Intervention de Cédric Villani

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Je crois me souvenir que le R de ALARA renvoie à « reasonably », terme guère plus précis que le « substantiellement » que vous évoquiez voici quelques instants.

Je vous propose à présent d'ouvrir, avec le professeur Suat Topsu, une page plus prospective. Professeur de physique atomique à l'université Paris-Saclay, il est l'un des créateurs de la technologie LiFi (Light fidelity) et fondateur de la start-up Oledcomm. Cette technologie, développée dès 2005 au sein du laboratoire d'ingénierie des systèmes de Versailles, utilise la lumière comme moyen de transmission, et se veut une alternative aux omniprésents réseaux wifi.

Pr Suat Topsu, professeur de physique atomique, université Paris-Saclay, inventeur de la technologie LiFi : Le LiFi, la lumière intelligente qui sait vous connecter sans onde radio. - À l'origine, je ne suis absolument pas spécialiste en télécommunications, et me suis retrouvé dans ce domaine un peu par hasard.

Tout a commencé en 2005, au début du marché de l'Internet des objets, lorsqu'un équipementier français a voulu faire communiquer des voitures. Ce souhait coïncidait avec le début d'un nouveau type d'éclairage, devenu aujourd'hui un standard, l'éclairage LED. Lorsqu'il avait alors été question d'installer du Wifi pour faire communiquer les voitures, le sujet de la dangerosité des ondes n'était pas aussi fort qu'aujourd'hui. J'avais, malgré tout, émis des réserves, et proposé d'utiliser plutôt la LED, nouveau composant disposant d'une capacité à s'allumer et s'éteindre très rapidement. L'idée était alors de faire du morse optique, des millions de fois par seconde, afin de transmettre des données avec de la lumière.

En 2009, nous avons sorti le premier phare de voiture capable de communiquer avec un autre véhicule et l'infrastructure. En 2010, nous avons, avec d'autres chercheurs, créé un standard international, mondialement reconnu depuis novembre 2011. Les premiers déploiements de cette technologie ont eu lieu en 2012. Entre temps, la LED est entrée dans les maisons, et nous avons commencé aussi à déployer cette technologie dans des sites, comme des musées par exemple, en faisant en sorte que le dispositif qui éclaire l'oeuvre transmette des données vers les tablettes des visiteurs, ou encore dans des hôpitaux, comme celui de Perpignan, qui connaissait des densités de puissance de l'ordre de six volts, voire plus à certains endroits, et souhaitait réduire cette exposition, essentiellement en raison des risques d'interférences entre appareils. Même si la France est pionnière dans ce domaine, cette technologie ne se limite pas au territoire national, et a été adoptée mondialement. Le LiFi est maintenant déployé par plusieurs centaines d'entreprises dans le monde. Nous sommes évidemment au début de cette technologie, et une maturation reste à faire. Il faut également que le procédé soit compatible avec les éléments en cours de discussion.

Le lien avec le sujet qui nous intéresse ce matin tient à ce que l'utilisation exclusive de la lumière fait que le système n'émet aucune onde radio. Nous avons été contactés très rapidement par des personnes électro-sensibles, qui souhaitaient trouver une alternative au Wifi dans leur maison ; c'est d'ailleurs ainsi que j'ai découvert le sujet. Je ne suis pas, personnellement, électro-sensible ; malheureusement, serais-je tenté de dire, car pour se défendre de quelque chose, encore faut-il détecter la chose en question. Je pense qu'aujourd'hui les personnes se déclarant électro-sensibles doivent être considérées comme des indicateurs, et doivent nous pousser à nous interroger sur l'effet potentiel des technologies faisant intervenir les ondes électromagnétiques.

Pour moi, la principale difficulté réside dans la confusion autour du terme « exposition ». Le débat et les recherches scientifiques ne doivent pas se limiter à la puissance, mais prendre en compte les énergies absorbées par le corps humain. Le problème est que les expériences visant à quantifier l'énergie absorbée par le corps humain sont très peu reproductibles, d'où une incertitude sur les résultats et les protocoles. Pour obtenir les bonnes réponses, il importe de poser les bonnes questions. Les ondes radio sont-elles dangereuses ? La réponse est clairement affirmative. Pour s'en convaincre, il suffit de considérer l'exemple du micro-onde, qui chauffe nos plats par des ondes à 2,4 gigahertz, sachant que nous sommes nous-mêmes composés à 70 % d'eau. La question n'est pas de savoir si les ondes radio sont dangereuses, mais quel est le seuil auquel on peut exposer les gens sans risque. On tombe alors dans un débat sans fin, qui n'a, selon moi, pas encore atteint son apogée, pour la simple raison que nous sommes une génération de transition, qui a grandi sans téléphone portable ni tablette, et dont le temps d'exposition global est encore, par conséquent, relativement faible. S'ajoute à cela le fait que les effets de l'exposition n'interviennent qu'à très long terme. C'est donc la prochaine génération qui nous dira si les ondes radio sont dangereuses, ou pas, dans la durée.

L'Internet des objets constitue aujourd'hui, pour moi, la préoccupation majeure. Toutes les études scientifiques indiquent que cinquante à quatre-vingt milliards d'objets connectés seront en circulation d'ici 2020 ou 2025, soit environ douze par personne. Or, ces objets vont être connectés en utilisant du Bluetooth, du Zigbee, du Lora, c'est-à-dire des technologies à 2,4 gigahertz. Lorsque l'on utilise un téléphone portable pendant cinq heures dans la journée, l'énergie emmagasinée correspond à la puissance du téléphone multipliée par cinq heures. Mais avec le déploiement massif des objets connectés, le temps d'exposition va exploser, et l'énergie absorbée sera d'autant plus importante.

Le LiFi offre aujourd'hui des solutions technologiques non pas pour supprimer les ondes radio, ce qui est impossible, car on en aura toujours besoin, mais simplement pour diminuer l'énergie absorbée, c'est-à-dire notre temps d'exposition aux ondes radio. Il faudra, comme je l'expliquais précédemment, une génération pour évaluer les effets. Or, le problème est que cette génération cobaye sera celle de nos enfants ou petits-enfants, d'où l'intérêt d'appliquer un principe de prévention, en utilisant les technologies telles que le LiFi, et en incitant les chercheurs à en trouver d'autres. Il convient, en outre, de se mettre d'accord sur une densité de puissance radio à laquelle on peut soumettre les individus, en veillant à ce que même s'ils vivent 90 ans, l'énergie emmagasinée reste en-deçà des seuils auxquels le corps peut y être sensible.

Merci beaucoup, professeur Suat Topsu, pour cette présentation très éclairante. Nous allons à présent passer la parole aux associations, qui ont déjà eu l'occasion d'intervenir au fil des débats. Nous accueillons tout d'abord Mme Jeanine Le Calvez, pour l'association PRIARTEM.

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