Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, cher Alain Milon, mesdames, messieurs les rapporteurs, Michel Forissier, Catherine Fournier, Frédérique Puissat et Philippe Mouiller, mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption par la commission des affaires sociales du Sénat, jeudi dernier, de la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, motion qui sera présentée dans quelques minutes à cette tribune, m’a fait penser à cette citation de Goethe : « La hauteur nous attire, mais non les degrés qui y mènent ; les yeux fixés sur la lune, nous cheminons volontiers dans la plaine. »
La hauteur, c’est l’objectif commun que nous visons en tant que responsables politiques : lutter efficacement contre la précarité et le chômage de masse, mais aussi contre les discriminations qui en constituent inexorablement le lit.
Parvenir à cette hauteur, c’est rompre avec la résignation à laquelle nous avons cédé collectivement ces trente dernières années. C’est aussi se donner tous les moyens de combattre à la racine les déterminismes de naissance, sociaux ou géographiques. C’est, enfin, établir une société de l’émancipation par le travail et la formation, qui donnera à tous, jeunes, actifs et entreprises, et en conséquence à nos territoires, la capacité de se projeter sereinement dans l’avenir, grâce à des droits nouveaux, garantis par des protections collectives adaptées aux enjeux présents et à venir.
Telle est l’ambition dont est porteur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, texte que j’ai l’honneur de défendre, au nom du Gouvernement, depuis plusieurs mois.
Les dispositions qu’il contient – les degrés qui mènent à la hauteur, comme dit Goethe – sont le fruit d’une méthode pragmatique et résolue, que je tiens à rappeler.
Ce projet de loi est le résultat d’un important travail interministériel, ainsi que de sept mois de concertations et de négociations, de deux accords interprofessionnels conclus entre partenaires sociaux, sur la formation professionnelle et l’assurance chômage, et de trois processus de concertation approfondie, sur l’apprentissage, sur l’égalité entre les femmes et les hommes et le harcèlement sexuel et sur l’accès à l’emploi des personnes en situation de handicap.
Je tiens à saluer de nouveau le travail intense des partenaires sociaux, ainsi que leur volonté d’un agenda social ambitieux à la rentrée ; je veux parler de l’assurance chômage, de la santé au travail, des travailleurs des plateformes et de l’inclusion des plus vulnérables dans l’emploi.
Ces concertations de grande ampleur se sont tenues parallèlement à une cinquantaine de visites et d’échanges avec des acteurs de terrain. En effet, j’ai souhaité partir du terrain, des personnes et des entreprises pour reconstruire les systèmes et donner à nos concitoyens les moyens de réaliser leurs aspirations ; c’est là ma conviction de méthode.
Ma méthode a été la suivante sur chacun des sujets : faire et partager le diagnostic, trouver des solutions pour traiter les causes et pas seulement les symptômes, concerter et négocier ; le quatrième volet va consister à mettre en œuvre et à évaluer.
Les transformations que ce projet de loi comporte reposent, vous le savez, sur trois axes interdépendants et cohérents.
Le premier consiste à créer de nouveaux droits, concrets, facilement mobilisables et adaptés à notre temps, propres à constituer une véritable protection professionnelle, universelle, simple et efficace, au service de l’émancipation individuelle et collective.
Le deuxième axe vise à assurer l’effectivité de ces droits pour le plus grand nombre, ce qui nécessite de lever de nombreux verrous administratifs, réglementaires et financiers.
Enfin, notre troisième axe est l’impératif d’égalité des chances, d’égalité des possibles.
Or, en revenant sur les équilibres internes à ces axes, c’est-à-dire en altérant substantiellement tant la transformation des systèmes de l’apprentissage et de la formation que la réforme de l’assurance chômage, vous avez inévitablement entamé l’ambition de ce texte.
Oui, en adoptant en commission la motion tendant à opposer la question préalable, les degrés dont parle Goethe, vous les avez refusés, en parfaite cohérence, d’ailleurs, avec vos collègues députés Les Républicains, qui ont unanimement voté contre le projet de loi dès sa première lecture.
Ces degrés-là, vous avez logiquement commencé à les diminuer en commission des affaires sociales, notamment en transférant de France compétences à la région la compétence de désigner l’opérateur du conseil en évolution professionnelle pour les salariés. Je pense aussi à la suppression des possibilités de moduler les cotisations patronales selon un système de bonus-malus pour lutter contre la précarité excessive et au durcissement des droits et devoirs des demandeurs d’emploi.
La commission a également supprimé les mesures relatives aux travailleurs des plateformes, qui s’inscrivent pourtant dans une démarche d’universalité progressive, conformément à la volonté du Gouvernement de ne laisser personne s’enfermer dans une activité, ainsi que l’ensemble des dispositions relatives à la mobilité dans la fonction publique.
Seules les dispositions du titre III, à l’exception de celles qui sont relatives aux plateformes et à la fonction publique, n’ont pas été modifiées en profondeur. C’est le cas, en particulier, des dispositions relatives au développement des entreprises adaptées, directement issues de l’engagement « Cap vers l’entreprise inclusive 2018–2022 », un engagement historique, selon les professionnels du secteur, que j’ai signé le 12 juillet dernier avec ma collègue Sophie Cluzel et les responsables du secteur.
S’agissant des autres titres du projet de loi, les degrés dont je parlais, vous avez poursuivi en séance l’affaiblissement de leur potentiel.
Ainsi, vous avez redonné le pouvoir central aux régions sur le système de l’apprentissage, au détriment des jeunes, de leur famille et des entreprises, et contrairement à la pratique de tous les autres pays européens, où l’apprentissage est beaucoup plus développé que dans le nôtre.
Surtout, vous avez écarté l’opportunité d’une réforme globale et cohérente de notre système d’assurance chômage, en refusant d’élargir le champ et de privilégier l’intervention des partenaires sociaux dans une nouvelle convention.
Alors que nous étions parvenus, à deux reprises – loi d’habilitation et loi de ratification –, à un accord sur la loi pour le renforcement du dialogue social, c’est-à-dire l’acte I de l’engagement présidentiel de rénovation de notre modèle social, il n’a pas pu en être ainsi pour l’acte II de cette rénovation, celui de l’émancipation individuelle et collective par le travail et la formation, qui sécurise les parcours professionnels.
Or cet acte II est essentiel pour consolider la croissance et la rendre riche en emplois et inclusive. C’est pourquoi il serait, à mon sens, contradictoire avec notre action de conserver les bases du système actuel, qui, en dépit du volontarisme sincère des acteurs, ne parvient ni à endiguer le chômage de masse, notamment parmi les jeunes, ni à protéger les plus vulnérables contre le manque ou l’obsolescence des compétences, ni à faire en sorte que nos très petites, petites et moyennes entreprises puissent grandir, en trouvant sur le marché du travail les compétences dont elles ont besoin.
Cette occasion manquée avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, symbolisée par l’échec de la commission mixte paritaire, je la déplore.
Mais, puisque, d’une certaine façon, je sais que, comme le Gouvernement, et pour reprendre la citation de Goethe, vous gardez les yeux fixés sur la lune, c’est-à-dire sur les objectifs, je suis sûre de pouvoir compter sur votre vigilance exigeante pour évaluer la mise en œuvre des transformations ambitieuses et profondes que nos concitoyens ont appelées de leurs vœux, pour enfin choisir librement leur avenir professionnel et préparer un monde en mutation.
C’est en effet à l’exécution de ces transformations systémiques, en faveur d’un accès et d’un accompagnement plus simples et plus vastes à l’atout du XXIe siècle, les compétences, que le Gouvernement, en liaison toujours avec les acteurs de terrain, va se consacrer dans les prochains mois.
Certains, vous le savez, ont déjà pris des engagements ; d’autres s’y préparent. Je tiens à les saluer une nouvelle fois. Ainsi, l’Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat s’est engagée à former, grâce à cette loi, 60 000 apprentis supplémentaires. Dans le même esprit, le Conseil national de l’industrie ambitionne d’augmenter de 40 % le nombre d’apprentis dans ce secteur. De son côté, la Fédération française du bâtiment vient de s’engager à accueillir 15 000 jeunes bâtisseurs.
Quant aux entreprises adaptées, grâce à un modèle modernisé et à un soutien sans précédent de l’État, elles vont créer 40 000 emplois supplémentaires pour les personnes en situation de handicap d’ici à 2022, c’est-à-dire doubler de taille.
Ces emplois, ces projets, ces avenirs sur le terrain, voilà ce qui doit nous mobiliser tous, chacun à notre niveau, pour les rendre possibles.
La mobilisation du Gouvernement est, vous l’avez compris, totale. C’est le sens de ma proposition de travailler dès septembre, avec tous les parlementaires ultramarins, à l’adaptation opérationnelle de la future loi aux différents contextes locaux. Je sais en effet que nous partageons la volonté de faire réussir nos territoires, en particulier les plus en difficulté, dans la bataille mondiale des compétences.
Cette bataille, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons désormais, avec cette réforme d’ampleur, tous les atouts pour la remporter !