Je reviendrai tout à l'heure sur la définition de la notion d'« effets avérés ».
Poursuivant mon bref rappel de l'historique de ces normes, je souligne que le texte fondateur, en la matière, est la recommandation européenne du 12 juillet 1999, fruit d'un processus initié en 1994, lorsque le Parlement européen avait saisi la Commission européenne d'une demande de propositions de normes de protection des populations. En 1998, la Commission avait adressé au Parlement une proposition calquée sur les recommandations de l'ICNIRP, qui venaient d'être éditées. Le Parlement avait alors nommé un groupe de travail, présidé par un député italien, par ailleurs chercheur en biologie, M. Gianni Tamino. Ce groupe a rendu un rapport très critique vis-à-vis de la proposition transmise par la Commission, lui reprochant notamment de n'avoir tenu compte que d'une partie de la littérature scientifique, alors disponible sur le sujet, et d'avoir laissé de côté toutes les publications ne concernant pas les effets thermiques, et demandait par conséquent à la Commission de revoir sa copie. Or, cette dernière, sans tenir compte de ce rapport, a publié, sans rien y changer, sa recommandation, souvent présentée depuis lors comme normative au même titre qu'une directive. Je rappelle qu'une recommandation n'a aucun caractère normatif, et n'oblige pas à une transposition en droit national. Nous aspirons, pour notre part, à une réglementation plus protectrice, tandis que les opérateurs souhaitent la transcription de cette recommandation en droit français telle quelle.
Le décret du 3 mai 2002 a été publié, suite à un parcours réglementaire erratique. Il intervient dans le prolongement d'une loi d'habilitation de janvier 2001, dans laquelle les problèmes d'exposition aux champs électromagnétiques n'apparaissaient quasiment pas, d'une ordonnance de juillet 2001, et enfin d'une circulaire interministérielle du 16 octobre 2001, qui se base sur un décret qui n'existe pas. Un arrêté ministériel a ensuite été pris, en novembre 2001, se référant à ce même décret inexistant. Enfin, le décret du 3 mai 2002 reprend les valeurs proposées par la recommandation européenne, elle-même directement inspirée des guidelines de l'ICNIRP. Ce décret introduit en fait une incohérence réglementaire, au regard d'une directive européenne de 1989 sur la compatibilité électromagnétique, transposée en droit français en 1992, et régulièrement actualisée ensuite.
Depuis lors, alors même que les conditions des expositions se sont profondément modifiées, que les fréquences et les signaux auxquels nous sommes exposés ont beaucoup évolué, que les expositions chroniques sont de plus en plus précoces, rien n'a changé dans notre réglementation, hormis la timide prise en compte des points atypiques, introduits dans la loi Abeille de 2015. La réglementation applicable actuellement date ainsi de seize ans, et a été élaborée dans un contexte bien différent de celui auquel nous sommes soumis aujourd'hui.
Les normes produites par l'ICNIRP, qui vont apparemment être confirmées, sont remises en question au niveau international, par un certain nombre de groupes de scientifiques.
Le premier rapport du groupe BioInitiative préconisait ainsi, en 2007, une valeur limite à 0,6 volt par mètre, actualisée en 2012 à 0,1 volt par mètre.
La résolution 1815 du Conseil de l'Europe, datant de 2011, indiquait la valeur de 0,6 volt par mètre, et proposait de descendre à terme à 0,2 volt par mètre.
Enfin, les guidelines d'EUROPAEM, publiées en 2016, proposent des normes bien plus basses, de 0,2 volt par mètre de jour, 0,06 volt par mètre de nuit, et 0,02 volt par mètre pour les populations sensibles.
On se situe donc là dans des ordres de grandeur bien différents de ceux qui prévalent dans la réglementation en vigueur, puisque l'on va de 0,02 volt par mètre dans un cas jusqu'à 61 volts par mètre dans l'autre. Pourquoi de telles différences ? De fait, on ne parle pas de la même chose.
Le décret fonde explicitement ce qu'il est convenu d'appeler les restrictions de base sur les effets avérés des champs électromagnétiques. Il est ainsi indiqué, dans la présentation du décret, que « les restrictions concernant l'exposition à des champs électriques, magnétiques et électromagnétiques variables dans le temps, qui sont fondées directement sur des effets avérés sur la santé et des considérations biologiques, sont qualifiées de ? restrictions de base ? ». Il s'agit essentiellement, comme nous l'avons vu, des effets thermiques, alors même que la littérature scientifique dans ce domaine porte surtout sur des effets non thermiques.
Mais l'essentiel réside dans le fait qu'avec ce concept d'effets avérés, le décret est aujourd'hui contraire au principe constitutionnel de précaution, dont l'AFSSET donnait la définition suivante dans son rapport de 2009 : « Le principe de précaution est destiné à prendre en charge des situations où le risque, compte tenu des connaissances du moment, n'est pas avéré, mais seulement suspecté. Rien n'est donc plus éloigné de la démarche de précaution que le fait d'attendre d'obtenir des certitudes scientifiques au sujet d'une menace pour adopter des mesures visant à la prémunir ». En se fondant exclusivement sur des effets avérés, ce décret est donc contraire à l'application du principe constitutionnel de précaution.
Il est également contraire au principe de sobriété électromagnétique, inscrit dans la loi du 25 janvier 2015, qui veut que soit toujours recherché le niveau le plus bas d'exposition. Or, en fixant des normes élevées, on s'éloigne nécessairement de la poursuite de cet objectif de sobriété.
Nous disposons, par ailleurs, des recommandations de l'Anses, qui avait, dès son avis de 2009 (l'Agence s'appelait alors AFSSET), recommandé de réduire les expositions, préconisation réitérée dans un avis de 2013. Dans un avis de 2016, à propos des enfants, l'Anses avait été beaucoup plus explicite, puisqu'elle avait alors recommandé de « reconsidérer les valeurs limites d'exposition réglementaires et les indicateurs d'exposition ». Il s'agit là d'une remise en cause essentielle des fondements du décret.
Il y a urgence à agir pour les personnes qui souffrent, mais aussi pour les enfants, exposés de plus en plus tôt, dès la période utérine.
Nous demandons, dans l'esprit des deux principes précités de précaution et de sobriété, l'abrogation du décret de 2002, et l'inscription du principe ALARA dans notre droit. Ce principe est fondé sur les trois dimensions suivantes : je n'expose que si j'y suis contraint, ce qui inverse la charge de la preuve par rapport aux antennes relais, j'applique une valeur cible la plus basse possible, et je recherche des solutions pour être toujours en-deçà de celle-ci. Son application permettrait de respecter les principes de précaution et de sobriété, tout en autorisant le développement de la téléphonie mobile et des activités connexes, de façon sensée et raisonnable.
J'ai gardé pour la fin de mon exposé la photo d'un chalet situé tout près d'une antenne relais, dans lequel, je pense, personne ne voudrait vivre. Il appartient à une personne électro-sensible, qui n'arrive plus à y vivre, mais ne parvient pas à le vendre, car ce bien est devenu invendable, en raison de la présence de l'antenne.
Je voudrais, pour conclure, attirer l'attention des élus sur le fait qu'est actuellement en débat à l'Assemblée nationale le projet de loi dit ELAN, dont une disposition est complémentaire de l'accord entre l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et les opérateurs, qui vise à favoriser et faciliter un déploiement massif et rapide de nouvelles antennes relais, afin de supprimer les zones blanches, sans que n'y soit formulée aucune contrainte, ni de distance, ni de respect du problème des points atypiques.