Intervention de Jacqueline Eustache-Brinio

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 18 juillet 2018 à 9h40
Proposition de loi renforçant la lutte contre les rodéos motorisés — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jacqueline Eustache-BrinioJacqueline Eustache-Brinio, rapporteur :

Nous sommes aujourd'hui saisis d'une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les rodéos motorisés, déposée par M. Richard Ferrand et plusieurs députés en mai dernier et adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 4 juillet dernier. Une proposition de loi comportant des dispositions quasiment identiques a été déposée au Sénat par notre collègue Vincent Delahaye et des sénateurs issus de plusieurs groupes politiques, ce qui témoigne d'un large consensus. Je ne doute pas que nous réussirons, au sein de notre commission, à trouver un accord sur cette problématique qui constitue à la fois un enjeu important d'ordre public et un enjeu de qualité de vie pour certains de nos concitoyens.

Les rodéos motorisés constituent, depuis quelques années, un véritable fléau dans certains quartiers : outre la nuisance sonore importante qu'ils créent pour les riverains, ils sont l'une des formes les plus nuisibles et les plus dangereuses de la délinquance routière, dont les conséquences se sont malheureusement révélées, dans plusieurs cas, dramatiques. Le phénomène, loin d'être isolé, connaît une progression inquiétante depuis quelques années : alors que les rodéos se pratiquaient à l'origine surtout dans les zones urbaines, ils s'étendent de plus en plus aux périphéries des villes, mais aussi, dans une moindre mesure, aux zones rurales.

Selon les données qui m'ont été communiquées par le ministère de l'intérieur, 8 700 rodéos ont été constatés par les forces de police sur le territoire national au cours de l'année 2017. Pour ce qui concerne la gendarmerie, 6 614 interventions pour des rodéos motorisés ont été réalisées en 2017, contre 5 335 en 2016, soit une augmentation de près de 24 % en un an.

Pour lutter contre ce phénomène en pleine expansion, notre arsenal législatif se révèle, dans la pratique, bien pauvre. Il serait erroné de dire que rien n'existe, mais les outils dont nous disposons actuellement sont soit difficiles à mettre en oeuvre, soit insuffisamment dissuasifs. Il est ainsi possible de retenir à l'encontre des auteurs de rodéos la mise en danger de la vie d'autrui. Ce délit, puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, demeure toutefois difficile à mettre en oeuvre dans la pratique : les forces de l'ordre peinent à prouver l'existence d'un risque réel et immédiat pour la sécurité d'autrui. Il est, par exemple, peu probable qu'un juge reconnaisse l'existence d'un risque qualifié pour autrui pour des runs organisés de nuit, sur un parking, alors qu'aucune personne ni aucun piéton ne circulait sur la voie publique. Or de telles pratiques n'en sont pas moins dangereuses et sont sources d'importantes nuisances. Les auteurs des rodéos sont donc, dans la majeure partie des cas, punis par de simples contraventions, par exemple pour absence de casque ou circulation à vitesse excessive. Mais ces sanctions sont peu dissuasives et ne permettent pas de réprimer les comportements à la hauteur du risque qu'ils engendrent.

Ces raisons ont conduit plusieurs de nos collègues députés et sénateurs à déposer, au cours des dernières années, des propositions de loi visant à renforcer les outils juridiques. Aucune n'a toutefois abouti à ce jour, malgré les fortes attentes des élus locaux, en particulier des maires qui sont, chaque jour, confrontés à ces comportements dangereux.

Dans la continuité de ces initiatives, la proposition de loi dont nous sommes saisis vise à apporter une réponse spécifique et efficace à la problématique des rodéos motorisés. Le dispositif prévu s'articule autour de trois volets.

En premier lieu, la proposition de loi crée un délit spécifique de participation au rodéo motorisé, qui serait sanctionné d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, si deux conditions sont réunies : d'une part, la pratique de manoeuvres délibérées et intentionnelles constituant des violations particulières en matière de sécurité ou de prudence prévues par le code de la route ; d'autre part, l'existence d'un risque pour la sécurité des usagers de la route ou d'un trouble à la tranquillité publique. Plusieurs circonstances aggravantes sont prévues lorsque les faits sont commis en réunion, sous l'empire d'un état alcoolique ou de stupéfiants ou sans être détenteur d'un permis de conduire adapté. Ce dernier point a été ajouté par l'Assemblée nationale et me semble essentiel. Les peines peuvent alors atteindre, au maximum, cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende.

Tant la chancellerie que le ministère de l'intérieur ont souligné, lors des auditions, l'intérêt de créer un délit autonome : celui-ci permettra en effet de réprimer de façon expresse la participation aux rodéos, tout en prévoyant des peines appropriées, dissuasives et donc plus efficaces. En outre, le fait de réprimer les rodéos en matière correctionnelle permettra aux forces de l'ordre de bénéficier de nouveaux outils d'enquête et, en particulier, de placer les individus interpellés en garde à vue.

En second lieu, la proposition de loi vise à mieux réprimer l'organisation et la promotion des rodéos motorisés, ainsi que l'incitation directe à y participer, qui seraient punis de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Il s'agit de prévenir, en amont, l'organisation des rodéos motorisés.

Enfin, la proposition de loi prévoit plusieurs peines complémentaires encourues par les auteurs du délit de participation à un rodéo ainsi que par les auteurs du délit d'organisation ou d'incitation. Parmi celles-ci figurent, notamment, la confiscation obligatoire du véhicule - cette mesure répond à une forte attente des maires -, à laquelle le juge pourra certes déroger, mais uniquement par une décision motivée, ainsi que la suspension, voire l'annulation du permis de conduire. Ces peines complémentaires sont au coeur du dispositif, car elles sont de véritables leviers pour lutter contre la récidive.

Au cours des auditions que j'ai organisées, j'ai constaté parmi les acteurs concernés un large consensus sur le dispositif proposé. Jugé utile, ce dispositif devrait en effet permettre de renforcer la répression à l'encontre des individus organisant ou participant à ces rodéos et d'exercer un réel effet dissuasif grâce à des peines élevées. Les nouveaux délits créés apparaissent facilement caractérisables, ce qui est une garantie de l'opérationnalité et de l'efficacité du dispositif.

Pour ces raisons, je n'ai pas souhaité vous proposer d'amendements au texte adopté par l'Assemblée nationale. Il me semble par ailleurs indispensable que ces dispositions puissent entrer en vigueur au plus vite.

Toutefois, il serait naïf de croire que cette évolution législative, bien que nécessaire, sera suffisante pour éradiquer rapidement le phénomène. Une des difficultés rencontrées par les forces de l'ordre est en effet celle d'interpeller les individus, qui prennent généralement la fuite dans des conditions particulièrement dangereuses. Il m'a d'ailleurs été rapporté que les policiers et les gendarmes avaient pour consigne de ne pas poursuivre les individus en fuite, pour des questions de sécurité. Or, sans interpellation, l'action du législateur restera lettre morte.

C'est pourquoi cette proposition de loi devra, me semble-t-il, être accompagnée d'une véritable réflexion sur les moyens à engager pour renforcer l'interpellation des individus concernés. Je pense, notamment, au recours à la vidéoprotection, qui permet d'interpeller a posteriori les individus participant à un rodéo. Plusieurs autres mesures de nature réglementaire pourraient également être prises par le Gouvernement pour compléter ces moyens ; je pense, par exemple, à un durcissement de la réglementation concernant l'acquisition et la mise en circulation des véhicules dits non soumis à réception qui, bien que non autorisés à circuler sur la voie publique, sont généralement utilisés dans le cadre des rodéos. Nous pourrons évoquer ces pistes avec le ministre en séance publique et lui demander des engagements en la matière.

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