Intervention de Catherine Gouhier

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 31 mai 2018 à 9h30
Quelle prise en compte de l'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques — Compte rendu de l'Audition publique du 31 mai 2018

Catherine Gouhier, présidente, Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants (CRIIREM) :

Je serai brève, dans la mesure où Mme Jeannine Le Calvez a parfaitement décrit l'historique de la réglementation actuelle. Le rapport de la commission Tamino, auquel elle a fait allusion, est un texte fondateur pour le CRIIREM, puisqu'il s'agit du premier document différenciant les effets thermiques et les effets dits spécifiques, ou biologiques. Cette commission avait même fixé des niveaux et demandé d'abaisser la norme à 0,25 microtesla pour les émissions basse fréquence (EBF), et à 1 volt par mètre pour l'ensemble des fréquences radioélectriques, ce qui correspond, pour les hautes fréquences de la téléphonie mobile, à environ 0,6 volt par mètre. M. Paul Lanoie, député européen à l'époque et membre du CRIIREM et de son conseil scientifique pendant longtemps, avait fait partie de cette commission, et nous a, à de nombreuses reprises, raconté comment s'était passé le travail, les scientifiques audités, et les nombreuses études qui avaient conduit la commission à formuler cette proposition de normes.

Aujourd'hui, nous sommes soumis au décret du 3 mai 2002, et aux valeurs limites citées par Mme Jeannine Le Calvez.

Il convient, toutefois, de prendre également en compte la question de la compatibilité électromagnétique. J'ai été auditionnée, l'an dernier, par l'une des commissions de l'Anses sur ce sujet. J'avais alors souligné que l'on avait découvert les émissions des lampes basse consommation parce qu'une personne porteuse d'un pacemaker avait constaté des dysfonctionnements de ce dernier, sans que son cardiologue ne parvienne à trouver d'explication. Une hypothèse avait alors été formulée, selon laquelle pourraient agir sur ce pacemaker des antennes relais, situées à une centaine de mètres de l'habitation de cette personne. Le CRIIREM, organisme indépendant, avait été sollicité pour réaliser des mesures sur site. Les niveaux de champ constatés étaient visiblement beaucoup trop faibles pour avoir un quelconque effet sur le pacemaker. En entrant chez la personne, et en allumant la lumière, nous avions observé que la sonde à large bande montait à un niveau de champ très élevé, de l'ordre d'une trentaine de volts par mètre, puis diminuait jusqu'à se stabiliser à une douzaine de volts par mètre. La première idée pour expliquer le phénomène a été de penser que les antennes relais, peut-être inactives auparavant, entraient soudain en activité, bien que l'on en soit un peu loin pour atteindre de tels niveaux. Près de la fenêtre, le niveau diminuait. Or, lorsque je me trouvais sous la lampe, le niveau redevenait élevé. Nous avons refait la manipulation, avec les mêmes résultats.

La compatibilité électromagnétique ne relève donc pas du rêve. Il s'agit d'un élément technique, pratique, qui peut faire dysfonctionner des appareils, notamment du matériel médical. Depuis, nous avons reçu, par exemple de la part de personnes vivant juste au-dessus d'un transformateur Enedis, des témoignages concernant des problèmes rencontrés avec du matériel de correction auditive. Le CRIIREM est, par ailleurs, de plus en plus sollicité pour effectuer des mesures par des entreprises situées près d'antennes relais, et rencontrant des dysfonctionnements notamment de leur matériel informatique. Le seuil limite pour la compatibilité électromagnétique est de 3 volts par mètre. Ainsi, les humains sont protégés au minimum à 41 volts par mètres, alors que le matériel électronique l'est à 3 volts par mètre.

Qui, par ailleurs, vérifie l'application de cette norme NF 61000, qui est à l'origine une norme européenne traduite en droit français ? Il s'agit d'une norme que personne, à part nous, ne prend en compte. L'ANFR ne fait, par exemple, pas partie du protocole de mesure. Cette situation pose problème, car nous ne devrions pas être les seuls à effectuer ce travail. Il s'agit, selon nous, d'une norme qu'il faut absolument mettre en application.

Je souhaiterais aussi intervenir sur la question de la puissance des appareils. Le CRIIREM effectue notamment un important travail sur les bornes Wifi, dont la puissance est beaucoup trop élevée pour les besoins des entreprises, comme des particuliers. Nous avons ainsi travaillé avec des banques, de grosses entreprises, comme Isover, où nous sommes parvenus à diviser par trois le nombre de bornes. Tout le monde est satisfait, car le Wifi fonctionne toujours, tandis que le niveau d'exposition des employés est fortement réduit. Dans la plupart des cas, nous avons été amenés à effectuer ces interventions car une personne de l'entreprise s'était déclarée électro-hypersensible, et avait alerté sa hiérarchie, qui avait à son tour sollicité le CRIIREM, seul organisme à effectuer ce type de mesure.

Je reviendrai pour conclure sur le sujet des EHS. J'ai été très surprise de ne pas voir citées, dans le rapport de l'Anses, les consultations mises en place en 2009 par la ministre de la santé de l'époque, Mme Roselyne Bachelot, dans le cadre du Grenelle des ondes. Ces vingt-quatre centres de médecine professionnelle et environnementale, basés dans des Centres hospitaliers universitaires (CHU), et répartis sur l'ensemble du territoire national, reçoivent chaque année de nombreuses personnes, chez lesquelles est posé un diagnostic d'électro-hypersensibilité. Un questionnaire, élaboré par des universitaires de Liège, a été distribué à tous les médecins travaillant dans ces centres, et sert de base à la consultation. Il faut savoir qu'il faut aujourd'hui plus de six mois pour obtenir un rendez-vous, ce qui donne une idée du nombre de personnes concernées. Nous ne souscrivons ainsi absolument pas à l'idée selon laquelle le nombre de personnes EHS stagnerait. Les médecins qui reçoivent toutes ces personnes disposent d'une expérience extraordinaire du phénomène : pourquoi n'en est-il pas fait mention dans le rapport de l'Anses ? Il s'agit, selon nous, d'un élément très important, sur lequel il faut absolument travailler.

Lorsqu'une personne est diagnostiquée EHS, elle peut se tourner vers la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH), qui va déclarer la situation de handicap. La personne, qui bien souvent avait arrêté de travailler, et renoncé à toute vie sociale, peut alors demander à son employeur de faire appel au CRIIREM, pour que des mesures et des préconisations soient faites sur son lieu de travail. Très souvent, ceci permet à la personne EHS de reprendre une activité professionnelle. Ceci s'accompagne par ailleurs de modifications dans l'environnement privé, avec par exemple l'installation de filtres sur les vitres, la pose de peintures spéciales, ou la mise en oeuvre d'autres technologies permettant de se protéger.

Toutefois, le but n'est pas d'agir individuellement, même si nous tentons d'aider chacune de ces personnes à retrouver une vie sociale et professionnelle. Il faut aller beaucoup plus loin. Je relaie donc la demande de Mme Jeannine Le Calvez, et demande, au nom du CRIIREM, une révision sérieuse des normes, prenant en compte tous ces phénomènes, notamment la compatibilité électromagnétique et les effets spécifiques, athermiques, dont nombre de personnes aujourd'hui commencent à présenter des symptômes.

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