Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Merci beaucoup, professeur Croft, d'avoir pris de votre temps pour répondre à cette invitation. Vous êtes évidemment le bienvenu si vous souhaitez assister et participer à la suite des débats.

Je vais maintenant donner la parole au professeur Joe Wiart, qui va intervenir en visioconférence depuis les îles Canaries. Il est, depuis 2015, titulaire à l'école Telecom ParisTech de la chaire Caractérisation, modélisation et maîtrise des expositions, qui se consacre à l'étude des expositions aux ondes électromagnétiques. Auparavant chef de l'unité de recherche Orange en charge d'études relatives à l'exposition humaine aux champs électromagnétiques, il est lui aussi membre de multiples comités scientifiques et instances internationales de normalisation. Le professeur Wiart a dirigé de nombreux projets nationaux et internationaux liés à la dosimétrie, dont le projet européen Lexnet, qui visait justement à « développer des solutions efficaces qui permettraient de réduire d'au moins 50 % l'exposition du public aux champs électromagnétiques radiofréquences, sans compromettre la qualité de service ». Il a déjà participé par le passé aux travaux de l'Office parlementaire et nous lui sommes très reconnaissants de participer à cette table ronde.

Pr Joe Wiart, titulaire de la chaire Caractérisation, modélisation et maîtrise des expositions (C2M), laboratoire traitement et communication de l'information (LTCI), Telecom ParisTech, Institut Mines Telecom, université Paris-Saclay. - Le premier élément qu'il est important de rappeler est que l'exposition aux radiofréquences (RF) se traduit d'abord par la puissance absorbée par les tissus. On a souvent tendance à considérer uniquement la mesure du champ extérieur, pour les raisons exprimées précédemment par le professeur Croft. Il est en effet extrêmement compliqué de mesurer le débit d'absorption spécifique (DAS), c'est-à-dire la puissance absorbée dans les tissus divisée par leur masse. A donc été considérée, par l'ICNIRP et les études qui ont suivi, une fonction de transfert, permettant de passer du champ électromagnétique incident, exprimé en volts par mètre, ou en watts par mètre carré, à des watts par kilogramme. Cette approche a notamment permis d'analyser l'exposition locale, et la puissance émise par les mobiles. L'important est d'avoir en tête que la quantification de l'exposition est celle de la puissance absorbée dans les tissus.

Lorsque l'on analyse l'exposition associée aux réseaux de télécommunication, l'exposition réelle est la somme des contributions des points d'accès, des antennes relais et des équipements personnels : téléphones, tablettes, ordinateurs, etc.

Aujourd'hui, les usages ont évolué et ne sont plus limités à la voix. Les mobiles sont utilisés non seulement pour téléphoner, en mode vocal, mais aussi pour consulter ses courriels, envoyer et recevoir des fichiers, etc. Or, ces usages induisent des émissions de la part des équipements. Les émissions dépendent donc des réseaux, des technologies, et des usages.

La question posée dans le cadre du programme Lexnet était de déterminer s'il était possible, et selon quelles modalités, de minimiser les émissions globales. La caractérisation et la maîtrise de l'exposition globale étaient ainsi l'objet de ce projet européen, lancé en 2012 et clos en 2015.

La première action mise en oeuvre dans le cadre de ce projet a consisté à définir une nouvelle métrique de l'exposition globale. Comme on l'a vu précédemment avec l'intervention du professeur Croft, de nombreux travaux ont été menés pour évaluer l'exposition induite par un système, le téléphone mobile, avec une analyse effectuée sur les niveaux de référence ou les restrictions de base, à savoir la mesure ou l'évaluation numérique des puissances absorbées, ou encore l'utilisation d'une variable dérivée, sous la forme de la valeur du champ électrique en volts par mètre, afin d'estimer la conformité du système en question. Ces approches étaient liées à une démarche de conformité, et considéraient les divers objets connectés comme séparés, et testés chacun à leur maximum. Toutefois, on sait que ce n'est pas le cas, et qu'il existe une forte corrélation entre l'architecture des réseaux, et les puissances émises par les mobiles. L'objet de Lexnet a donc été d'étudier les technologies et les architectures permettant de réduire l'exposition globale.

Ce projet européen a réuni, pendant trois années, dix-neuf partenaires. Il s'est agi de découper une aire géographique en plusieurs zones, où l'on pouvait évaluer les puissances reçues venant des stations de base et, suivant les usages, les puissances émises par les mobiles. L'idée était de scinder l'ensemble d'une tranche de vie, en se posant la question de l'utilisation faite par la population des équipements, des réseaux, d'essayer de déterminer ainsi la puissance absorbée par cette population sur une période de temps donnée, et de pouvoir évaluer dans ce cadre l'impact d'une évolution technologique ou d'architecture.

Permettez-moi de revenir quelques instants sur les éléments qui ont sous-tendu ces études. La diapositive indiquant que les puissances émises dépendent des technologies montre que, pour une même activité voix, l'activité du GSM et celle de l'UMTS ont, en termes de puissances émises, donc de rayonnements au niveau du cerveau, des comportements significativement différents. En effet, avec la technologie GSM, le mobile en mouvement se remet à une puissance maximale chaque fois qu'il se connecte à une nouvelle station de base, ce qui n'est pas le cas pour l'UMTS qui, pour des raisons inhérentes à la gestion du bruit, émet cinquante fois moins que le GSM. Cela a des conséquences en termes d'exposition du cerveau aux ondes. Ces éléments sont pris en compte dans les études épidémiologiques. Par exemple, dans le cadre des études Interphone et Mobi-Kids, auxquelles je contribue, l'analyse du système utilisé par les individus, UMTS ou GSM, est cruciale, puisque l'exposition est significativement moindre dans un cas que dans l'autre. Des technologies en pleine évolution, telles que la voix sur IP, vont aussi réduire fortement les puissances émises. Les études menées récemment montrent que la puissance émise en utilisant la voix sur IP peut être réduite d'un facteur dix.

Le deuxième élément à prendre en compte est qu'il existe une forte corrélation entre les émissions des points d'accès et celles des équipements personnels. Lorsqu'un mobile se rapproche d'une antenne relais, il réduit sa puissance, ce qui correspond à la même logique que celle qui fait que, lorsque l'on se rapproche d'une personne, il n'est pas nécessaire de crier pour être entendu. La réduction de la distance au point d'accès induit donc une réduction de la puissance émise par le mobile, et bien évidemment une augmentation de la puissance reçue. Le bénéfice, en termes de réduction de la puissance émise, est très significatif par rapport à l'augmentation de la puissance reçue. Ainsi, la densification des réseaux est une option permettant de réduire les puissances émises par les équipements personnels, et d'obtenir des débits plus élevés. Les études qui vous sont présentées sur les transparents ont été menées dans la ville d'Amsterdam : elles montrent que les puissances émises et le débit sont très améliorés par l'utilisation de small cells, par rapport aux macro-cells, c'est-à-dire aux antennes relais présentes sur les toits. On remarque, par ailleurs, que le champ, en volts par mètre, augmente à proximité des small cells, mais de manière relativement faible. Ainsi, les niveaux de champ émis s'ajoutent aux champs macro existants, mais n'ajoutent pas d'exposition très importante. En revanche, les puissances émises par les mobiles peuvent être divisées au moins par dix.

Le dernier élément sur lequel je souhaitais intervenir concerne les futures antennes « Massive-MiMo ». Cette technologie va permettre de disposer d'antennes ayant des directions de faisceaux variables, ce qui donnera la possibilité de diriger le faisceau de l'antenne vers les utilisateurs. Ainsi, le niveau de champ émis par l'antenne va peut-être s'avérer un peu plus important, mais le bénéfice résidera dans le fait que le gain obtenu de l'antenne relais vers le mobile va permettre de diminuer fortement les puissances émises par les mobiles. Les études sur les impacts des Mi-Mo sont actuellement en cours. Aucun système n'existe pour l'instant à grande échelle. Tout l'enjeu va être de voir comment évaluer les variations des expositions descendantes et montantes.

Merci beaucoup, professeur Wiart. Si je récapitule, il apparaît qu'au fur et à mesure du renouvellement des technologies de communication mobile, on parvient à diminuer de façon très importante le niveau d'exposition des usagers. Il en va de même si l'on travaille à la mise en place de réseaux plus denses, avec des relais de plus faible puissance.

Pr Joe Wiart. - Effectivement, la tendance actuelle est, pour assurer un meilleur débit et permettre aux utilisateurs de se servir plus efficacement des systèmes de télécommunication, de concevoir des systèmes émettant de manière beaucoup plus optimisée. Le paramètre qu'il importe également de considérer, et qui est l'enjeu majeur des études épidémiologiques, est l'augmentation de la durée d'utilisation. La voix sur IP va, par exemple, nous permettre de réduire le niveau d'exposition ; mais les gens travaillent aussi avec le téléphone dans la main, pour recevoir et envoyer des fichiers. L'ensemble des usages évolue, et il faut en tenir compte. L'exposition globale correspond ainsi à l'analyse de toutes ces utilisations cumulées, auxquelles s'ajoute l'émission des infrastructures supportant ces usages.

Y a-t-il des questions ou des remarques ?

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