Intervention de Laurence Caté

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Laurence Caté, direction générale de la santé (DGS), ministère des solidarités et de la santé : Les suites envisagées par la DGS aux recommandations de l'Anses relatives aux personnes se déclarant EHS :

adjointe à la sous-directrice, sous-direction de la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation (EA), direction générale de la santé (DGS), ministère des solidarités et de la santé : Les suites envisagées par la DGS aux recommandations de l'Anses relatives aux personnes se déclarant EHS. - Je m'associe aux interventions qui ont salué le travail remarquable et conséquent de notre Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. Cette expertise était très attendue, dans le prolongement de l'avis de 2009 sur l'électro-hypersensibilité.

Plusieurs des recommandations de ce rapport entrent dans le champ de compétence de la direction générale de la santé, mais aussi de la direction générale de la cohésion sociale, sur les aspects sociaux. Les constats que nous en retirons, déjà largement évoqués, concernent tout d'abord le problème lié à la définition de la notion d'électro-hypersensibilité, caractérisée, selon l'OMS, par trois critères : la perception par le sujet lui-même de symptômes non spécifiques, non rattachables à une pathologie - troubles du sommeil, maux de tête, symptômes cutanés, fatigue -, l'absence d'évidence clinique et biologique permettant d'expliquer ces symptômes, et enfin l'attribution par les sujets eux-mêmes de ces symptômes à la présence de champs électromagnétiques.

M. Olivier Merckel nous a indiqué que l'analyse des études, notamment des études de provocation, considérées comme les plus robustes, a conduit l'Agence à conclure qu'en l'état actuel des connaissances, avec toutes les précautions d'usage évoquées concernant les méthodologies utilisées, il n'existait pas de preuve expérimentale solide permettant d'établir un lien de causalité entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par les personnes se déclarant électro-hypersensibles. Parmi les hypothèses de recherche analysées par l'Agence pour interpréter ces symptômes, il a été souligné qu'aucune n'a pu être retenue comme plausible et probante à ce stade. L'Agence a attiré l'attention sur des études mettant en évidence l'effet nocebo, qui participerait de la persistance des effets de l'électro-hypersensibilité.

Ces éléments n'empêchent pas que les personnes se déclarant EHS se trouvent dans une grande souffrance physique et psychique, qui peut les conduire jusqu'à une désocialisation, une perte d'emploi, et un isolement. Nous recevons un abondant courrier à ce sujet. Cette situation justifie une prise en charge adaptée.

L'Anses souligne également le phénomène d'errance médicale, qui caractérise le parcours des personnes se déclarant EHS. Du côté du corps médical, nous observons que certains médecins se trouvent démunis face à ces personnes. Une étude conduite en 2012 par l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé sur un échantillon représentatif de médecins, indiquait que 19 % d'entre eux étaient régulièrement interrogés par leurs patients sur la téléphonie mobile, et que 41 % éprouvaient des difficultés à répondre aux patients sur la question des risques liés aux ondes électromagnétiques. À l'inverse, et en l'absence, pour l'instant, de diagnostic établi, d'autres médecins généralistes attestent de l'électro-hypersensibilité de leurs patients par un certificat médical, parfois produit par les personnes se déclarant EHS devant les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

Pour ce qui est des recommandations visant à améliorer la prise en charge sanitaire des personnes électro-hypersensibles, quatre nous concernent, dont nous allons nous emparer.

Il s'agit, tout d'abord, de développer la formation des médecins sur la problématique des effets des radiofréquences sur la santé, et de mettre à leur disposition des informations leur permettant de répondre aux attentes des personnes.

La deuxième recommandation porte sur le fait de demander à la société française de médecine du travail (SFMT) d'étudier la faisabilité de bonnes pratiques de prise en charge en milieu professionnel des personnes se déclarant EHS.

La troisième préconisation concerne la HAS, à laquelle il est demandé, à l'instar du travail effectué sur la fibromyalgie, de formuler des recommandations de prise en charge adaptée des personnes se déclarant électro-hypersensibles.

La quatrième recommandation, enfin, est de favoriser le rapprochement des différents acteurs du domaine sanitaire et social : médecins, centres de consultation de pathologies professionnelles et environnementales et maisons départementales des personnes handicapées compétentes en matière de prestations handicap.

Parmi les suites envisagées par la DGS, il nous apparaît important de procurer aux professionnels de santé, notamment aux médecins généralistes, des orientations pour prendre en charge ces personnes de manière adaptée. Dans cette perspective, nous envisageons d'inscrire au programme de travail de la Haute autorité de santé pour 2019 l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques dans ce domaine, à l'usage des professionnels de santé. Nous écoutons évidemment les conseils de la HAS concernant la méthodologie la plus appropriée pour atteindre ce résultat.

De notre point de vue, ces recommandations doivent permettre d'identifier et traiter les symptômes : troubles du sommeil, terrains migraineux, afin d'identifier les pathologies sous-jacentes n'ayant pas été dépistées, comme une hypertension artérielle. Il s'agit également de limiter l'errance médicale des patients, qui rencontrent souvent de nombreux spécialistes, sans pour autant constater une quelconque amélioration de leur état de santé. Figurait, par ailleurs, au nombre des recommandations effectuées par l'OMS en 2005, l'évaluation des facteurs intervenant sur le poste de travail et au domicile, et susceptibles de contribuer à ces manifestations de symptômes. Une telle approche requerrait l'intervention d'une équipe pluridisciplinaire.

Il s'agira ensuite de diffuser les bonnes pratiques émanant de ces divers travaux auprès des professionnels de santé. Nous envisageons la possibilité d'associer la société française de médecine du travail à cette démarche, qui serait portée par la HAS. Nous travaillons depuis 2010 avec la SFMT sur la question des personnes électro-hypersensibles : dans le cadre d'un programme de recherche clinique hospitalier, une étude est ainsi pilotée par le service de pathologies professionnelles et environnementales de l'hôpital Cochin, pour évaluer la prise en charge thérapeutique la mieux adaptée, pour les patients électro-hypersensibles. Il s'agit de la première étude de ce genre en France. Ce travail est terminé et fera l'objet d'une publication cette année. La communication des résultats revenant aux investigateurs, vous comprendrez que je ne puisse vous en dire davantage à ce sujet.

Concernant le rapprochement et la coordination des acteurs impliqués dans la prise en charge des personnes se déclarant EHS, cette démarche pourrait se fonder sur les 24 centres de consultation de pathologies professionnelles et environnementales (CRPPE), qui se sont d'ailleurs fédérés pour la réalisation de l'étude menée par l'hôpital Cochin. La consolidation de l'organisation de ces CRPPE est inscrite dans le plan national de santé publique publié fin mars. Ces centres ont vocation à mener des missions d'expertise et de formation en santé au travail, mais aussi sur les pathologies potentiellement reliées à l'environnement.

Concernant les droits sociaux, qui relèvent plutôt des compétences de la direction générale de la cohésion sociale, on observe l'inaptitude des personnes se déclarant EHS à réaliser certaines tâches de la vie quotidienne, voire un isolement social. Ceci conduit ces patients à solliciter les maisons départementales des personnes handicapées, dans le but d'obtenir une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et de se voir éventuellement attribuer l'allocation aux adultes handicapés ou la prestation compensatoire du handicap. La reconnaissance du handicap ne fait pas appel au diagnostic d'une pathologie, mais se fonde plutôt sur des concepts d'efficience, d'incapacité et de désavantage, développés dans la classification internationale des handicaps élaborée par l'Organisation mondiale de la santé. Ce faisant, toute personne souffrant de troubles ou de handicap, quelles qu'en soient les causes, et dont le taux d'incapacité atteint 80 %, a droit, par exemple, au bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés (AAH). C'est pourquoi les tribunaux de l'incapacité ont pu confirmer le droit à l'AAH de personnes se déclarant électro-hypersensibles. À ce stade, la DGS s'est rapprochée de la direction générale de la cohésion sociale pour examiner à quelle prestation ces personnes pourraient prétendre dans le champ du handicap, ceci dans le but de favoriser leurs démarches et leur parcours de soin.

Les recommandations en matière de recherche ont également été évoquées. Elles soulignent la nécessité de poursuivre les travaux, déjà très nombreux, financés sur le programme de recherche de l'Anses, en s'appuyant sur les préconisations suivantes : faciliter l'interaction entre scientifiques et associations, soutenir la mise en place d'infrastructures de recherche adaptées à l'électro-hypersensibilité, pour réaliser notamment des études de suivi à long terme - en veillant à ce que les modalités expérimentales soient contrôlées, et prennent en compte les conditions de vie des personnes se déclarant EHS - enfin pérenniser le financement de l'effort de recherche, notamment fondamentale, sur les effets sanitaires des radiofréquences. Il faut savoir que, depuis 2010, l'Anses dispose d'un programme de recherche sur les radiofréquences, via le programme national de recherche en environnement-santé-travail (PNR EST), financé par la taxe d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau (IFER), sur les antennes relais et les opérateurs de la téléphonie mobile. Cette taxe est perçue actuellement au bénéfice de deux opérateurs de l'État, afin de leur permettre d'accomplir des missions de surveillance et de recherche : d'une part, l'Agence nationale des fréquences (ANFr), dans la limite de 2,8 millions d'euros par an, pour financer le dispositif national de surveillance et de mesure, en application de l'article 42 de la loi Grenelle II, d'autre part, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'environnement, du travail et de l'alimentation, à hauteur de 2 millions d'euros par an, pour financer la recherche sur les effets sanitaires des radiofréquences. Depuis 2011, cette taxe permet à l'Anses de piloter des appels à projets : 45 projets ont été financés dans ce cadre, pour un montant total de 9,1 millions d'euros, mobilisant un écosystème de 133 équipes de recherche. Le maintien de cette taxe est fondamental pour assurer l'indépendance des résultats scientifiques, et donner une visibilité à long terme nécessaire aux équipes de recherche, dans la mesure où ces projets sont en général conduits sur des durées de cinq à sept ans. Les résultats et les questions posées à la recherche font aussi l'objet d'un dialogue avec la société civile, dans le cadre du comité de dialogue animé par l'Anses.

En conclusion, je tenais à rappeler que cette expertise scientifique était très attendue. Les recommandations de l'Anses, et les pistes de mise en oeuvre que j'ai évoquées, vont servir à l'élaboration du rapport du Gouvernement au Parlement, défini à l'article 8 de la loi dite Abeille du 9 février 2015, qui disposait que dans un délai d'un an après la promulgation de ladite loi, le Gouvernement devrait remettre au Parlement un rapport sur l'électro-hypersensibilité. Une concertation a donc été lancée, avec nos homologues des autres directions de l'administration centrale concernées : direction générale de la cohésion sociale, direction générale du travail, et direction générale de la prévention des risques. Ce rapport devrait vous être communiqué avant la fin de l'année 2018.

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