Intervention de Gérard Collomb

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 juillet 2018 à 14h30
Audition de la fédération de force ouvrière fo organisation professionnelle de policiers

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur :

J'ai longtemps siégé dans cette commission des lois et je ne pensais pas y revenir dans de telles circonstances ! Mais l'on se fait à tout...

Je tiens d'abord à vous dire ma volonté d'apporter au Sénat, comme je l'ai fait hier à l'Assemblée nationale, tous les éléments susceptibles de l'éclairer sur l'objet de cette mission. Je condamne avec la plus grande fermeté les actes auquel s'est livré M. Benalla le 1er mai dernier, qui sont inacceptables et contraires à mes valeurs. Notre objectif est donc le même : la transparence et la vérité. Il n'appartient à personne, en dehors des forces de sécurité, de gérer l'ordre public.

Ce 1er mai aurait pu être axé sur les revendications syndicales, mais un certain nombre d'individus en avaient décidé autrement. Dès le début de la manifestation, un avant-cortège se forme, plus important que le cortège lui-même, et comportant 1 200 Black Blocs encagoulés, qui traversent le pont d'Austerlitz et gagnent le boulevard de l'Hôpital où ils se livrent à un déferlement de violence, saccageant plusieurs commerces, notamment un McDonald's et un concessionnaire automobile. Tous les Français ont encore à l'esprit ces images d'une violence inouïe. Grâce à un dispositif de maintien de l'ordre important, mobilisant 1 500 policiers et gendarmes, la progression des fauteurs de troubles est stoppée, mais une partie d'entre eux poursuivent la casse place de la Contrescarpe. Leur projet était d'aller jusqu'au commissariat du 13ème arrondissement, que nous venions d'inaugurer, pour l'incendier.

À 19 h 30, je me trouve à la préfecture de police pour faire le point sur les événements de la journée avec le préfet de police, dans son bureau. Nous gagnons ensuite ensemble la salle de commandement pour suivre les affrontements, qui se poursuivent alors place de la Contrescarpe. Nous saluons la quarantaine de personnes présentes, parmi lesquelles se trouvait M. Benalla, dont je pensais alors qu'il était un policier chargé de la sécurité du président. Je l'avais croisé pendant la campagne présidentielle, mais toujours parmi des dizaines de personnes chargées de la sécurité du candidat : policiers, agents de sécurité, service d'ordre d'En Marche... M. Gibelin et son adjoint me présentent le dispositif, puis nous fixons notre attention sur les écrans car les violences continuent, avec utilisation de mobilier urbain pour tenter d'ériger des barricades. Des interpellations sont toujours en cours, notamment dans le secteur de la Contrescarpe : sur les 276 interpellations du jour, 31 ont lieu sur la seule place de la Contrescarpe.

Les opérations terminées, je rentre à Beauvau puis, à 23 heures, je me rends avec le Premier ministre et le préfet de police au commissariat du 13ème arrondissement de Paris. Nous saluons les troupes présentes et discutons avec elles sur les événements de la journée.

Le lendemain matin 2 mai, dès 7 h 30, je participe à l'émission « Les quatre vérités » sur France 2, où j'ai l'occasion de revenir sur les événements de la veille et sur leur gestion par les forces de l'ordre. À 8 h 30, revenant de cette émission, je préside une réunion d'État-major avec les principales directions du ministère. Nous évoquons les événements qui ont émaillé le 1er mai. Au moment où l'ordre du jour concernant le 1er mai est épuisé, je laisse la présidence à mon directeur de cabinet et vais m'entretenir avec la directrice de la police judiciaire et le directeur général de la sécurité intérieure pour faire un point sur la menace terroriste. Je ne croise donc pas le préfet de police à la réunion d'État-major, où il est représenté par ses collaborateurs, mais je lui fais savoir que je souhaite me rendre avec lui boulevard de l'Hôpital pour me rendre compte par moi-même de l'itinéraire emprunté par la manifestation et de la façon dont la manoeuvre a été effectuée, et aussi pour évaluer les dégâts.

Nous nous entretenons avec les commerçants, qui nous racontent des faits d'une extrême violence. En particulier, le concessionnaire qui avait vu ses voitures incendiées nous indique avoir eu très peur. Le préfet de police leur dit qu'ils vont être indemnisés dans les meilleurs délais. À ce moment, ni le préfet de police ni mon cabinet ne m'ont encore informé de l'existence d'une vidéo montrant des violences contre les manifestants place de la Contrescarpe. Après un déjeuner avec un membre de ma famille dans un restaurant de la rue de Lille, je retourne au ministère vers 15 heures.

C'est là que mon directeur et mon chef de cabinet m'apprennent l'existence de la vidéo montrant les violences commises par M. Benalla. J'apprends alors que ce dernier n'est pas, comme je le pense, policier, mais chargé de mission à l'Élysée et qu'il se présente comme le chef de cabinet adjoint du Président de la République. Mon directeur de cabinet m'assure alors que le directeur de cabinet du Président de la République, c'est-à-dire le supérieur hiérarchique de M. Benalla, et le préfet de police connaissent les faits. Ils s'en sont entretenus ensemble et le directeur de cabinet du Président de la République lui a confirmé dans la soirée qu'il considérait les actes de M. Benalla comme inacceptables et qu'une sanction disciplinaire allait être prise.

J'apprendrai beaucoup plus tard, le 21 juillet, que le préfet de police avait fait rédiger une note technique sur les faits, qu'il a reconnu lui-même ne m'avoir jamais transmise. Ce 3 mai, je considère donc que les faits sont pris en compte au niveau adapté et, à partir de ce jour et jusqu'au 18 juillet, je n'entends plus parler de M. Benalla.

Je me concentre sur d'autres événements : gestion, le 3 mai, d'une manifestation de cheminots ; préparation du rassemblement du samedi 5 mai organisé par la France insoumise ; évacuations des facultés de Toulouse-Le Mirail le 9 mai et de Rennes le 14 mai ; deuxième évacuation de Notre-Dame-des-Landes ; et enfin, malheureusement, suites de l'attentat de Paris, qui a fait une victime le samedi 12 mai.

Le 18 juillet, j'apprends vers 15 heures que des journalistes du journal Le Monde préparent un article sur les événements du 1er mai. Le lendemain matin, je prends connaissance des images parues sur les réseaux sociaux montrant que M. Benalla arborait le 1er mai un brassard de police et qu'il détenait une radio. Je demande donc immédiatement qu'on prépare une saisine de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), pour déterminer les conditions dans lesquelles il a pu bénéficier de tels équipements. Puis, j'ai un rendez-vous avec M. Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation pour l'Islam de France, que je prépare avec une de mes conseillères, suivi d'un déjeuner avec des journalistes. À 15 heures, au Sénat, lors des questions au Gouvernement, j'annonce que nous allons saisir l'IGPN. À mon retour, j'apprends que trois policiers de la direction de l'ordre public et de la circulation ont communiqué à M. Benalla les bandes de vidéoprotection des événements place de la Contrescarpe. Nous transmettons ces nouvelles informations à l'IGPN et, le 20 juillet au matin, sur proposition du préfet de police, je suspends les trois policiers concernés.

Voilà la chronologie précise des faits, tels que je les ai vécus.

Certains, après mon audition à l'Assemblée nationale, se sont étonnés que je n'aie pas eu connaissance de certains faits. Les auditions du préfet de police et du directeur de l'ordre public et de la circulation, dans la même journée, ont montré qu'eux non plus, qui pourtant étaient au coeur de la manoeuvre, n'avaient pas été informés de la participation de M. Benalla aux opérations d'ordre public ni de sa venue au centre de commandement de la préfecture de police. Comment, dès lors, aurais-je pu savoir ?

Sur le port d'arme, je confirme que M. Benalla avait sollicité en janvier 2017 de mon prédécesseur une autorisation, qui lui avait été refusée le 12 avril. Le 21 juin 2017, il s'est adressé à mes services pour que sa demande soit réétudiée, requête à laquelle mon cabinet n'avait pas donné suite, considérant que les conditions juridiques n'étaient pas réunies. Ce sont donc les services du préfet de police qui ont finalement délivré à M. Benalla une autorisation de port d'arme le 13 octobre 2017, sans que mon cabinet en ait été informé.

Pour ce qui est de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, je m'en tiens à ce que j'ai dit hier devant l'Assemblée nationale : les ministres de l'intérieur successifs ont évidemment connaissance par les services de renseignement de multiples suspicions ou commissions d'infractions pénales mais, comme mes prédécesseurs, je considère que c'est aux chefs de service, qui sont au plus près du terrain, de recueillir les éléments justifiant un signalement au titre de l'article 40. Je n'ai effectué qu'un seul signalement depuis mon arrivée, et je vous dirai combien mes prédécesseurs en ont fait. Ce signalement concernait la vidéo d'un rappeur appelant au lynchage et au meurtre d'un policier.

Pourquoi n'avoir pas saisi l'IGPN dès le 2 mai ? J'apprends le 2 mai que M. Benalla n'est pas policier, je n'ai donc pas de raisons alors de saisir l'IGPN. Le préfet de police, qui savait, lui, que M. Benalla n'était pas policier, partage cette analyse. Il a réuni ses chefs de service et leur a demandé comment cet homme, qui n'avait aucune permission de sa part pour participer à une mission d'ordre public, y avait participé. Ce n'est qu'après avoir appris que M. Benalla portait indûment un brassard et qu'il détenait une radio de police que je saisis l'IGPN.

Nous devons la vérité aux Français, mais aussi aux forces de l'ordre, dont les membres agissent avec un souci de la déontologie fort et constant.

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