Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Nous allons, sans plus attendre, passer la parole aux orateurs de cette deuxième table ronde, dont certains interviendront par visioconférence.

Nous allons tout d'abord entendre le professeur Rodney Croft, professeur de psychologie de la santé à l'école de psychologie de l'université de Wollongong, en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. Il se consacre depuis une vingtaine d'années aux recherches sur les effets des rayonnements non ionisants, notamment sur le cerveau. Il est actuellement directeur d'un nouveau centre d'excellence en recherche sur les effets biologiques de l'électromagnétisme, appartenant au conseil australien de la santé et de la recherche médicale (National Health and Medical Research Council ou NHMRC). Il est aussi membre de plusieurs organismes scientifiques nationaux et internationaux, ainsi que de comités internationaux de normalisation, comme la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (International Commission on Non-ionizing Radiation Protection ou ICNIRP). Cette commission scientifique a pour principale mission de déterminer les limites d'exposition aux champs électromagnétiques. Le professeur Rodney Croft y préside les travaux d'un groupe de travail chargé de mettre à jour les limites d'exposition aux hautes fréquences, qui doivent prochainement se conclure. Les recommandations de l'ICNIRP sont largement suivies, même si elles n'ont pas de caractère contraignant.

Pr Rodney Croft, professeur de psychologie de la santé, Centre australien de recherche sur les effets biologiques de l'électromagnétisme, université de Wollongong (Australie), président du groupe de projet sur les directives pour les hautes fréquences, Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). - Je vais vous présenter un bref exposé sur les lignes directrices internationales, notamment celles émises par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants. Le rôle de cette commission est de fournir des conseils en matière de protection de la santé vis-à-vis de n'importe quel type de rayonnement non ionisant. Elle a été créée en 1992, comme instance parallèle à la Commission internationale de protection contre les radiations ionisantes, organisme qui donne des lignes directrices en matière notamment de protection contre les rayonnements des centrales nucléaires. Il s'agit d'une organisation non gouvernementale, sans but lucratif, ayant des relations directes et officielles avec l'OMS. Elle est composée d'une commission principale, qui compte quatorze membres, d'un groupe permanent d'experts invité à s'occuper de projets précis, et d'un secrétariat scientifique.

La fonction principale de cette instance est le développement de lignes directrices. Nous fournissons aussi des expertises, et publions des déclarations. En général, nous adressons ces conseils à des autorités nationales, qui peuvent décider de les utiliser, ou non, pour protéger leurs concitoyens. Nous nous occupons essentiellement des émissions de radiofréquences. Les lignes directrices qui y sont associées, publiées en 1998, visent à limiter l'exposition aux champs électromagnétiques jusqu'à 300 gigahertz. L'idée était d'établir des restrictions pour l'exposition aux radiofréquences, à des niveaux en-deçà de ceux susceptibles de provoquer des effets connus sur la santé. Il s'agit d'avis consultatifs : chaque pays, et chaque agence nationale, peut choisir de les mettre en oeuvre, ou non.

Cette commission est une instance indépendante, qui n'entretient aucun lien avec l'industrie, sur le modèle de l'Organisation mondiale de la santé. Les conflits d'intérêts y sont gérés de la même manière. La transparence apparaît comme une exigence de plus en plus forte, ce qui se traduit notamment par des déclarations d'intérêts de tous les membres de la commission, consultables sur notre site internet. Tout ce que nous produisons est mis à disposition sur notre site web, afin que chacun puisse comprendre ce que nous faisons. Nos documents les plus récents mettent de plus en plus l'accent sur la transparence, et présentent par exemple les modalités de détermination des restrictions que nous préconisons, comme les méthodes d'évaluation des données. Ces informations sont explicitées sur notre site, car nous sommes conscients du fait qu'il existe souvent un malentendu sur l'interprétation des intentions ayant présidé à l'élaboration des lignes directrices de 1998. Nous espérons ainsi éviter cela à l'avenir.

De la même manière, nous participons de plus en plus à des présentations publiques au cours de l'élaboration des documents, afin de faire participer à nos travaux autant de scientifiques que possible, et de recueillir le maximum d'opinions émanant de la population. Une période formelle de consultation est, en outre, organisée à la fin de nos travaux, pendant laquelle toute personne peut contribuer au processus.

La méthode de travail de la commission consiste à déterminer les niveaux les plus faibles d'exposition aux radiofréquences pouvant induire des effets de santé, à proposer des facteurs de réduction, et à établir une limite d'exposition. Nous avons, par exemple, considéré une élévation de la température du corps d'un degré comme présentant un risque d'épuisement par la chaleur, et déterminé quel niveau de watt par kilogramme pouvait induire cet effet. Cette donnée est utilisée pour déterminer le niveau d'exposition maximale, donc le seuil, fixé à moins de 0,5°C. Nous avons une approche très conservatrice de la question, à chaque étape du processus d'élaboration des lignes directrices. Lorsque nous parlons d'un degré, ceci ne signifie pas que ce niveau serait nécessairement nocif pour une personne. En effet, sur un cycle de 24 heures, la température du corps humain peut augmenter d'un degré, lors d'une pratique sportive par exemple. Il s'agit d'une démarche de prudence.

Nous cherchons ainsi des seuils d'effets induits sur la santé par les radiofréquences. Bien évidemment, la littérature disponible présente des lacunes dans certains domaines, mais fait aussi état de mécanismes connus. Nous savons, par exemple, que les radiofréquences peuvent induire une hausse de la température corporelle. Nous jugeons prudent de nous pencher sur ces questions, même si nous estimons que le risque de nuisance sur la santé est minime. Nous nous appuyons également sur des enquêtes indépendantes, comme celles de l'OMS. Ceci nous permet d'être en contact avec un très grand nombre de scientifiques et de disposer de données de revue, que nous ne pourrions produire seuls.

Lorsque nous parlons de preuves, de conclusions, nous considérons uniquement les éléments relevant du processus scientifique classique : il faut que tous les résultats puissent être reproduits scientifiquement, de façon indépendante, qu'ils soient de bonne qualité, et s'inscrivent dans un contexte scientifique plus large. Toute information ne résultant pas d'un tel processus, et présentant des limites méthodologiques, est ignorée, et ne saurait entrer dans les éléments à prendre en compte pour élaborer des lignes directrices.

Nous intégrons également dans nos considérations des facteurs de réduction, tenant compte des incertitudes scientifiques, et de critères environnementaux et démographiques. Certains éléments sont difficiles à mesurer dans le monde réel. Nous établissons ainsi des niveaux de référence, des valeurs de base, qui nous permettent de fournir un degré équivalent de protection.

Il me semble important, à présent, de mettre l'accent sur des questions que l'on me pose souvent, et dont certaines témoignent d'une incompréhension vis-à-vis de nos recommandations.

Par exemple, on nous dit parfois que ces recommandations se préoccupent surtout des effets thermiques, alors qu'en réalité elles ont vocation à protéger de tous les effets. Toutefois, il faut disposer d'une démonstration scientifique claire, prouvant chaque effet sur la santé.

Il arrive également que l'on reproche à notre organisation de ne pas protéger les personnes EHS. C'est inexact, dans la mesure où nos préconisations prennent en compte, et s'appliquent à l'ensemble de la population. Dans le cas de l'EHS, nous estimons que la recherche n'a pas mis en évidence de lien de causalité entre les symptômes et l'exposition aux champs électromagnétiques. Il existe même des preuves tendant à montrer que ceci pourrait résulter d'autres facteurs.

Certaines personnes prétendent, par ailleurs, que nos recommandations ne prennent pas en compte des maladies comme le cancer, considérant qu'il est évident que les radiofréquences peuvent en être à l'origine. En réalité, nous considérons toutes les pathologies, mais il n'existe pour l'heure aucune preuve scientifique ni d'éléments étayés en ce sens.

D'autres, encore, affirment que notre commission ne considère que les effets les plus aigus. Nous analysons les rapports concernant à la fois les effets aigus et les effets chroniques, mais force est de constater qu'aucune preuve n'a été apportée concernant le lien entre les radiofréquences et la survenue de pathologies chroniques, comme le cancer. Là encore, si les effets chroniques étaient démontrés, alors nous mettrions en place une limite précise, tenant compte de ce paramètre. Pour l'instant, les limites ne sont fondées que sur les effets mis en évidence, c'est-à-dire les effets aigus, ce qui conduit pour autant à protéger de l'ensemble des effets des radiofréquences.

Cela fait vingt ans que nos dernières recommandations ont été publiées. De nombreux travaux de recherche ont été réalisés depuis lors. L'ICNIRP a donc élaboré un processus visant à réactualiser ses préconisations. Nous arrivons actuellement au terme de cette démarche, et espérons disposer d'un document finalisé le mois prochain. L'un de nos objectifs est de rendre les choses plus claires, transparentes, et accessibles pour le grand public, de lui expliquer de quoi il est question exactement. Pour ce qui concerne l'exposition aux radiofréquences pour une personne moyenne, aucun changement majeur n'a été apporté aux valeurs limites posées en 1998, même si l'angle d'approche n'est pas exactement le même, ce qui suggère que les recommandations de 1998 étaient plutôt satisfaisantes.

Merci beaucoup, professeur Croft, pour cet exposé très clair. Je vais collecter quelques questions et remarques suscitées par cet exposé, puis nous donnerons la parole au professeur Joe Wiart.

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