risques, Anses : Expertise de l'Anses sur l'hypersensibilité aux champs électromagnétiques. - Je tiens tout d'abord à vous remercier de donner l'occasion à l'Anses de faire part des résultats de son expertise sur l'hypersensibilité aux champs électromagnétiques.

Notre rapport, assorti comme la plupart du temps d'un avis, a été publié à la fin du mois de mars 2018. Cette expertise a duré un peu plus de trois ans, et impliqué une quarantaine d'experts. Ceci vous donne une idée des moyens mis en oeuvre pour essayer de discuter cette question de l'électro-hypersensibilité, et de faire état de tout ce que la science est capable d'apporter aujourd'hui sur ce sujet extrêmement débattu, dans le grand public comme dans les milieux scientifiques.

Les premières descriptions d'une possible association entre l'exposition à des ondes radioélectriques, notamment les ondes courtes, et certains symptômes ressentis par des personnes, remontent à relativement longtemps, puisqu'un article publié en 1932 mentionne déjà cette hypothèse. Au cours du XXe siècle, avec le développement de certaines applications civiles et militaires dans le domaine des radars, divers articles ont mentionné des liens possibles entre des symptômes et le fait, pour les personnes les ressentant, de travailler à proximité de ces installations. Ensuite, au fil du développement économique et technologique, on a associé, essentiellement dans les années 1980, les troubles éprouvés, notamment des problèmes de peau, au travail sur écran, principalement les écrans cathodiques d'ordinateurs. Dans les années 1990, on a attribué divers symptômes à la présence d'appareils électroménagers, d'installations électriques, et bien sûr de technologies de communication mobiles.

En matière de terminologie, c'est en 1997 qu'est proposé, pour la première fois, le terme d'« hypersensibilité électromagnétique ». De manière plus complexe, en 2006, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) évoque l'« intolérance environnementale idiopathique attribuée aux ondes électromagnétiques », le terme « idiopathique » signifiant « sans cause identifiée ». Nous avons préféré, pour notre expertise, utiliser la terminologie « électro-hypersensibilité » (EHS), qui est la plus communément employée aujourd'hui, par l'ensemble des personnes qui s'intéressent à la question.

En termes méthodologiques, cette expertise a, de façon très classique à l'Agence, impliqué un comité d'experts spécialisé sur les agents physiques, et les nouvelles technologies. Un groupe de travail a également été constitué spécifiquement pour cette étude, composé de physiciens, d'épidémiologistes, de biologistes, de médecins, et de représentants des sciences humaines et sociales. Nous avons procédé à un grand nombre d'auditions, afin d'entendre des médecins, des chercheurs, mais aussi des associations de personnes électro-hypersensibles. Plus classiquement, d'importantes recherches et analyses bibliographiques ont été conduites : près de 500 publications scientifiques ont ainsi été examinées par le groupe de travail. Nous avons aussi exploité de nombreux témoignages, reçus par l'Agence depuis plusieurs années, émanant de personnes se plaignant de symptômes qu'elles attribuent à leur exposition aux champs électromagnétiques. Cette expertise tire, par ailleurs, son originalité d'une consultation publique, organisée entre juillet et octobre 2016, pour communiquer les premiers résultats de l'étude sous la forme d'un rapport. Celle-ci nous a permis de recueillir plus de 500 commentaires, de la part de 23 contributeurs différents, et d'affermir la qualité du rapport, en essayant de répondre à toutes les questions posées par ces contributeurs. Ceci a, en outre, permis de verser au dossier près de 70 nouvelles références de publications, qu'il a fallu analyser, expertiser, et ajouter à l'ensemble de la matière scientifique déjà amassée. Ce travail explique le décalage temporel entre ces travaux et la restitution définitive de l'expertise, en mars 2018.

Les questions portées par l'expertise étaient extrêmement diverses, dans la mesure où le sujet avait finalement été très peu exploré jusqu'alors, sauf à l'occasion de quelques travaux, tels que ceux de l'OPECST mentionnés en introduction, ou d'autres de l'OMS, laquelle avait organisé, en 2004, une conférence consacrée spécifiquement à l'EHS. Depuis lors, aucun point n'avait été fait sur cette question.

L'une des premières questions porte sur la manière de définir l'électro-hypersensibilité. Nous avons tenté, dans cette expertise, d'en cerner les contours, notamment de décrire la population des personnes EHS : cette population est-elle homogène ou pas ? À combien d'individus s'élève-t-elle ?

Nous nous sommes également intéressés à la question centrale, relative à la capacité de la science à établir, à ce jour, une véritable relation de cause à effet entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes dont se plaignent les personnes EHS.

Enfin, nous avons exploré les différentes hypothèses avancées pour expliquer et comprendre ces symptômes.

L'une des particularités de l'électro-hypersensibilité réside dans le fait qu'elle recouvre un très grand nombre de symptômes fonctionnels, qui ne sont ni des lésions, ni des dysfonctionnements d'organes clairement identifiés, comme le résultat d'une pathologie. Par ailleurs, ces symptômes sont non spécifiques : ils peuvent être attribués à d'autres pathologies. Dans les publications ayant trait notamment à la caractérisation de la population des personnes EHS, on trouve la description de plus d'une centaine de symptômes, les plus souvent rapportés étant des troubles du sommeil, de la fatigue, des maux de tête, et des douleurs dans diverses parties du corps. L'intensité et le nombre des symptômes exprimés varient grandement selon les personnes, avec, par conséquent, des répercussions différentes sur leur qualité de vie, ce qui complexifie la possibilité de cerner précisément la population des EHS, qui apparaît comme un ensemble non homogène.

Des tentatives de définition de critères de diagnostic et de classification pour établir des recherches sur l'EHS ont été effectuées, sur la base notamment de techniques d'imagerie du fonctionnement du cerveau, ou de tests biologiques. Force est de constater qu'il n'existe pas aujourd'hui de diagnostic scientifiquement validé pour l'EHS.

Cela renvoie évidemment à la question de la définition de l'électro-hypersensibilité. À ce jour, trois critères ont été retenus pour définir l'EHS : en premier lieu, la perception par les sujets de symptômes fonctionnels non spécifiques, comme des troubles du sommeil, des maux de tête, des irritations cutanées, etc., en deuxième lieu l'absence de signes cliniques et biologiques permettant d'expliquer ces symptômes, et de les attribuer à une cause pathologique évidente, enfin, l'attribution, par les sujets eux-mêmes, des symptômes ressentis à leur exposition à des champs électromagnétiques diversifiés. Certaines personnes sont ainsi électro-hypersensibles aux basses fréquences, générées par le transport d'électricité ou les appareils électroménagers, d'autres aux radiofréquences, correspondant par exemple aux rayonnements dans le domaine des communications mobiles, certaines aux deux.

Aujourd'hui, la seule possibilité pour définir l'EHS repose donc sur l'auto-déclaration des personnes. Cette situation laisse présager des difficultés potentielles, dans les travaux de recherche menés pour interpréter des études construisant chacune sa classification propre de l'EHS.

Plusieurs éléments peuvent permettre d'aborder la question de la relation entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes. Tout d'abord, on peut utiliser la notion de perception. Il a parfois été rapporté que des personnes EHS pouvaient percevoir davantage les champs électromagnétiques que des personnes non EHS. À ce jour, notre examen des études dans la littérature scientifique montre qu'aucune n'a mis en évidence une capacité des personnes se déclarant EHS à percevoir les radiofréquences, c'est-à-dire les champs magnétiques de plus haute fréquence. En revanche, quelques études, comportant toutefois des limites méthodologiques, montrent des réponses à des expositions aux basses fréquences. Nous recommandons bien évidemment de répliquer ces recherches dans de meilleures conditions.

Se pose également la question du lien entre exposition et symptômes ressentis. Pour ce faire, nous disposons d'études dites « de provocation », qui consistent à recruter des volontaires, en particulier des personnes EHS, et à les placer, ou pas, en situation d'exposition, pour constater si l'on observe les symptômes qu'ils ont déclaré ressentir. Bien évidemment, les participants, tout comme l'examinateur, ignorent, au cours du test, quand ils sont exposés, ou pas. Ce protocole devrait permettre de déterminer s'il existe, ou non, un lien entre l'exposition et les symptômes déclarés. Une quarantaine d'études de ce type ont été menées depuis 2009, dont aucune ne met en évidence un lien entre l'exposition des personnes et l'apparition de symptômes ou d'anomalies biologiques spécifiques. En revanche, on remarque, dans une quinzaine d'articles, que lorsque des personnes se déclarant EHS sont soumises à des expositions factices, elles expriment un nombre de symptômes ressentis plus importants que les témoins non EHS. Ces études ne permettent pas d'expliquer l'origine de l'EHS.

Les résultats de ces études de provocation suggèrent deux hypothèses. La première est que les symptômes ressentis par les personnes se déclarant EHS ne seraient pas dus aux expositions aux champs électromagnétiques. La seconde est que les limites méthodologiques de ces études seraient responsables de l'absence de résultat. Ces limites ne permettent pas d'exclure que quelques personnes sensibles aux champs électromagnétiques n'aient pas été détectées jusqu'à présent. En effet, on peut imaginer que des personnes EHS ressentant des symptômes douloureux n'aillent pas volontairement s'exposer à ce type de rayonnement, y compris dans le cadre d'études scientifiques. De même, on ne peut exclure que certains effets biologiques puissent se manifester uniquement dans certaines conditions d'exposition, ou n'aient pas été investigués par ces travaux.

Pour autant, nous avons balayé l'ensemble des hypothèses exprimées, à la fois dans la littérature scientifique et à travers les auditions que nous avons pu mener. Dix-huit hypothèses ont ainsi été formulées et étudiées par le groupe de travail. Bien que quelques-unes de celles-ci soient intéressantes, aucune n'apporte véritablement de réponse à la question de la compréhension du lien entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes déclarés.

L'une des conclusions de l'expertise est donc qu'en l'état actuel des connaissances, il n'existe pas de preuve expérimentale solide permettant d'établir un lien de causalité entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par les personnes se déclarant EHS.

Au final, les causes d'apparition des symptômes restent inconnues, et la seule possibilité actuelle pour définir l'EHS repose sur l'auto-déclaration des personnes.

Cependant, les symptômes, la souffrance, voire l'isolement social des personnes se déclarant EHS, correspondent à une réalité vécue, d'autant que pour faire face aux symptômes ressentis, elles doivent adapter leur mode de vie, à divers degrés, selon la nature et l'intensité des troubles ressentis.

Suite à ce travail, l'Anses a formulé des recommandations en matière de recherche, afin d'améliorer les connaissances sur l'EHS, et d'évaluer l'efficacité de certains moyens empiriques de diagnostic, ou de traitement.

Il est également très important d'améliorer les conditions de la recherche. En particulier, j'insiste sur la nécessité de renforcer les interactions entre les scientifiques et les associations de personnes se déclarant EHS, notamment dans le but d'optimiser les protocoles de recherche, et de s'adapter aux conditions de vie de ces personnes.

Par ailleurs, l'Anses a fait des préconisations à l'attention des institutions, et des pouvoirs publics. Ainsi, elle suggère de demander à la Haute autorité de santé (HAS) d'examiner la pertinence de formuler des recommandations de prise en charge adaptée aux personnes se déclarant EHS. Nous pensions dans ce cadre à l'exemple du rapport produit en 2010 par la HAS sur la fibromyalgie. En effet, les personnes EHS rencontrent des difficultés, tant dans leur milieu professionnel que dans leur vie personnelle. Une recommandation pourrait ainsi être adressée au monde professionnel, pour essayer de définir des bonnes pratiques en matière de prise en charge des personnes EHS dans leur environnement de travail.

Il est évidemment important d'améliorer la prise en charge des personnes EHS par l'ensemble des acteurs sanitaires et sociaux, notamment par le développement de la formation à l'accueil, à l'écoute, ainsi qu'à la prise en compte des différentes questions et attentes des personnes se déclarant EHS, en particulier en ce qui concerne leur qualité de vie diminuée.

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